• Saison agricole : « Si on embauche des locaux, on ne va pas sortir nos récoltes »
    https://www.lemonde.fr/societe/article/2020/05/15/saison-agricole-si-on-embauche-des-locaux-on-ne-va-pas-sortir-nos-recoltes_6

    « A cause du manque de main-d’œuvre, j’ai mis l’exploitation à vendre, se souvient-il. La fraise était prête à s’écrouler et puis il y a eu l’entrée des pays de l’Est [dans l’UE]. Ça a permis un essor phénoménal. » Afflue alors une main-d’œuvre « jeune », « qui a envie de travailler » et sort des rangs « avec le sourire », résume l’agriculteur.

    Aux Polonais du début des années 2000 ont récemment succédé les Roumains, qui représentent actuellement une quarantaine d’hommes et de femmes, sur les 57 ouvriers qui travaillent pour la famille Jouy. La majorité sont logés sur place, dans des studios, des petits pavillons ou des mobil-homes, pour des loyers de 250 à 300 euros.

    • Plus haut : Patrick Jouy, producteur de fraises, à Sainte-Livrade-sur-Lot (Lot-et-Garonne), le 14 mai. EUGENIE BACCOT POUR « LE MONDE »

      Dans son exploitation familiale du Lot-et-Garonne, Patrick Jouy a toujours eu recours à des travailleurs étrangers pour récolter les fraises. Cette année, la fermeture des frontières a bloqué de nombreux saisonniers.

      Chez Patrick Jouy, on cultive la fraise sous serre depuis des décennies, dans le Lot-et-Garonne. Les plants de ciflorette mûrissent dans une chaleur moite et d’étroits bacs hors-sol. De temps en temps, les brumisateurs crachent un peu de fraîcheur et une dizaine d’ouvriers agricoles se meuvent entre les rangs pour le peignage, qui consiste à séparer les fleurs des fruits pour faciliter leur cueillette. Un travail manuel et minutieux, comme l’#agriculture en regorge. Dans cette exploitation familiale de 18 hectares, on a depuis longtemps confié ces gestes à une #main-d’œuvre_étrangère.

      Patrick Jouy peut reconstituer avec précision les #migrations saisonnières qui ont jalonné sa carrière. « Je suis dans la fraise depuis 1977, dit-il. A l’époque, j’étais en Seine-et-Marne et je travaillais pour un patron. Des Espagnols venaient en contrats OMI [Office des migrations internationales, aujourd’hui Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII), qui régule l’immigration saisonnière de travailleurs agricoles non européens]. Il y avait aussi des Portugais qui travaillaient dans la maçonnerie et on allait chercher leurs femmes en ville. Il y avait aussi des Algériennes. »

      Sous les serres de production de fraises ciflorette sur le site de Barianis fondé par Patrick Jouy, à Sainte-Livrade-sur-Lot, dans le Lot-et-Garonne, le 14 mai.


      Sous les serres de production de fraises ciflorette sur le site de Barianis fondé par Patrick Jouy, à Sainte-Livrade-sur-Lot, dans le Lot-et-Garonne, le 14 mai. EUGENIE BACCOT POUR « LE MONDE »

      En 1986, le producteur s’installe à son compte, à Sainte-Livrade-sur-Lot, tandis que l’Espagne et le Portugal rejoignent l’Union européenne (UE). « Au bout de quelques années, on n’avait plus personne » , rapporte M. Jouy, convaincu que les #allocations-chômage ou familiales ainsi que la libre circulation des travailleurs – « le fait de pouvoir courir partout pour aller gagner plus » – ont eu raison de la disponibilité de ces saisonniers.

      Déconvenues

      « A cause du manque de main-d’œuvre, j’ai mis l’exploitation à vendre , se souvient-il. La fraise était prête à s’écrouler et puis il y a eu l’entrée des pays de l’Est [dans l’UE]. Ça a permis un essor phénoménal. » Afflue alors une main-d’œuvre « jeune » , « qui a envie de travailler » et sort des rangs « avec le sourire » , résume l’agriculteur.

