• Cahiers des Laumes, Alexis Forestier - Chimères
    https://www.revue-chimeres.fr/Des-Laumes-et-d-ailleurs

    J’ai rencontré Alexis Forestier en 98, aux Laboratoires d’Aubervilliers, où nous (Chimères) organisions un « chantier » autour de la Folie, il monte à ce même moment les fragments Woyzeck ou Une histoire vibrante d’après les récits et fragments narratifs de Franz Kafka, et c’est le début d’un entretien infini qui n’a pas cessé depuis, par intermittences ;

    À Anis gras le lieu de l’autre, à Arcueil, dont il accompagne la fondation autour des arts de faire et de l’invention du quotidien...
    À la Borde, où il monte dans ces années là l’Opéra de quatre sous, étape parmi d’autres d’un long compagnonnage avec Jean Oury, qui donna toujours une place de choix au théâtre .

    À la Fonderie du Mans, chez François Tanguy, autre arpenteur des lieux et des textes (musiques, images) qui dit que dans un théâtre, il faut aussi qu’il y ait des chambres et qu’on puisse y dormir et cuisiner...

    Puis enfin dans la Quincaillerie, un ancien moulin (et quincaillerie) où il développe aujourd’hui sa propre hétérotopie bricoleuse, dans la lignée des hospitalités aux marges du soin et de la création, du faire et de l’agir, qu’il aménage et anime avec Itto Mehdaoui et l’aide de tant d’hôtes de passage mobilisés pour des chantiers tout au long de l’année ; avec une grande capacité de maîtrise d’ouvrage, tour à tour métalliers et maçons, meuniers même et jardiniers, entre accueil de concerts et et co-édition du journal de la Quincaillerie d’où sont issus les cahiers des Laumes. Il règne à la Quincaillerie un amour particulier pour les objets de notre enfance, les papiers peints fleuris et les casseroles émaillées, et plus profondément des savoir-faire frappés d’obsolescence, outils délaissés offerts au détournement mais aussi réanimés, tel le moulin lui-même, son bief et sa machinerie… ou le cinéma argentique (le lieu accueille régulièrement les Scotcheuses, un collectif qui fabrique des films en super 8)

    La quincaillerie porte bien son nom, et la poésie qui s’en dégage a le goût d’un monde coutumier encore à notre main, on y entre comme dans un film de Kaurismaki, même si la wifi est en accès libre non codé (hospitalité oblige), heureux de trouver ici du mat, du mal isolé, du bordélique, du poussiéreux, des édredons anciens et des brocs, des courants d’air froid et des poêles très chauds, des gens qui trainent au lit et des matinaux (que nous sommes, avec Char), des groupes et des solitaires, des punks et des artistes bruts et les pensionnaires d’humapsy.

    Un lieu donc entièrement fait main, situé entre campagne et faubourg ouvrier décati, et les grands échangeurs Sncf partiellement délaissés ; de l’autre coté des voies, la gare géante, la salle polyvalente de la mairie, et le super U, trois paquebots surdimensionnés, plus loin les collines de l’Auxois, Alésia… où paissent les vaches qu’on amène ici hélas par camions vers l’abattoir pas très éloigné… et ses ouvriers tristes heureux de trouver ici un lieu où leur mémoire n’est pas négligée.

    Un lieu donc, où l’on entre presque comme dans un moulin, un lieu où sont nés ces dernières années deux beaux enfants joyeux, un lieu où une belle écriture (celle d’Alexis, dont la mienne se sent un peu cousine, dans la zone du « pré » chère à Ponge et Oury) s’écrit à même la vie, répondant à comme un sentiment de précarité ;
    un lieu où j’aimerais bien être ces jours de triste confinement !

    Valérie Marange
    8 avril 2020

    Tout au long de l’été 2013, nous avons assisté, sans y être pour le moins préparés, à la naissance d’un lieu – lieu de fabrique et d’un habiter possible. Au fil de l’eau. Construction précaire d’une aire de séjour. Un nous est apparu, aux contours indistincts d’abord, puis s’organisant, faisant apparaître peu à peu les tracés d’un vivre ensemble à explorer. Un nous peuplé de multiplicités - visiteurs occasionnels, passagers ou habitants - dont chacune a permis de révéler le lieu, de porter un regard neuf ou circulaire, de deviner les intervalles, d’envisager le non-frayé.

    Quels étaient les outils avec lesquels nous allions pouvoir travailler et comment les façonner à notre main, non seulement les outils fragiles, délaissés, puis réappropriés et dont il fallait prendre soin au jour le jour, mais aussi les outils à mettre en partage pour penser un habiter commun et le lieu en tant qu’il n’était pas encore apparu, pour en faire l’expérience concrète tout en maintenant la juste distance, en continuant de fréquenter les lisières, de « buissonner les marges » ; opérateurs logiques qu’il nous fallait travailler au jour le jour pour inventer le « quotidien incertain de la quincaillerie », tel ce journal autour duquel nous avions commencé et continuons à tourner.

    Se tenir au plus près de l’émergence, de ce qui se passe, sans toujours chercher à provoquer le geste adéquat, pour voir apparaître et se dessiner une géographie, le lieu et ses entours, tentative de comprendre le paysage et ses lointains, les bordures, les parcelles et les circulations périphériques…
    La Quincaillerie des Laumes est traversée par des courants, à la recherche d’agencements collectifs, soucieuse de leurs devenirs et lignes fractales ; paysage mouvant bordé par la rivière, tantôt limpide et claire, tantôt sombre, impétueuse, bouillonnante, où il s’agit de faire résonner entre elles les présences, telles des harmoniques… Un lieu qui cherche à se profiler à travers son cheminer propre.