GillesM

Eurafricain, acteur modeste du renforcement des organisations de la société civile en Afrique de l’Ouest

  • "Au Sahel, le spectre de la menace fantôme" + "L’armée française arme ses drones, mais le débat est confisqué" : 2 articles de Rémi Carayol sur Mediapart > Versions intégrales.
    https://www.mediapart.fr/journal/international/060920/au-sahel-le-spectre-de-la-menace-fantome

    Au Mali, où deux militaires français ont encore été tués, au Niger ou au Burkina Faso, les groupes djihadistes ont revu leurs pratiques en raison de la présence de drones armés par l’armée française. Mais la crainte de ce qui peut venir du ciel affecte aussi les populations civiles.

    https://www.mediapart.fr/journal/international/060920/l-armee-francaise-arme-ses-drones-mais-le-debat-est-confisque
    "Officiellement, un drone de l’armée française a frappé pour la première fois le 21 décembre 2019 au Mali. Depuis, cela ne s’arrête pas. Mais on ne connaît jamais les cibles visées, ni le bilan exact des frappes."

    "Au Sahel, le spectre de la menace fantôme - 6 sept. 2020 Par Rémi Carayol - Mediapart.fr"

    Au Mali, où deux militaires français ont encore été tués, au Niger ou au Burkina Faso, les groupes djihadistes ont revu leurs pratiques en raison de la présence de drones armés par l’armée française. Mais la crainte de ce qui peut venir du ciel affecte aussi les populations civiles.

    C’est la petite musique du moment : en dépit des nombreuses violences commises dans la région, y compris par les forces de sécurité alliées à l’armée française, et malgré le coup d’État qui a contraint le président malien à démissionner le 18 août, la France serait sur la bonne voie au Sahel.

    Responsables politiques et militaires se sont succédés ces derniers mois dans les médias pour assurer que depuis le sommet de Pau organisé en janvier dernier, « l’ennemi » djihadiste a subi de nombreuses défaites, que les résultats de l’opération Barkhane, qui mobilise 5 100 soldats, sont probants, et que les drones n’y sont pas pour rien. « Le choix d’armer les drones a ajouté aux moyens dont dispose Barkhane une capacité d’action d’opportunité, explique l’état-major. Au Sahel, ils permettent la saisie d’opportunités contre des groupes terroristes particulièrement fugaces. »

    De fait, et même si deux militaires français ont encore été tués samedi au Mali, les groupes djihadistes ont dû revoir leurs pratiques. Plusieurs sources locales affirment qu’ils se font plus discrets sur le terrain depuis qu’ils savent que des drones peuvent les frapper à tout moment. « Ils ne peuvent plus se regrouper par dizaines, voire par centaines comme avant, pour lancer des offensives, affirme un très bon connaisseur de ces groupes et du Mali. Ils craignent d’être repérés et frappés par des drones. »

    Mais cette psychose ne touche pas seulement les combattants armés. Les civils aussi en sont la proie. Au Mali, au Niger ou encore au Burkina Faso, la nouvelle donne n’a pas échappé aux habitants des zones dans lesquelles la France mène des opérations militaires : eux aussi savent que celle-ci dispose désormais de drones armés, capables de frapper à tout moment. « C’est inquiétant, indique le chef d’un village du centre du Mali ayant requis l’anonymat, comme l’ensemble des habitants de cette zone en partie contrôlée par les djihadistes. Les avions, on les entend venir. Mais les drones, on ne les voit pas, on ne les entend pas, on ne sait pas d’où ils sortent. Ils représentent une menace permanente. »

    Un spécialiste de cette région, qui s’y rend régulièrement dans le cadre de ses missions pour une ONG, a constaté cette crainte naissante. « La peur des populations a décuplé depuis l’utilisation des drones armés », affirme-t-il. Elle les a poussées à changer leurs habitudes. « Avant, lorsque les djihadistes venaient dans un village, au marché ou au puits, ils attiraient une foule de curieux. Maintenant, les civils les évitent, car ils savent que les drones peuvent frapper à tout moment. Mais les djihadistes en sont conscients et ils font en sorte d’être souvent au contact des populations dans le but de s’en servir comme de boucliers humains. »

    Autre nouveauté : « Avant, lorsqu’il y avait une frappe quelque part, les populations voisines s’y rendaient dans les heures qui suivaient afin d’enterrer les personnes tuées, selon la tradition. Elles n’avaient rien à craindre. Mais, aujourd’hui, elles n’y vont plus, de peur d’être elles aussi victimes des bombes françaises. Elles savent qu’un drone peut rester sur place après une frappe. »

    L’une d’elles a particulièrement marqué les esprits. Les 6 et 7 février, Barkhane a, selon un communiqué officiel, « conduit une opération d’opportunité à l’ouest du Gourma ayant abouti à la neutralisation d’une vingtaine de terroristes ainsi qu’à la destruction de plusieurs véhicules ». Cette opération « a mobilisé ses moyens aériens sur très court préavis », dont un drone. Or, selon plusieurs témoignages recueillis par Mediapart, la frappe du 7 février aurait tué de nombreux civils.

