• Une compagnie de policiers de Seine-Saint-Denis au cœur d’un scandale, Nicolas Chapuis
      https://www.lemonde.fr/societe/article/2020/06/30/une-compagnie-de-policiers-de-seine-saint-denis-au-c-ur-d-un-scandale_604474

      Des enquêtes de l’IGPN, qui portent sur du racket de trafiquants de drogue, menacent l’existence de l’unité, dont six membres sont en garde à vue.

      En jargon policier, on appelle cela un « chantier », un coup monté à base de preuves maquillées. Mais aujourd’hui, les quelques fonctionnaires de Seine-Saint-Denis impliqués dans cette affaire qui aurait pu sembler anodine menacent d’engloutir une unité entière, dans un scandale fracassant.
      Six agents de la compagnie de sécurité et d’intervention de Seine-Saint-Denis (CSI 93) ont été placés en garde à vue, lundi 29 juin, notamment pour détention et transport de stupéfiants, vol, faux et usage de faux, extorsion de fonds, violences volontaires par personne dépositaire de l’autorité publique… Une ribambelle de charges, qui ne serait que la partie émergée de l’iceberg. Car en réalité, une vingtaine d’enquêtes préliminaires ont été menées de front par l’inspection générale de la police nationale (IGPN), sur décision du parquet de Bobigny. Elles pourraient viser des dizaines de policiers de cette même unité.

      Tout commence en juin 2019. L’IGPN reçoit deux plaintes visant des policiers. Deux jeunes hommes de la cité Cordon, connue comme l’un des principaux points de « deal » à Saint-Ouen, se plaignent d’avoir été interpellés de manière illégale, le 30 mai 2019. Ils accusent les agents d’avoir fait croire que l’un d’entre eux détenait un sachet de cannabis. En réalité, ce serait les policiers qui auraient jeté un sac contenant de l’herbe aux pieds du jeune homme. La scène a été filmée, mais le téléphone aurait été détruit par les agents. Les deux jeunes hommes se plaignent également de mauvais traitements, de coups portés pendant l’interpellation. Ils dénoncent enfin des procès-verbaux maquillés.

      Racket et fausses procédures

      Ce n’est pas la première fois que des signaux d’alerte sont envoyés au sujet de cette compagnie. Sur instruction de la procureure de Bobigny, Fabienne Klein-Donati, la police des polices décide de procéder dans le plus grand des secrets à un « balayage » des procédures montées par cet équipage en particulier, et par tous leurs collègues de la CSI 93.

      Au fur et à mesure qu’avancent les investigations, les faits se précisent. Les agents sont soupçonnés d’avoir racketté des trafiquants de drogue, notamment avec des fausses procédures entamées contre eux. Ils auraient extorqué d’importantes sommes d’argent. Leurs appartements ont été perquisitionnés lundi. Les locaux de la CSI, notamment les vestiaires, ont également reçu la visite des enquêteurs.

      Pendant un an, l’IGPN a déployé les grands moyens pour permettre aux investigations d’aboutir, mettant au jour un système organisé. D’après une source policière, des véhicules et des locaux de la CSI 93 ont été sonorisés, plusieurs agents ont fait l’objet d’écoutes. En tout, une vingtaine d’enquêtes préliminaires sur des faits potentiellement délictueux ont été ouvertes depuis juin 2019. Certaines ont été classées sans suite, faute de preuves suffisantes. Mais d’autres pourraient aboutir dans les jours à venir, après les interrogatoires menés pendant les gardes à vue.

      A l’été 2019, la CSI 93 avait déjà fait parler d’elle pour des faits de violence. Un homme interpellé pour trafic de drogue avait reçu un coup de pied de la part d’un agent. Une scène filmée. Il avait ensuite assuré que les policiers avaient tiré dans ses parties génitales avec un pistolet à impulsion électrique dans le fourgon. Il avait porté plainte pour actes de torture. Six fonctionnaires avaient été placés en garde à vue. Une partie d’entre eux seront jugés en novembre.

      Très mauvais moment

      Pour la #CSI 93, cette enquête de grande envergure sonne le glas. L’unité, composée de quelque 150 fonctionnaires et créée en 2008 sous Nicolas Sarkozy, ne survivra pas au scandale. Le préfet de police Didier Lallement a d’ores et déjà annoncé qu’une refonte allait avoir lieu.

      La compagnie de sécurité et d’intervention joue pourtant un rôle majeur dans ce département, où la délinquance est très importante. Cette unité composite, qui intervient notamment pendant les épisodes de violences urbaines, réunit des effectifs en tenue, d’autres en civil, qui agissent comme des brigades anticriminalité (#BAC), ainsi qu’un groupe de motards.

      Pour la police nationale, la potentielle mise en cause de dizaines d’agents tombe à un très mauvais moment. L’institution traverse une période de remise en cause de ses pratiques, sur fond d’accusations de violences policières et de racisme. Le mouvement parti des Etats-Unis après la mort de George Floyd, un homme noir tué par un policier blanc à Minneapolis (Minnesota), a connu un vif écho en France, notamment dans les quartiers populaires d’Ile-de-France, en Seine-Saint-Denis en particulier.

      D’un autre côté, plusieurs sources policières soulignent le gros travail effectué par l’#IGPN depuis un an. Un service dont l’indépendance et la qualité du travail sont régulièrement critiquées. Alors que le ministère de l’intérieur a fait part de sa volonté de réorganisation, ce coup de filet spectaculaire devrait peser, à l’heure de faire le bilan de son activité.

      #police #racket

    • Il est assez marrant, l’article du Monde, parce qu’il est bourré de jargon professionnel (copspeak), et rapidement je me dis que ça ressemble à une ode à l’IGPN, avec force descriptions des méthodes et de l’ampleur des moyens qu’elle a déployés.
      Et tu m’étonnes, ça se termine par cette conclusion épatante :

      D’un autre côté, plusieurs sources policières soulignent le gros travail effectué par l’#IGPN depuis un an. Un service dont l’indépendance et la qualité du travail sont régulièrement critiquées. Alors que le ministère de l’intérieur a fait part de sa volonté de réorganisation, ce coup de filet spectaculaire devrait peser, à l’heure de faire le bilan de son activité.