• Comment l’épidémie due au coronavirus peut-elle disparaître, ou survivre ? David Larousserie, Pascale Santi, Paul Benkimoun, Nathaniel Herzberg et Chloé Hecketsweiler
    https://www.lemonde.fr/sciences/article/2020/06/09/comment-l-epidemie-due-au-coronavirus-peut-elle-disparaitre_6042205_1650684.

    Le confinement a amorcé la décrue des contaminations... mais le coronavirus passera-t-il l’été ? Les chercheurs en débattent.

    On comptait 14 643 personnes hospitalisées le 29 mai. 665 de moins le 2 juin. Puis encore 924 de moins au 4 juin. Quatre semaines après la fin du confinement en France, l’épidémie de Covid-19 semble poursuivre son recul, comme dans la plupart des pays, à l’exception de ceux d’Amérique du Sud, et de l’Iran, qui connaît même un fort rebond. Pourtant, le conseil scientifique, dans son avis du 2 juin, reste prudent. Parmi ses quatre scénarios, il n’exclut pas celui de la « perte de contrôle » de l’épidémie.

    « Depuis le début, le conseil scientifique se place dans l’unique perspective du pire scénario, obnubilé par des modèles qui prévoyaient 500 000 morts en France et qui ont failli. La réalité, c’est que la vague est passée presque partout, que la décrue est générale, que certains pays n’ont plus aucun mort, indique Jean-François Toussaint, professeur de physiologie à l’université Paris-Descartes et directeur de l’Institut de recherche biomédicale et d’épidémiologie du sport (Irmes), opposant résolu au confinement. Ce virus est nouveau. On doit donc continuer à l’étudier, à le surveiller. Mais son cousin le plus proche, c’est le SARS-CoV, et ce coronavirus-là a bel et bien disparu en 2003. Pour moi, c’est l’hypothèse la plus probable. »

    « L’épidémie a été arrêtée par les mesures extraordinaires de distanciation, mais on a encore quelque 1 000 contaminations par jour en France , rappelle pour sa part Astrid Vabret, chef du service de virologie du CHU de Caen. Avec le retour de l’hiver et des activités d’intérieur, je vois bien ce virus revenir. Cela dépendra aussi de l’état immunitaire de la population, de la durée de protection que confère une première contamination et, bien sûr, de l’éventuelle arrivée d’un vaccin. »

    Entre ces deux situations de reprise ou d’arrêt, il existe plusieurs variantes, comme « une persistance à bas bruit, dans des poches, comme on le voit avec la polio » , décrit Jean-François Toussaint. Ou « une épidémie sous contrôle (…) associée à des clusters localisés pouvant être maîtrisés ». Voire une « reprise progressive » de l’épidémie à bas bruit, sans que les chaînes de contamination puissent être identifiées, au risque d’une détérioration rapide de la situation, pour le conseil scientifique.

    Article réservé à nos abonnés Lire aussi Patrick Berche : « Quand la grippe espagnole s’est éteinte, le virus est devenu saisonnier »
    Une épidémie obéit à « des lois froides de la physique » , selon les mots de Samuel Alizon, chercheur CNRS de l’équipe Evolution théorique et expérimentale du laboratoire Maladies infectieuses et vecteurs : écologie, génétique, évolution et contrôle, à Montpellier. C’est-à-dire que si le nombre moyen d’infections secondaires est supérieur à 1 (une personne en contamine plus d’une en moyenne), l’épidémie repartira. Si ce paramètre, le fameux R0, est plus bas que 1, elle diminue. Le 4 juin, le point hebdomadaire de Santé publique France l’estimait à 0,76.

    Pour prévoir quel scénario sera le bon, il faut donc savoir quel facteur ferait pencher d’un côté ou l’autre de la barrière. Revue de détail de ces différents paramètres.

    Les mesures barrières

    Le dernier avis du conseil scientifique, daté du 2 juin, rappelle que « le confinement avait réduit le taux de transmission de SARS-CoV-2 d’à peu près 70 % à 80 % ». De quoi faire baisser le nombre moyen d’infections secondaires au-dessous de 1 et donc enrayer l’épidémie. Cela pourrait continuer, car, malgré les levées progressives de certaines mesures de contrôle, les comportements ne sont pas redevenus identiques à ceux de l’avant confinement. « Nous recommandons une large utilisation [des masques] dans les lieux publics et confinés (transports, commerces), mais aussi dans les rues bondées. Le masque nous protège et protège les autres », a rappelé Jean-François Delfraissy, président du conseil scientifique, au Journal du dimanche , le 7 juin.