    Ce jour-là, des habitants de la zone se trouvaient à Fatawada, un campement nomade situé dans les environs de Gossi, et étaient sur le point d’aller récupérer les corps des djihadistes tués la veille (dans le but de procéder à leur inhumation) lorsqu’ils auraient été ciblés à leur tour par un drone. Certaines sources parlent de plusieurs dizaines de morts, parmi lesquels des femmes et des enfants.

    Difficile à vérifier dans cette zone inaccessible, l’information est relayée par de nombreuses sources locales et prise au sérieux par la mission des Nations unies au Mali (Minusma). Sollicité par Mediapart en mars dernier, l’état-major avait réfuté ces accusations.

    Selon une source onusienne, cette frappe a choqué les populations et leur aurait fait prendre conscience de la menace que font désormais peser les drones sur leurs propres vies. « La connaissance des drones est très fluctuante sur le terrain, mais les populations se savent “surveillées” », souligne cette source basée à Bamako.

    Jamais la question des conséquences sur les civils survolés par des drones n’a été abordée en France. Dans les rares rapports publics consacrés à l’armement des drones, seuls les aspects stratégique et éthique sont abordés, et seulement du point de vue français. Pourtant, le retour d’expérience des États-Unis en Afghanistan, au Pakistan et au Yémen a montré à quel point l’utilisation de drones armés pouvait être néfaste pour les populations civiles.

    Dans une étude publiée en avril 2016 par l’Oxford Research Group, intitulée « Drone Chic », trois chercheurs constatent que l’usage de drones armés au Pakistan et en Afghanistan a eu « des conséquences profondes » pour les populations au sol. Il a « changé les pratiques culturelles et provoqué des troubles psychologiques », notent-ils. Parmi ces troubles : anxiété, insomnie, paranoïa… Dans ces pays, un ciel bleu est synonyme de danger.

    Le philosophe Grégoire Chamayou, qui s’est intéressé de près à la question des drones tueurs américains dans un ouvrage remarqué (et très peu apprécié des militaires), Théorie du drone (La Fabrique éditions, 2013), note, en citant plusieurs études et reportages, que « les drones pétrifient. Ils produisent une terreur de masse, infligée à des populations entières. C’est cela, outre les morts et les blessés, les décombres, la colère et les deuils, l’effet d’une surveillance létale permanente : un enfermement psychique, dont le périmètre n’est plus défini par des grilles, des barrières ou des murs, mais par les cercles invisibles que tracent au-dessus des têtes les tournoiements sans fin de miradors volants ».

    Et de citer David Rohde, journaliste du New York Times qui fut kidnappé et détenu pendant sept mois au Waziristan en 2008. Celui-ci parle d’un « enfer sur terre » à cause des drones : « Le bourdonnement lointain du moteur sonne comme le rappel constant d’une mort imminente. »

    Ces conséquences ne sont pas seulement dommageables d’un point de vue moral. Elles interrogent quant à l’intérêt stratégique de procéder à ce type de frappes et sur leurs effets à long terme.

    Chamayou note que « la chasse à l’homme dronisée représente le triomphe, à la fois pratique et doctrinal, de l’antiterrorisme sur la contre-insurrection. Dans cette logique, le décompte des morts, la liste des trophées de chasse se substituent à l’évaluation stratégique des effets politiques de la violence armée ». Or, si les drones excellent à « pulvériser des corps à distance », ils sont « inaptes à gagner les “cœurs et les esprits” » – le b.a.-ba de toute stratégie contre-insurrectionnelle, qui est aussi une composante non négligeable de l’opération Barkhane.

    Alors que des militaires français tentent depuis plusieurs années, à travers des micro-projets (construction d’un puits ou d’un marché, don de matériel ou promulgation de soins gratuits, etc.), de « séduire » les populations sahéliennes dans le but de les faire basculer de leur côté, les frappes de drones pourraient aboutir à l’effet inverse.

