Stéphane Bortzmeyer

Je suis un homme du siècle dernier, j’essaie de m’adapter, mais je n’en ai pas vraiment envie.

  • À propos de l’artisanat et de la perte de compétences (ça concerne surtout la programmation informatique mais je crois que ça peut se généraliser facilement à d’autres domaines).

    « Cela fait longtemps que je n’avais pas écrit. Si je reprends aujourd’hui le chemin de l’écriture, cela ne sera pas pour vous parler de « geekeries » ou autres « nerderies » en tout genre. Dans ce très long billet de blog, je vais aborder le difficile sujet d’une espèce en voie d’extinction : les vieux software crafters autodidactes dont je fais partie. Je vais donc vous parler des vieux techos à travers moi, de l’évolution du marché ces 25 dernières années, du burn-out qui m’est arrivé et de la remise en question qui s’ensuit. »

    https://www.emaxilde.net/posts/2020/07/18/je-fais-partie-d-une-espece-menacee-d-extinction.html

    • Je vais lire ça plus tard, avec gourmandise. Je suis en cours d’embauche. J’ai deux flux de candidats. Ceux depuis une plateforme 2.0. Ceux depuis un recruteur 1.0. Des deux côtés, je reçois de jeunes diplômés de tous horizons, avec une première expérience. Ils ont presque tous en commun de ne pas savoir écrire une fonction récursive, la même en itérative est médiocre, leur connaissance du SQL est parfois correcte, mais jamais avancée.
      Le plus drôle, parmi ceux qui passent le barrage du test d’algo/sql, c’est que je trouve un gars qui a fait son contrat de professionnalisation dans une entreprise qui ne bosse que sur AS400. Ou l’autre qui est bloqué sur de la maintenance d’un soft en PHP4... Les pauvres. Je comprends leur besoin de changer. Mais... pourquoi ils ne se mettent pas au courant de ce qu’est REST, la sérialisation, ce genre de choses ?...

    • Moi ce qui me saute aux yeux en plus de la mode, c’est : les chef⋅fes de projet ne servent à rien, si ce sont des chef⋅fes justement, des gens au dessus des technicien⋅nes, payés plus, et avec un pouvoir en plus.

      Si on parle de gens qui font de la gestion de projet, qui font circuler l’information, qui planifient, qui rappellent, etc, oui il en faut souvent, d’autant plus que les projets sont gros. Mais dans ce cas, ces personnes ne sont pas cheffes, ni plus ni moins nécessaires que les techos (devs, admins sys…). Tout le monde devrait toujours être payé à peu près pareil (voire vraiment pareil), et les choix techniques décidés en commun. Ah oui mais c’est dans les coopératives ça…

      Il faut supprimer ce poste et le renommer pour un intitulé non hiérarchique, au même niveau que les devs, pour les projets où on a besoin de gens qui font ça.

      #démocratie #coopérative

    • Tout ce que je réalise ne me semble plus avoir beaucoup de sens. Dorénavant, la qualité technique importe peu aux clients. Ce qu’ils souhaitent c’est un truc qui marche vite, qui soit surtout pas cher et livré a une date déjà définie. On s’en fiche que ce soit bien fait, évolutif et durable. Nous sommes de plus en plus loin de l’artisanat et de l’amour du travail bien fait.

    • Vite. Pas cher. Lean management. Flux tendu. On retrouve ça à tous les étages de nos sociétés productivistes et marchandisées. Le domaine de l’informatique y est spécialement exposé vu que tous les six mois (d’après la légende) le hardware et le software deviennent obsolètes. Et fatalement, l’auteur du billet, Olivier Poncet, a été victime d’un épuisement professionnel causé par le surmenage (boosté par le #télétravail en période confinée) et la perte de sens de son activité. Faudrait-il s’en étonner ?

      #burn_out #obsolescence #isolement #précariat #high_tech #low_income

    • Ce texte fait absolument écho à une longue conversation que j’ai eu hier avec une amie codeuse et c’est un peu un baume de ne pas se sentir trop seules à souffrir de cette maltraitance moderne.

      Perso mon sentiment de codeuse est amer, quand je vois qu’ont été gâchées nos possibilités de développer nos capacités et que c’est finalement la misère financière qui nous/m’accompagne depuis 20 ans pour avoir refusé de faire de la merde à gafa et des codes à clic. (En plus d’être une femme dans un monde d’hommes)
      Pourtant là où je me suis éclatée, c’est à concevoir et coder des applications solides et abouties et qui permettent d’anticiper des évolutions. En face, souvent le client pige que dalle, il veut du beau pas cher rapidement et a tellement d’ignorances et préjugés que le petit requin nouveau venu qui manage sa carrière sur FB s’est imposé en m’insultant et a commencé par effacer mes codes pour sabrer mon travail.
      Je n’ai jamais voulu être dans ce jeu là, sans éthique, sans enthousiasme, sans enjeu intellectuel.

      #artisanat_web

    • Je commence à comprendre pourquoi j’ai tellement de mal à trouver des logiciels en ligne qui ne se résument pas à « appuie sur le bouton Docker pour installer », ce qui me fait divinement chier.

      À mon petit niveau, j’aime paramétrer moi-même et franchement, dépoter une BDD, ce n’est pas la mer à boire et tu vois ce que tu fais.