      Aux Polonais du début des années 2000 ont récemment succédé les Roumains, qui représentent actuellement une quarantaine d’hommes et de femmes, sur les 57 ouvriers qui travaillent pour la famille Jouy. La majorité sont logés sur place, dans des studios, des petits pavillons ou des mobil-homes, pour des loyers de 250 à 300 euros.

      Mariana vient de Transylvanie, en Roumanie, à 3 000 kilomètres d’ici, et entame sa quatrième saison à Sainte-Livrade-sur-Lot, où elle travaille avec son mari. « Après le lycée, je n’avais pas de travail. Des amis étaient venus ici et m’ont dit que le #salaire était meilleur que les 400 euros que je gagnerais dans mon pays » , explique-t-elle. Le couple ne rentre plus au pays que pour des congés annuels, entre décembre et février.

      Maciej, 23 ans, a suivi un parcours similaire depuis la Pologne. Arrivé en 2017, à l’issue de sa scolarité, il enchaîne les saisons depuis. Une fois retranchés les 300 euros de loyer dont il s’acquitte, il gagne 1 500 euros par mois. « Trois fois plus que dans mon pays » , dit-il. Et puis, ajoute-t-il, il apprécie le climat français.

      Avec l’épidémie de Covid-19 et la fermeture des frontières, la famille Jouy a essuyé des déconvenues. Des saisonniers roumains, polonais et portugais se sont fait attendre. Et les onze Marocains qui avaient signé un contrat saisonnier avec l’OFII sont aussi restés bloqués dans leur pays.

      « Il leur faut des pauses-café et cigarette »

      Pour compléter ses effectifs pendant le confinement, l’exploitation a embauché localement une quarantaine de personnes. Parmi elles, on croise encore dans les rangs de fraisiers Majouba, une Marocaine venue d’une exploitation agricole voisine qui a déposé le bilan, ou Mostafa. Ce demandeur d’asile afghan, âgé de 26 ans, a parcouru 40 kilomètres à vélo, depuis Agen, pour se faire embaucher. Le contrat de trois mois qu’il a obtenu est le premier qu’il signe en France, où il vit depuis deux ans. Il loge maintenant dans un mobil-home, sur l’exploitation, avec quatre autres Afghans.
      Mostafa, demandeur d’asile afghan de 26 ans, en France depuis deux ans, à Sainte-Livrade-sur-Lot (Lot-et-Garonne), le 14 mai.


      Mostafa, demandeur d’asile afghan de 26 ans, en France depuis deux ans, à Sainte-Livrade-sur-Lot (Lot-et-Garonne), le 14 mai. EUGENIE BACCOT POUR « LE MONDE »

      Parmi les recrues de nationalité française, seul un couple aurait « donné satisfaction » à Patrick Jouy. Mais l’un et l’autre membre du couple ont fini par pouvoir reprendre leurs emplois, elle dans la restauration et lui dans les travaux publics. Les autres ? « Des gens sont partis au bout de quelques jours et on en a remercié qui n’étaient pas efficaces. Il leur faut des pauses-café et cigarette, ils ont mal aux vertèbres ou aux genoux et ils ne veulent pas arriver trop tôt. » Or, la fraise se ramasse « à la fraîche » , dès 7 heures. « On fait des semaines qui vont de 30 à 40 heures pour des salaires de 1 000 à 2 500 euros » , indique le producteur.


      Cosmin, ingénieur roumain, travaille à Sainte-Livrade-sur-Lot (Lot-et-Garonne)depuis deux ans. EUGENIE BACCOT POUR « LE MONDE »

      La paye gonfle en fonction des kilos récoltés et c’est avec admiration que M. Jouy évoque le souvenir d’ « une Polonaise qui pouvait ramasser jusqu’à 60 kilos par heure » . Lorsqu’on interroge l’agriculteur sur ce qui fonde la valeur de ses saisonniers migrants, il lâche : « Eux, ils ont faim et ils n’ont droit à rien. » Puis : « En France, il y a trop de social. » En attendant que les saisonniers de l’UE soient de nouveau admis à passer les frontières, M. Jouy pense au pic de production, en juin, avec inquiétude : « Si on embauche nos locaux, on ne va pas sortir nos récoltes. »

      #saisonniers_agricoles