Sels d’aluminium : la France attaque l’Agence européenne des produits chimiques
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Pour les autorités françaises, les industriels ont entravé l’expertise de la toxicité de ces substances couramment utilisées.
Bien qu’utilisés dans les systèmes d’assainissement de l’eau potable ou dans de nombreux cosmétiques, les sels d’aluminium ne sont guère au centre de l’attention médiatique. Ils n’en sont pas moins au cœur d’une dispute inédite. Passée inaperçue en pleine pandémie de Covid-19, celle-ci n’a été rendue publique que mi-juin dans le Journal officiel de l’Union européenne : la France a introduit, fin février, un recours contre l’Agence européenne des produits chimiques (ECHA) devant le Tribunal de l’Union européenne. C’est la première fois qu’un Etat membre attaque, devant la haute juridiction basée au Luxembourg, l’intégrité d’une décision rendue par une agence d’expertise communautaire.
L’histoire commence en 2014. Dans le cadre du règlement #Reach (Registration, Evaluation, Authorization and Restriction of Chemicals), la France devait mesurer, entre autres substances, les dangers de trois sels d’aluminium. C’est l’un des principes du règlement européen sur les substances de synthèse : les Etats membres se partagent le « fardeau du passé », ainsi que les spécialistes nomment le travail titanesque d’évaluation des centaines de substances de synthèse produites et commercialisées de longue date, mais dont la sûreté n’a jamais été évaluée. Régulièrement, les experts des différents Etats membres soumettent ainsi leurs résultats à l’ECHA et aux autres Etats membres. Après conciliabules, l’ECHA rend ses avis.
En France, ce travail d’expertise est confié à l’Agence nationale de sécurité sanitaire, de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses). « Sur ces sels d’aluminium, les experts français ont identifié un risque sur leur caractère potentiellement génotoxique [toxique pour l’ADN], dit-on à la direction générale de la prévention des risques (DGPR), l’administration du ministère de la transition écologique et solidaire qui pilote le dossier. Ce qui a soulevé notre préoccupation, c’est la question du traitement de l’eau [grâce à des sels d’aluminium] et l’exposition d’employés qui travaillent au contact de ces substances. »
Pas d’étude complémentaire
La France soutient donc, à l’ECHA, une demande d’informations complémentaires. En décembre 2017, cette demande est validée par les autres Etats membres et endossée par l’agence européenne : une étude de mutagénicité est demandée au consortium industriel produisant des sels d’aluminium (notamment BASF, Grace, Kemira). En matière réglementaire, c’est la norme : ce sont les industriels qui mènent les études testant la sûreté de leurs propres produits, à charge ensuite pour les agences sanitaires de les examiner. « C’est franchement une étude très simple et peu coûteuse à réaliser, mais c’était une nécessité, dit un connaisseur du dossier, qui requiert l’anonymat. Il y avait des contradictions dans les données disponibles et il fallait clarifier ce point. »