    "L’armée française arme ses drones, mais le débat est confisqué – Médiapart – 6/9/2020 – Rémi Carayol"

    Officiellement, un drone de l’armée française a frappé pour la première fois le 21 décembre 2019 au Mali. Depuis, cela ne s’arrête pas. Mais on ne connaît jamais les cibles visées, ni le bilan exact des frappes.
    Au centre du Mali, dans les villages les plus reculés du Gourma, plus personne, y compris ceux qui sont dépourvus d’électricité et parfois de réseau téléphonique, ne l’ignore : les drones de l’armée française qui volent dans le ciel par jour de beau temps, invisibles à l’œil nu et inaudibles, ne se contentent plus de surveiller les allées et venues des combattants djihadistes ; désormais, ils frappent.
    Dans un silence de mort, sans que rien ne puisse alerter les populations au sol, ces engins pilotés depuis la base de Niamey, au Niger, lâchent des bombes de 250 kilos guidées par laser, des GBU-12, capables de tuer tout ce qui se trouve dans un rayon d’une dizaine de mètres autour de la cible. Précision : 9 mètres. Rayon d’action : 12,8 km.
    Mais qui, en France, s’en préoccupe ? Combien de Français savent que depuis plus de six mois, leur armée a rejoint le concert restreint des nations possédant des drones tueurs (on en compte une dizaine, parmi lesquelles les États-Unis, le Royaume-Uni, Israël, l’Arabie saoudite ou encore la Turquie), et qu’elle les utilise au Sahel au nom de la lutte antiterroriste ?
    La publicité, lors de l’annonce officielle de l’armement des drones le 19 décembre dernier, en pleine période de fêtes, a été minimale : un communiqué de la ministre des armées, Florence Parly, suivi de quelques articles sur le site du ministère et dans la presse spécialisée.
    Depuis, ça n’arrête pas : selon le journaliste Jean-Marc Tanguy, spécialiste des questions militaires, les avions de chasse et les drones déployés au Sahel auraient largué plus de GBU durant les quatre premiers mois de cette année que tout au long de l’année dernière, lorsque seule la chasse bombardait la zone. Mais on ne connaît jamais les cibles visées, ni le bilan exact de ces frappes, ni même l’identité de leurs victimes. Les drones tuent, mais on ne sait pas qui, ni pourquoi.

    Cette opacité est le fil conducteur de l’histoire des drones en France : depuis que le débat sur leur armement est ouvert, tout est fait pour qu’il ne déborde pas sur l’espace public et reste confiné aux professionnels de la guerre.

    Alors délégué général pour l’armement, Laurent Collet-Billon avait annoncé la couleur en 2014 lors de son audition devant les sénateurs : « Une question majeure demeure : le second système de drone MALE [acronyme de « moyenne altitude longue endurance » – ndlr] doit-il être armable ou non ? N’ouvrons surtout pas le débat. L’important est de les obtenir vite. On verra le reste après ! »

    « Il s’agit d’une tradition bien française, il n’y a aucune transparence en ce qui concerne les sujets liés à la défense, et plus particulièrement les OPEX [opérations extérieures – ndlr], déplore Aymeric Elluin, responsable de plaidoyer Armes et Justice internationale au sein de la section française de l’ONG Amnesty International. On peut en débattre en petit comité, mais jamais devant l’ensemble des Français. Le Parlement n’a aucun pouvoir en la matière. Sur ce sujet, on a un siècle de retard par rapport à d’autres pays, notamment les États-Unis. »

    « Le fonctionnement de la France se rapproche de celui de la CIA, qui ne publie rien, et jamais ne confirme ou n’infirme une attaque », abonde Chris Woods dans un récent numéro de la revue XXI (no 46, hiver 2020). Cet ancien journaliste a créé Airwars, une plateforme qui recense toutes les attaques de drones armés et leurs victimes sur l’ensemble de la planète. Pour lui, « c’est un problème intrinsèque à l’armée française, qui demande une véritable prise de conscience ».

    C’est en 2013, après d’interminables tergiversations liées notamment à des divergences de vue entre l’armée de l’air et l’armée de terre, que la France s’équipe en drones MALE : des Reaper MQ-9 achetés aux États-Unis. Il s’agit alors de les envoyer au plus vite dans le ciel sahélien, où l’armée française se bat depuis le début de l’année. Et il n’est pas question de les armer – du moins pas publiquement.

    Les militaires y sont favorables, mais pas Jean-Yves Le Drian, l’inamovible ministre de la défense de François Hollande. « Il craignait des réactions négatives à gauche », estime un ancien de ses collaborateurs à l’hôtel de Brienne. Aucune étude ne le prouve, mais tout le monde est persuadé que l’emploi de drones armés est mal vu en France. L’exemple américain, médiatisé notamment par le film Good Kill, sorti en salles en 2015, et disséqué par le philosophe Grégoire Chamayou dans un ouvrage publié en 2013 (La Théorie du drone, La Fabrique éditions), fait figure d’épouvantail.