      Déjà, je supporte de moins en moins les logiciels « encapsulés », genre les Snap et consors qui pèsent des âmes morts alors que toute l’élégance de Linux, c’est le système de dépendances qui permet de partager les librairies au lieu de charger 50 fois la même pour 50 logiciels différents.

      Et ne parlons pas des trucs sous Electron…

    • @biggrizzly oui oui, c’est pas hyper grave, c’est une situation que j’ai appris à repérer et j’en avais prévenu le client qui a fait sourde oreille. Mais voila, du fait de cette reprise en quelques mois un travail de 10 ans s’effondre avec un client qui commence seulement à s’en affoler sauf qu’il est trop tard, il va devoir cracher au bassinet pour tout refaire avec les nouveaux venus. C’est porteur pour personne en fait, plusieurs anciens ont déjà quitté le navire totalement démotivé·es et d’ici quelques mois je vais devoir annoncer que dans de telles conditions je ne peux plus assurer de suivi.
      Tous perdants, sauf les presses boutons qui ont le champ libre pour remplir leurs poches.

    • C’est l’opportunité de pouvoir revenir, peut-être, un jour, en changeant les conditions financières. Mais oui, 10 ans de boulot perdu, c’est rageant. J’ai eu un aller-retour sympa récemment. 15 ans de développement sur un logiciel sur-mesure. Puis décision stratégique, le client passe sur un progiciel standard. On se fait un peu d’argent au passage, en assistance au démantèlement (j’ai pour principe de toujours collaborer pleinement au départ de mes clients, limite en en faisant trop). Puis deux ans après, le patron qui me rappelle... Il revend mais garde une partie de son groupe et souhaite repartir comme en 40, parce que le truc standard, il n’y comprend que pouic, et qu’il préfère ce qu’on avait fait ensemble. L’autre bouzin était orienté compta ana, et pas production. Bref. Ceci dit, deux ans de plus, et il a vendu à nouveau, et le repreneur veut à nouveau utiliser un standard. Et bon... J’ai eu un appel pour les assister il y a quelques mois, puis plus rien. Et autant que je sache ils n’ont pas encore commencé à passer sur le nouveau logiciel. Mon avis, c’est qu’ils seront mieux. Ils ne savent pas ce que c’est qu’avoir un spécifique, ils ne savent pas qu’il faut réfléchir en collaboration pour décider d’une façon de travailler, etc. Ils préfèrent un logiciel et un éditeur qui leurs imposent tout, car du moment que leurs concurrents ont le même logiciel, ça leur va (informatique poste de coût vs informatique avantage concurrentiel/outil de productivité).

      J’ai un autre cas où la patronne s’associe avec une ex-collab’. La nouvelle associée a un surnom : le char d’assaut. Quand il y a un problème, elle prend tout le monde de haut et décide sans tenter de comprendre. Un jour, on a reçu un mail dont le message était « je ne comprends pas votre métier, mais vous êtes incompétents ». Ils décident de partir en infogérance avec l’éditeur de leur logiciel. Je leur avais expliqué un an avant qu’en terme de réactivité et de pertinence, ça ne serait pas pareil, et que je leur déconseillais compte tenu de leurs attentes. Cela me coûtait, je n’aime pas cette personne. Mais la patronne, je l’apprécie bien. Et donc, cette année, ils devaient partir. Et ils ne sont pas encore partis. Le confinement est passé par là. Mais ils doivent partir. Et le repreneur ne m’a pas vraiment encore contacté. Et quand ils vont partir pour de bon, les utilisateurs n’auront plus leur bureau à distance. Et personne n’a encore réellement, chez eux, considéré ce que serait la vie sans bureau à distance. Ça va leur faire mal. J’ai fait mon deuil de ce client, mais mon collab’ qui est en contact avec le client au quotidien en avait gros sur la patate, car il se sentait responsable de ce départ. Sauf que maintenant, il constate que les autres collaborateurs du client se barrent. Et ils parlent. Du char d’assaut qui fait des dégâts. Décision stupide, pas de remords à avoir. Faut juste ne pas oublier de facturer le temps que les crétins nous réclament du fait de leurs décisions.

    • Très intéressant ton témoignage @biggrizzly

      Faut juste ne pas oublier de facturer le temps que les crétins nous réclament du fait de leurs décisions.

      Oui, mais non, parce que les crétins refusent de voir leur défaillance et ton char d’assaut résume parfaitement l’affaire « je ne comprends pas votre métier, mais vous êtes incompétents ». Ce que j’apprécie c’est échanger, comprendre les demandes, cogiter, proposer et réaliser pour que tout le monde soit satisfait et je passe aussi du temps à vulgariser mon métier. J’ai pris l’habitude de travailler avec plaisir et pas sous contrainte débile, donc vraiment sous le sceau de la confiance. En dehors, je perds réellement toute capacité à avancer. Si l’argent devait être mon seul moteur, le coût serait prohibitif. Je sais bien les économies qui motivent mes divers diffuseurs parce que je suis indépendante agessa/urssaf et qu’ils peuvent me jeter comme un chinois (paix aux chinois surexploités) sans se préoccuper si j’ai des indemnités en cas de maladie, voire des congés ou du chômage, droits sociaux que le statut d’autrice me refuse en plus d’être souvent dans la case sousousoustraitante avec une ribambelle de sursursurtraitants qui mangent sur mon dos.

      Et pour finir, j’adore cette phrase "Si vous payez des cacahuètes attendez vous à un travail de singe." parce que oui, tout travail mérite rémunération correcte.