• Quelle rentrée ?
    –-> Tiré de ce billet : Au delà de la crise sanitaire : redonner une mission à l’Université et du sens à notre métier

    Il est probable que ni la rentrée universitaire, ni le premier semestre, ni l’année académique dans son ensemble ne pourront se dérouler de manière ordinaire. La circulation durable du Covid 19, plus ou moins prononcée selon les régions, et le risque de rebond épidémique, impliquent des mesures et des précautions sanitaires qui heurtent les conditions habituelles de l’enseignement dans les universités de masse françaises.

    Nous sommes à la croisée des chemins. Soit les présidences d’université et les cadres de « l’administration administrante » prennent seuls les choses en main, soit la communauté universitaire se ressaisit collectivement de ses métiers et de ses pratiques. Soit priorité est don-née au maintien à tout prix des calendriers, au basculement vers l’enseignement à distance compris avant tout comme enseignement numérique, au court-termisme appelé par le manage-ment dans l’urgence, à la gouvernance par injonctions bureaucratiques, à l’enseignement et la certification d’agrégats virtuels, à la gestion de flux estudiantins par des tableaux Excel con-fondus avec le réel, soit on renoue avec des pratiques maîtrisées et réflexives de nos métiers et on réfléchit à ce que signifie un service public d’enseignement supérieur et de recherche : accueil des étudiants pour la transmission de savoirs et de savoir-faire irrigués par la recherche ; préservation d’une pluralité éducative et pédagogique, y compris à distance, avec le recours à une large palette de supports, incluant le numérique mais aussi le plus classique enseignement par correspondance ; concertations collectives dans les instances collégiales des universités pour décider et mettre en œuvre les enseignements.

    Les moyens d’organiser la rentrée sont nombreux et méritent d’être discutés :
    définir collectivement en juin-juillet l’organisation de l’année universitaire 2020-2021, en prévoyant des plans modulables ;
    décaler les rentrées universitaires générales (début octobre ? plus tard ?) pour se donner le temps des ajustements pratiques en fonction de l’évolution sanitaire, potentiellement variable selon les régions, notamment pour ce qui concerne l’accueil des nouveaux étudiants de L1 ;
    découpler l’enseignement et la certification au premier semestre, voire « dé-semestrialiser » l’année universitaire ;
    différencier l’accueil des étudiants en fonction à la fois de leurs effectifs et de leur degré de maturité (à l’instar de l’enseignement élémentaire ou secondaire). Cette mesure, qui implique un effort budgétaire, pourrait notamment permettre d’accueillir les étudiants de première année dans le cadre d’un enseignement hybride au 1er semestre, « en présentiel » et à distance ;
    proposer des solutions à géométrie variable tenant compte des contraintes pratiques selon les universités : enseignement par roulement pour les TD (réduisant la moitié des effectifs sur sites) ; dédoublement (ou plus) des cours en amphis…
    reporter d’un an la mise en œuvre du LMD 4 dans les universités concernées afin d’éviter, au mieux un lancement chaotique des nouvelles maquettes dans un contexte de profondes et nombreuses incertitudes [7].

    La liste n’est pas close. Ces mesures doivent évidemment être accompagnées des moyens nécessaires, surtout en termes de postes, dans une Université qui manque déjà cruellement de titulaires [8].

    Qu’une institution fasse preuve de sa capacité à faire face à l’urgence ne démontre en rien que cette institution n’est pas en crise. L’exemple de l’hôpital avec lequel nous avions établi il y a quelques mois un parallèle avec l’université le démontre : les personnels soignants ont agi avec courage et abnégation face au Covid 19 sans jamais renoncer à leur constat sur la situation catastrophique de l’hôpital public. Il en va de même pour l’enseignement supérieur : la réponse au malaise universitaire n’est pas, ne peut pas être, la LPPR telle qu’elle a été pensée jusqu’à présent. Les solutions sont à trouver dans l’université elle-même : en réinvestissant nos institutions, en réaffirmant nos missions de service public, en retrouvant du sens aux métiers de la formation et de la recherche.

    La bureaucratie autoritaire et la mise en œuvre à marche forcée de l’enseignement et de l’évaluation numériques ne sauraient être l’horizon imposé aux communautés universitaires. En un tel climat d’incertitude sur ce que sera la rentrée, le risque est réel aujourd’hui d’une certaine passivité de la communauté universitaire vis-à-vis des décisions qui touchent à son avenir. La difficulté d’anticiper ce qu’il sera possible ou non de faire, la soumission à un fonctionnement vertical, sans concertation ou à travers des informations partielles, rend possible un état de sidération et une atomisation. Le surcroît de tâches produit par le confinement et la fermeture des établissements favorisent en outre une gestion de la situation au jour le jour, rendant plus difficile la réflexion critique et la projection dans l’avenir.

    Pourtant, nous avons collectivement démontré que nous tenions à maintenir le lien avec nos étudiants, que nous parvenions à le faire souvent, et à l’occasion que nous savions être inventifs pour contourner les injonctions abstraites à une évaluation myope. L’expérience récente montre que c’est bien la communauté universitaire qui peut ouvrir les possibles afin de remplir au mieux sa mission de service public. C’est à partir de ce constat, non à partir des injonctions du Ministère de tutelle et de la Conférence des présidents d’université, que pourra être inventé quelque chose d’utile, tout comme c’est à partir des personnels des hôpitaux, liés et unis par l’expérience radicale qu’ils traversent actuellement ensemble, que pourra s’effectuer une réforme de notre système de santé. À nous de nous saisir collectivement de cette possibilité à tous les niveaux, dans les départements, dans les UFR, dans les conseils centraux, dans les laboratoires pour ne pas nous laisser dicter notre avenir par celles et ceux qui ont cessé de lui appartenir.

    http://www.sauvonsluniversite.fr/spip.php?article8727
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