    Au fil des ans, les Américains ont fait du drone leur arme de prédilection. Leur armée mais aussi la CIA en possèdent des centaines, qui survolent en permanence les ciels de l’Afghanistan, du Pakistan, du Yémen et de la Somalie, et qui frappent très souvent, y compris des civils. Selon le Bureau of Investigative Journalism (BIJ), qui recense toutes les frappes de drones américains, entre 910 et 2 200 civils pourraient avoir été tués par des attaques de drones dans ces quatre pays ces quinze dernières années.

    En février 2013, un sénateur américain, Lindsey Graham, affirmait que les attaques de drones de la CIA avaient tué 4 700 personnes. « Parfois on frappe des personnes innocentes, ce que je déteste, mais nous sommes en guerre, et nous avons tué plusieurs hauts responsables d’Al-Qaïda », affirmait ce républicain. Airwars avance de son côté le chiffre de 2 214 civils tués en Syrie, en Irak, en Libye et en Somalie, par des engins américains, mais aussi turcs, saoudiens ou israéliens. Difficile dans ce contexte « d’employer une arme si décriée », admet Chris Woods, le fondateur de l’ONG.

    L’élection d’Emmanuel Macron en 2017 change tout. Quelques jours après son investiture, un rapport réalisé au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat ouvre la voie à l’armement des drones. Comme souvent au sein de cette commission, ses auteurs, Cédric Perrin et Gilbert Roger, recyclent tous les arguments avancés par les militaires. « C’est efficace, économique, et cela permet une meilleure protection des troupes », loue encore aujourd’hui Cédric Perrin, sénateur du Territoire de Belfort. Lors de leur enquête, ils ont auditionné la crème de l’armée et de l’industrie de guerre de la France : Safran, Airbus, Dassault… « On a aussi entendu Amnesty », ajoute le sénateur.

    « Avec un avion de chasse, on ne fait pas d’assassinat ciblé. Avec un drone, si »
    Mais personne n’est dupe : il s’agissait d’un plaidoyer sans équivoque en faveur de l’armement des drones. « Afin d’éviter de susciter des craintes infondées, notent les sénateurs, il convient, en premier lieu, de rappeler les points suivants : la France ne possède que quelques drones MALE (une douzaine à terme) et ce faible nombre interdit de facto d’opter pour la politique d’utilisation massive des drones armés qui est reprochée à certains pays [...] ; l’armée de l’air utilise les drones in situ et non à distance, ce qui relativise l’idée d’une guerre sans risques, à l’origine de nombreuses critiques ; tout comme pour les autres armes, l’utilisation des drones armés par nos forces se conformerait au droit international : respect des règles permettant l’entrée en conflit [...] et respect des règles du droit international humanitaire [...]. »

    La porte est ouverte, il suffit de la pousser. Quelques semaines plus tard, le 5 septembre 2017, à l’occasion de l’Université d’été de la défense organisée à Toulon, Florence Parly, qui estime que les enjeux « ont été parfaitement identifiés et expliqués » par les sénateurs Perrin et Roger, annonce sa décision d’armer les drones. « Les drones sont devenus des moyens incontournables dans les opérations que nous menons au Sahel », déclare-t-elle, tout en précisant que « les règles d’engagement pour les drones armés seront strictement identiques à celles que nous appliquons déjà ».

    Depuis lors, les militaires et les responsables politiques vendent le même « storytelling » : la France n’est pas les États-Unis, clament-ils, et l’on ne reproduira pas les excès constatés au Pakistan ou au Yémen. Selon le sénateur Perrin, l’armée française aurait des règles d’engagement plus rigoureuses et disposerait de meilleurs garde-fous – comme si l’armée américaine n’en avait pas.

    Plusieurs militaires contactés par Mediapart assurent que les règles d’engagement sont les mêmes pour un drone que pour un avion de chasse.

