• Lire Sholem Aleykhem en temps de confinement
    https://www.en-attendant-nadeau.fr/2020/04/29/lire-aleykhem

    L’évocation du milieu interlope du théâtre juif à ses débuts passe par l’accumulation de péripéties plus ou moins vraisemblables, qui tout en maintenant un substrat réaliste rappellent constamment le roman populaire ou le roman-feuilleton, avec ses scènes mouvementées et ses aventures en cascade : arrivée du théâtre ambulant dans la bourgade juive, qui vient enchanter la vie quotidienne et provoque la fuite ou l’enlèvement rocambolesques des deux jeunes héros, ces « étoiles vagabondes » qui, comme dans la légende, s’attirent invinciblement sans jamais se rejoindre ; voyages initiatiques qui éprouvent la vocation artistique à l’aune du desserrement des restrictions de la vie traditionnelle ; accomplissement de l’art, payé au prix fort de la solitude, des trahisons amoureuses et de la culpabilité induite par le processus de rupture. Condensé par la fantaisie carnavalesque et le foisonnement du « roman comique », c’est tout le douloureux apprentissage de la modernité et de l’acquisition de l’individualité émancipée au crible de l’expérience personnelle qui est symbolisé de façon transposée à travers la verve romanesque. À la suite du processus d’émigration outre-Atlantique, la description se fait de plus en plus satirique, à mesure que la perte de l’innocence accompagne le dévoiement de l’idéalisme initial, traduisant la dégradation des valeurs par les compromissions de l’art naïf de l’origine, au profit de la marchandisation des talents, annonçant déjà le futur star-system hollywoodien et dénonçant la médiocrité du répertoire et des performances artistiques. Sholem Aleykhem, lui-même peu satisfait de ses deux séjours américains (la Première Guerre mondiale le contraint à revenir y passer les dernières années de sa vie), n’a de cesse de montrer l’envers du rêve émigrant et pastiche avec ironie le melting pot linguistique et l’abâtardissement de la langue et des coutumes du Vieux Monde.

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