    Comme le reconnaissent les membres du conseil scientifique dans leur dernier avis, le scénario de « perte de contrôle », qui n’est pas exclu, « exigerait des décisions difficiles, conduisant à choisir entre un confinement national généralisé, permettant de minimiser la mortalité directe, et d’autres objectifs collectifs, économiques et sociaux, s’accompagnant alors d’une importante mortalité directe ».

    L’arrivée de l’été

    « Dans les zones tempérées de l’hémisphère Nord, les virus respiratoires circulent de septembre à fin avril, selon un calendrier régulier » , constate Astrid Vabret. Fin septembre, ce sont les premiers rhinovirus, en décembre le virus syncytial, puis les coronavirus, avec leur pic en février, suivis des parainfluenza. S’y ajoute la grippe, l’hiver, pendant neuf à dix semaines par an. « Sur l’ensemble des pandémies avec une atteinte respiratoire haute, huit sur dix régressent l’été, mais cinq sur dix repartent à l’automne » , a rappelé Jean-François Delfraissy, sur France Inter, le 5 juin.

    Difficile, donc, de prévoir le comportement du virus. Première hypothèse, SARS-CoV-2 imiterait son plus proche parent, le SARS-CoV de 2003, autrement dit, il disparaîtrait dès la première saison. « Mais je n’y crois pas. Il y a eu tellement de foyers que je ne vois pas pourquoi il ne continuerait pas à circuler à bas bruit dans certains d’entre eux », indique Astrid Vabret. Deuxième hypothèse, il imite les quatre anciens coronavirus humains connus – HKU1, OC43, NL63, 229E – et devient saisonnier. C’est ce que semble indiquer un modèle de l’université Harvard, paru dans Science le 22 mai. En s’appuyant sur les variations saisonnières de deux d’entre eux, OC43 et HKU1, les chercheurs prévoient des pics épidémiques de Covid-19 aux mêmes périodes automnales et hivernales. La disparition actuelle n’est donc peut-être pas définitive.

    Le virus se modifie

    Pour les virologues, le SARS-CoV-2 reste « très mystérieux ». « Depuis le début, il nous a surpris et nous nous sommes trompés », admet Astrid Vabret. Après six mois de circulation à travers le globe, le pathogène ne semble pas endémique, comme le sida, mais bien épidémique. Il apparaît également « ubiquitaire », capable de contaminer la planète entière. Enfin, c’est un virus émergent, qui a rencontré une population dépourvue de défenses spécifiques.

    Pourrait-il s’atténuer ou muter, les coronavirus étant connus pour leur facilité à se recombiner ? « Ce génome mute peu, dix fois moins que le VIH et deux-trois fois moins que la grippe », constate Olivier Gascuel, directeur de recherche au CNRS et à l’Institut Pasteur. Environ 35 000 génomes viraux ont été séquencés et aucune preuve définitive n’a montré que, parmi ces mutations, certaines favoriseraient une transmissibilité accrue. De même, l’hypothèse de virus « affaibli » ou « défectueux » , c’est-à-dire ayant des génomes incomplets nuisant à sa réplication, n’a pas été confirmée.

    Il n’est donc pas évident que survienne le coup de chance qu’ont connu les porcs dans les années 1980. A cette époque, le TGEV, un redoutable coronavirus, provoquait chez eux une gastro-entérite mortelle. Mais il a muté en un coronavirus respiratoire, le PRCV, aussi contagieux mais bénin, offrant au passage une immunité croisée aux animaux.

    Une immunité croisée ?

    Dans les modèles les plus simples décrivant l’évolution d’une épidémie, la décrue commence lorsque le nombre de personnes infectées atteint un seuil dit d’« immunité de groupe ». La fourchette de 50 % à 70 %, souvent donnée, se déduit du nombre d’infections secondaires engendrées par un individu. C’est 50 % si une personne en infecte en moyenne deux autres ; 66 % si ce sont trois personnes. Dans son avis n°7 du 2 juin, le conseil scientifique s’attend « à ce que 3 % à 7 % de la population française ait été infectée par le SARS-CoV-2 durant la première vague ». Nous sommes donc loin des seuils d’une immunité de groupe.