    Mais pour Aymeric Elluin, on oublie, en disant cela, de préciser que les caractéristiques du drone sont différentes de celles du Rafale : « Nous ne sommes pas opposés aux drones armés. Mais nous craignons des dérives. Avec un avion de chasse, on ne fait pas d’assassinat ciblé. Avec un drone, si. N’y a-t-il pas le risque, surtout au Sahel, de voir un glissement vers des pratiques inavouables qui ne respecteraient pas les règles des droits humains, comme des exécutions extrajudiciaires ? Le seul moyen d’éviter une dérive en la matière est de rendre transparentes la chaîne de responsabilité, les règles d’engagement et les enquêtes lorsqu’il y en a. »

    La France pratique depuis longtemps la peine de mort au Sahel – François Hollande ne s’en est jamais caché et Florence Parly ne l’a pas nié lorsque Amnesty l’a interrogée en novembre 2017 dans une correspondance privée.

    Une liste de « high value targets » (cibles de haute valeur) a été établie dès le début de l’opération Serval, menée au Mali entre 2013 et 2014, et ceux qui la composent, des chefs des différents groupes djihadistes, doivent être éliminés. De fait, plusieurs d’entre eux ont été tués ces dernières années, dont l’émir d’Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi), Abdelmalek Droukdel, exécuté le 3 juin dernier au nord du Mali par des hommes au sol, et non par une frappe de drone.

    Présentés comme des succès militaires, ces assassinats ciblés n’en restent pas moins problématiques sur le plan éthique. Mais là aussi, les responsables politiques et militaires préfèrent ne pas en parler. Une étude consacrée aux « aspects juridiques et éthiques des frappes à distance sur cibles humaines stratégiques », et notamment au « niveau d’acceptabilité de ce type d’action », copubliée en mars 2014 par l’IRIS (Institut de relations internationales et stratégiques) et le ministère de la défense, avait pourtant abordé le sujet sous toutes ses coutures.

    On peut notamment y lire qu’aucune enquête d’opinion n’a été menée auprès de la population française au sujet des drones armés, pour deux raisons surprenantes : d’abord « parce qu’il n’est guère possible en six mois, avec des moyens réduits, de mener une telle enquête » ; ensuite parce que « le sujet est sans doute trop sensible pour prendre le risque d’aller recueillir les appréciations auprès d’un échantillon massif de citoyens sans déclencher des réactions éventuellement hostiles ».

    Autrement dit : les Français pourraient y être opposés et cela demanderait du temps et de l’argent, mieux vaut donc ne pas leur demander leur avis… Les auteurs de l’étude ont préféré plus confortablement enquêter auprès des « prescripteurs d’opinions » : partis politiques, journalistes spécialisés défense, responsables religieux et organisations de défense des droits humains. La plupart ont refusé de se prononcer.

    L’étude relevait tout de même un point important : « Même si la politique américaine est l’objet de la condamnation médiatique, il semble évident que les opérations que les forces armées françaises pourraient mener à l’avenir avec des outils similaires, risquent d’être assimilées à celles des États-Unis [...] et frappées du même opprobre si les armées ne mettent pas en place un certain nombre de mesures d’accompagnement de leur action. »

    Parmi ces mesures, l’étude, qui évoquait un besoin de transparence, proposait de renforcer le contrôle sur la prise de décision concernant l’utilisation de drones armés. Elle recommandait également de « prévoir une information du Parlement a posteriori et à huis clos, en prenant toutes les précautions requises en matière de discrétion ». Aucune de ces propositions n’a été adoptée.

    Le rapport du Sénat qui a ouvert la voie au ministère des armées pour armer les drones défendait lui aussi « la nécessité d’une certaine transparence ». Les sénateurs proposaient l’organisation d’un débat au Parlement sur la question – celui-ci n’a jamais eu lieu – et prônaient « une information régulière de la représentation nationale » – cela n’a jamais été fait.

    Afin de « prévenir certaines critiques infondées », ils jugeaient utile de « mettre en place des mesures de transparence », comme c’est le cas aux États-Unis et au Royaume-Uni. Ils enjoignaient aux autorités de « communiquer sur les frappes menées au cours de conflits », et, « en cas d’éventuel dommage collatéral d’ampleur causé par un drone armé », à « rendre publics les résultats des investigations menées » sur le terrain. « Un bilan des frappes, avec le nombre de combattants ennemis neutralisés et les éventuels dommages collatéraux, pourrait être périodiquement publié », détaillaient-ils.

    Or, depuis huit mois, le ministère des armées et l’état-major refusent de donner ces informations, même lorsqu’il y a une suspicion de victimes civiles, comme ce fut le cas au mois de février au Mali (lire ici l’enquête de Mediapart). Questionnée à de multiples reprises par Mediapart sur les circonstances dans lesquelles les drones français ont frappé au Sahel (lieu exact, contexte, cible, nombre de victimes, identité des victimes), l’institution militaire est restée muette.

    #Afrique #France #Sahel #Conflits #Drones_armés