• « Sauver l’art ». Les rhétoriques de l’art contemporain au service de l’accélération conservatrice – CONTRETEMPS
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    Derrière l’art se cachent toujours des systèmes d’oppression. Depuis l’antiquité, la culture occidentale vit sous l’empire de l’art – un paradigme culturel totalisant qui n’admet les écarts que pour autant qu’ils ramènent les dissident·e·s à reconnaître, par ce moyen, son incontestable hégémonie et ses règles. Aujourd’hui, les institutions d’art contemporain, prisonnières d’un univers de pensée valorisant l’ordre, l’essentialisme et l’universalisme, et malgré leurs discours progressistes, amplifient encore des phénomènes inégalitaires et d’élimination des corps politiques dominés.

    Ce que l’on nomme art a su au cours de son histoire s’imposer dans le discours dominant à travers différents récits en tant que pratique source de progrès social, de libération et créatrice de lien social. Science du beau, outil d’émancipation ou encore plus récemment art engagé, l’ensemble de ces récits ont au fil du temps permis d’instituer l’art comme un bien commun. En droit français l’art est reconnu d’intérêt général légitimant l’attribution de fonds issus de l’impôt au même titre que l’éducation ou encore la santé. Plus récemment cette notion juridique soumise à de très larges interprétations a notamment été utilisée pour légaliser des dispositifs de défiscalisation au profit de mécènes privés disposé·e·s à investir dans le champ artistique, un investissement reconnu d’utilité publique.

    Or les idées selon laquelle l’art existerait comme contre-espace à la violence, au conformisme du monde et pour le bien de tou·te·s m’apparaissent non seulement fausses et dangereuses, mais, par ailleurs, comme des réponses à une logique de dissimulation de la violence produite par les institutions culturelles.

    En 1966, dans un ouvrage intitulé L’amour de l’art, les musées d’art européens et leurs publics, Pierre Bourdieu et Alain Darbel avançaient des données sociologiques pour mettre en évidence l’inadéquation entre le discours institutionnel inscrivant l’art comme bien commun et les conditions sociales nécessaires de l’accession aux pratiques artistiques. Toutefois cette sociologie de l’art qui théorise la domination sans forcément penser l’émancipation apparaît insuffisante au regard de l’étendue des liens qui existent entre art et oppression et s’agissant des possibilités de les déconstruire.