    Mais les taux mesurés dans les enquêtes sérologiques reflètent la proportion d’individus chez lesquels les tests ont retrouvé des anticorps spécifiquement dirigés contre le SARS-CoV-2. Or, les anticorps ne représentent qu’une des deux formes de réponse immunitaire – l’autre, de type « cellulaire », repose sur des globules blancs spécialisés, les lymphocytes T. Dans les deux cas, la parade semble active sur les agents infectieux présentant certaines similitudes. Par exemple, un même type de fixation sur les cellules à infecter. Un virus nous protégerait donc d’un autre. C’est ce que l’on appelle l’immunité croisée, dotée d’une mémoire plus large que celle du seul agent infectieux qui l’a provoquée.

    Une partie encore indéterminée de la population bénéficierait ainsi d’une protection, au moins partielle, contre le SARS-CoV-2. « Plusieurs publications ont montré l’existence d’une protection croisée chez des personnes infectées par le SARS-CoV en 2003, mais peu de gens ont été infectés par celui-ci : 8 000 environ dans le monde », indique James Di Santo, responsable de structure à l’Institut Pasteur. Cela donne néanmoins une première idée de la durée de l’immunité croisée.

    Plusieurs publications rapportent l’identification d’anticorps monoclonaux spécifiques du SARS-CoV, qui neutralisent également le SARS-CoV-2, ou de lymphocytes T de type CD4 réagissant contre le SARS-CoV-2, non seulement chez 8 malades sur 10, mais aussi chez des personnes séronégatives pour ce virus. La mémoire de ces cellules aurait été acquise lors de rhumes fréquemment dus à des coronavirus saisonniers. « Cette immunité croisée pourrait jouer un rôle chez les personnes peu ou pas symptomatiques, notamment les enfants », souligne le virologue Etienne Decroly, directeur de recherche au CNRS.

    « Les enfants, du fait de l’entraînement de cette immunité innée par les infections virales et bactériennes successives de la petite enfance, ont possiblement une immunité “entraînée” plus efficace que celle des adultes », renchérit le pédiatre infectiologue Robert Cohen.

    Ces différents profils « protégés » pourraient expliquer une décrue alors que le nombre de personnes infectées reste bas, loin d’une immunité de groupe.

    Une susceptibilité individuelle sous-estimée

    Les seuils d’immunité de groupe ne sont en réalité peut-être pas aussi élevés que la théorie le prévoit. Cette dernière n’est en effet pas fausse, mais réductrice. Elle considère que tous les individus ont les mêmes probabilités d’être contaminés, et fait donc fi des variations individuelles. Or, celles-ci peuvent être très importantes. Gabriela Gomes, de l’université de Strathclyde, à Glasgow, et de l’Ecole de médecine tropicale de Liverpool, rappelle, dans un article de mars 2020 sur le paludisme, que 20 % des enfants en Afrique rurale concentrent 80 % des piqûres de moustique. Dans le même article, elle calcule que 20 % des personnes les plus à risque comptent pour 86 % des infections totales de paludisme en Amazonie. Son modèle consiste à ne pas prendre, dans les équations, une probabilité de contamination homogène, mais à lui donner une certaine distribution déséquilibrée pour tenir compte de profils plus à risque que d’autres.

    Dans un preprint (un article pas encore paru) du 2 mai 2020 sur Medrxiv.org, elle a appliqué ce principe au Covid-19 et constaté qu’en fonction de l’importance de la variabilité le seuil à partir duquel l’épidémie régresse peut être considérablement réduit et passer de 60 % à 10 %. Tout se passe comme s’il suffisait que l’immunité de groupe soit atteinte dans le groupe le plus à risque pour changer la dynamique de l’épidémie. Plus précisément, alors que l’hypothèse d’homogénéité parfaite prévoit un rebond fort des contaminations, en ajoutant des profils plus à risque que d’autres, cette deuxième vague disparaît…

    L’un des problèmes de ce modèle est que les paramètres décrivant cette variabilité sont théoriques. « La version actuelle de notre preprint explore des paramètres choisis pour tenir compte des valeurs obtenues par d’autres études sur le SRAS et d’autres maladies infectieuses. Nous travaillons actuellement à déduire ces coefficients de variation pour le Covid-19 à partir de données dans un certain nombre de pays », indique Gabriela Gomes, qui promet donc une mise à jour de son travail.

    Le rôle des « superpropagateurs »

    Si, pour tenir compte de la variabilité individuelle, la chercheuse se place du côté des « cibles », susceptibles d’être infectées, d’autres se placent du côté des « sources ». Il existe là aussi de fortes différences, avec des individus ou des situations plus ou moins contaminantes. On retrouve les mêmes règles d’« inégalité » que précédemment : 80 % des contaminations peuvent avoir été engendrées par 20 % des gens seulement, souvent qualifiés de « superpropagateurs ». A l’inverse, cette règle signifie que beaucoup de personnes ne transmettent pas la maladie. L’équipe d’Adam Kucharski, de l’Ecole d’hygiène et de médecine tropicale de Londres, a ainsi modifié les modèles épidémiologiques simples pour introduire cette variabilité. Les chercheurs ont ensuite évalué quelle hétérogénéité explique le mieux les données du début de l’épidémie. Ils ont trouvé, dans un article du 9 avril, que 9 % seulement des infections expliquaient 80 % des contaminations. Une autre équipe de l’université de Berne, le 30 janvier, avait trouvé 15 % au lieu de 9 %, avec une hétérogénéité plus faible.

    Or, « plus cette hétérogénéité est importante, plus l’épidémie a des chances de s’éteindre toute seule », rappelle Samuel Alizon. Les superpropagateurs sont rares et la majorité des personnes ne cause aucune infection secondaire, ce qui ralentit la propagation. « Cela permet de comprendre aussi pourquoi de grands rassemblements restent interdits car cela limite de facto la portée des supercontaminateurs », rappelle Julien Riou, coauteur de l’article de l’université de Berne.

    Mais ces deux manières de prendre en compte la situation hétérogène réelle posent cependant plusieurs questions. « L’une des raisons pour lesquelles cette hétérogénéité n’est souvent pas prise en compte dans les modèles est qu’il est difficile de la mesurer », souligne Gabriela Gomes. « Cela passe par le suivi de contacts et l’analyse de chaînes de transmission en début ou fin d’épidémie », indique Samuel Alizon. Une tâche compliquée.

    Ensuite, une fois connue cette variabilité, il s’agit d’identifier quels profils sont superpropagateurs ou les plus à risque. « L’intérêt pour une stratégie de santé publique est évident, car cibler les populations les plus à risque ou les plus infectantes peut être plus efficace que de cibler tout le monde, comme le fait un confinement généralisé », indique Samuel Alizon. Restera aussi à comprendre ce qui explique de telles particularités. Est-ce lié au porteur du virus ou bien aux conditions environnementales (densité de la population, pièce fermée, température/humidité…) ?

    Tous ces facteurs pourraient jouer de concert pour expliquer la décrue actuelle de l’épidémie.

    #coronavirus #covid_19 #immunité_croisée #santé_publique #épidémie

    • Oui. Mais ce que je comprends de l’hypothèse du papier (qui n’est rien d’autre qu’un relais ciblé sur un "public cultivé" du "comité scientifique"...) est un peu plus sioux : en gros l’épidémie arrive (peut massacrer : N-Y, Brésil, Inde, Iran si laisser aller) puis devient saisonnière. Affaire de "cinétique" de la propagation, affaire de rythmes hétérogènes (mais là, je vois comme je "pense" par ailleurs, sur d’autres objets.)

      J’avais laissé la mention d’un des exemples,

      Patrick Berche : « Quand la grippe espagnole s’est éteinte, le virus est devenu saisonnier » , Propos recueillis par Sandrine Cabut
      https://www.lemonde.fr/sciences/article/2020/06/08/patrick-berche-quand-la-grippe-espagnole-s-est-eteinte-le-virus-est-devenu-s

      Grippes, peste, SARS… Le médecin biologiste Patrick Berche revient sur d’anciennes pandémies, et comment elles ont décliné.

      Médecin biologiste, le professeur Patrick Berche est professeur émérite à l’université de Paris, membre de l’Académie de médecine. Il est l’auteur de nombreux ouvrages grand public consacrés à l’histoire de la médecine, aux maladies infectieuses et aux menaces biologiques.

      Les grandes épidémies du passé peuvent-elles nous éclairer pour prédire l’évolution de la pandémie de Covid-19 ?

      On peut bien sûr faire des analogies avec d’autres virus, comme ceux de la grippe, mais il est difficile d’extrapoler les connaissances. Celui-ci est complètement nouveau. Certes il est apparenté avec deux coronavirus pandémiques responsables, en 2002, du SARS [syndrome aigu respiratoire sévère], et, en 2012, du MERS [syndrome respiratoire du Moyen-Orient]. Mais le SARS-CoV et le MERS-CoV étaient beaucoup plus virulents et moins contagieux que le nouveau coronavirus, le SARS-CoV-2. La létalité du SARS est de 7 %, celle du MERS de 30 %, contre 0,7 % pour le nouveau coronavirus. Celui-ci est contagieux avant même les signes cliniques alors que le SARS-CoV-1 ne le devenait que deux jours après le début des symptômes. Cette association mortalité importante/faible contagiosité et les mesures sanitaires de quarantaine ont permis de casser la chaîne épidémique, ce qui explique pourquoi la pandémie de SARS est restée relativement limitée et s’est éteinte.

      Deuxième vague, persistance du virus à bas bruit… Les prédictions concernant le devenir de la pandémie dans les prochains mois sont très contrastées. Quelle est votre analyse ?

      Il reste beaucoup d’inconnues dans cette pandémie. Il est possible qu’elle s’éteigne, comme on l’a vu avec le SRAS et le MERS, mais on peut aussi envisager une résurgence atténuée, car seulement 10 % de la population serait immunisée. On considère qu’il faut un seuil d’immunité collective à 50 %-60 % pour endiguer une épidémie. Cependant, il semble exister une certaine immunité croisée avec les coronavirus saisonniers très répandus, comme le suggèrent des études récentes. Cela favoriserait l’immunité collective requise pour arrêter l’épidémie. Cela expliquerait aussi certaines disparités entre les pays. En cas de résurgence, nous sommes désormais beaucoup mieux préparés et la population est éduquée aux gestes barrières, lavage de mains et au port de masques, ce qui peut permettre d’éviter le confinement.

      Sur l’évolution de la virulence, je suis plutôt optimiste avec le SARS-CoV-2, car ce virus a un système de réparation de son ARN qui corrige les erreurs. Il mute ponctuellement comme tous les virus, mais reste relativement stable. C’est à la fois une bonne et une mauvaise nouvelle. Bonne parce qu’il est peu probable qu’émerge une souche plus virulente, même s’il faut rester prudent. Mauvaise puisque le virus ne perdra pas sa virulence, contrairement à d’autres virus épidémiques (grippe).

      En été, la promiscuité est moindre, on vit plus à l’air libre et il est possible que le virus survive moins bien dans l’environnement. Ces germes sont toutefois surtout transportés par les humains, dont la température est de 37 °C. Les données de l’épidémie dans les pays chauds doivent être interprétées avec prudence. En Afrique, le nombre de malades et de décès déclarés n’est pas très élevé, mais il y a une sous-déclaration manifeste et une forte mortalité infectieuse. Il s’agit aussi de populations jeunes, polyparasitées, pouvant conférer une immunité non spécifique. Il faut étudier de plus près ce qui se passe en Afrique. Le fait que l’Amérique du Sud soit très touchée, même s’il y a là aussi une sous-déclaration importante, suggère cependant que la température n’est pas le seul facteur.

      Revenons au passé, comment se sont finies les pandémies de grippe ?

      Les virus grippaux sont responsables d’épidémies saisonnières depuis le XVIe siècle et celles-ci prennent parfois une allure pandémique quand la virulence du virus se modifie de façon importante. La pandémie la plus connue, la grippe espagnole, qui a duré de 1918 à 1920, nous a beaucoup appris, et notamment qu’un virus grippal peut circuler pendant l’été. Après une première vague pendant l’hiver 1918, les autorités alliées avaient annoncé la fin de l’épidémie en juillet. Quelques jours plus tard, elle repartait et la deuxième vague a été bien plus mortelle, avec une létalité entre 2 % et 4 % (contre 0,1 % pour la première vague, un taux comparable aux épidémies saisonnières). Il faut aussi souligner que cette pandémie a atteint le continent africain avec une intensité particulière. Parmi les 50 millions de décès de la grippe espagnole, la majorité des décès sont survenus dans les pays en Afrique et en Asie.
      Quand cette pandémie s’est progressivement éteinte, le virus responsable, que l’on a identifié plus tard comme étant un H1N1, est devenu saisonnier. Jusqu’à aujourd’hui, les virus grippaux qui circulent sont des recombinants de ce H1N1 ancestral.

      Il y a encore beaucoup de mystères autour des virus de la grippe, leur saisonnalité, les résurgences. Une des théories est la migration pendulaire : l’hémisphère nord est atteint en hiver, à l’inverse de l’hémisphère sud durant l’hiver austral. Les virus grippaux seraient transportés par les voyageurs, expliquant l’impact considérable des transports aériens. L’existence de porteurs chroniques de ces virus est aussi avancée, mais n’est pas démontrée.

      La peste a aussi été responsable de nombreuses épidémies et plusieurs pandémies, qui ont décimé jusqu’à la moitié de la population. Comment cette maladie infectieuse a-t-elle régressé, même si elle n’a pas complètement disparu ?

      Le mode de transmission est particulier puisqu’il existe un réservoir de la bactérie Yersinia pestis, les rats. Pendant très longtemps, les épisodes de peste en Europe sont venus d’Orient, par bateau. En débarquant, les rats contaminés infectaient les rats noirs autochtones qui vivaient au contact des humains. Le bacille se transmettait principalement par des puces, passant des rongeurs à l’homme.
      Les épidémies débutaient en général par des cas de peste bubonique (atteinte des ganglions lymphatiques), puis certains malades faisaient des « métastases » pulmonaires. Cette peste pulmonaire peut diffuser par voie respiratoire entre humains. La mortalité atteignait souvent 80 %.
      Au fil des siècles, des périodes épidémiques ont alterné avec des phases de déclin. La peste de Justinien, la première pandémie, a duré de 541 à 767. Puis, il y a eu une deuxième pandémie, du XIVe au XIXe siècle, avec des résurgences régulières.

      Outre les mesures d’isolement des malades, la régression de la peste s’explique en partie par le remplacement des rats noirs par les rats norvégiens, qui, eux, ne vivent pas au contact des humains, à partir du XVIIIe siècle. L’amélioration du niveau de vie a joué aussi certainement un rôle car la peste est une maladie liée à la pauvreté. Mais les réservoirs n’ont pas disparu, et la peste non plus. Au XXe siècle, il y a eu plusieurs épidémies, notamment en Inde, en 1994-1995, et la peste est toujours endémique, notamment à Madagascar et aux Etats-Unis.

      La variole est-elle définitivement éradiquée ?

      Elle a été déclarée éradiquée officiellement en 1980, mais elle reste pour moi la plus sérieuse menace bioterroriste aujourd’hui. Le virus de la variole se transmet par voie respiratoire. C’est une infection qui est assez contagieuse [taux de reproduction de base, ou R0, de 3 environ], avec une létalité très forte, entre 25 % et 45%. De plus, les symptômes surviennent après quatorze jours d’incubation et l’éruption caractéristique après quatre jours de forte fièvre, ce qui retarde le diagnostic. Des centaines de souches de virus varioliques sont conservées dans des laboratoires américains, à Atlanta, et russes, en Sibérie. On craint qu’une dizaine de pays aient gardé des souches et que ce virus puisse être aussi synthétisé en laboratoire. Ce n’est pas le seul. En 2005, le virus très virulent de la grippe espagnole a pu être reconstitué entièrement à partir du cadavre d’une jeune femme inuit décédée en 1918, conservée dans le permafrost.

      #biologie #histoire

    • De ce que j’observe, c’est quand même pas mal la fête. Celles et ceux qui acceptaient le confinement (pas seulement dans son principe, très compréhensible, mais aussi dans ses modalités) font maintenant les rebelles avec force bisous, serrages de paluches et oubli de tous les gestes dits barrières. Et reviennent expliquer que vraiment, on n’a pas à contrôler leur vie ! Ah ah !