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récoltes et semailles

  • « Souveraineté numérique : les câbles sous-marins, un enjeu aussi important que la 5G ». La tribune de Cyrille Dalmont, chercheur associé à l’Institut Thomas-More https://www.lopinion.fr/edition/economie/souverainete-numerique-cables-marins-enjeu-aussi-important-que-5g-225405

    Le débat sur la souveraineté numérique relatif à la 5G fait rage depuis quelque temps en France, en particulier en raison des risques pour notre souveraineté et notre sécurité intérieure que soulève une éventuelle participation de l’entreprise Huawei au déploiement des antennes relais. Ce débat, selon des modalités et une intensité variables, la plupart des pays occidentaux l’ont ou l’ont eu. La 5G et ses implications (comme la crise sanitaire d’ailleurs) nous ramènent inévitablement aux fondamentaux de la politique : qui commande ? Qui dit « nous voulons » ?

    Mais une autre guerre des mondes sévit dans le même temps à bas bruit : celle des câbles internet. La réalité est simple : pour les communications internationales, plus de 99% du trafic Internet passe par des #câbles_sous-marins. En 2020, on en recense près de 380 à travers le monde, pour un total de 1,3 million de kilomètres posés. (…)

    Accélération chinoise. Sur le terrain, la Chine est particulièrement offensive et son fer de lance était jusqu’à il y a peu la société #Huawei marine networks, créée en 2008. Dans le cadre des « Routes de la soie numériques », elle a travaillé à elle seule sur près d’une centaine de projets de construction ou de modernisation de liaisons par fibre optique sur les fonds marins. Cet expansionnisme a connu un coup d’arrêt avec l’embargo récent (15 mai 2019) de l’administration Trump à l’encontre de la firme chinoise Huawei. Accusé d’espionnage à grande échelle au profit du gouvernement chinois, il est désormais interdit aux sociétés américaines de travailler avec le constructeur chinois. Donald Trump a encore haussé le ton en mai dernier et cet embargo s’applique désormais aux fournisseurs basés hors des Etats-Unis, dès lors que leurs produits ou services utilisent des technologies américaines, qu’il s’agisse de propriété intellectuelle, de logiciels ou d’équipements de production.

    Mais cet embargo sera vite contourné car la Chine a trouvé rapidement la parade : Huawei a annoncé en juin la cession de 51% de Huawei marine networks à Hengtong optic-electric, une autre entreprise chinoise. Bien évidemment, la Chine non seulement ne ralentit pas mais entend amplifier son programme de pose de câbles comme l’a confirmé, au retour de sa tournée européenne, le ministre des Affaires étrangères Wang Yi, lors de la signature d’un accord avec le Kazakhstan.

    De leur côté, les Etats-Unis, inventeurs d’Internet, dominent toujours aujourd’hui le marché mondial du transfert de données, notamment grâce à l’activité débordante des Gafam, en particulier Facebook et Google dont l’appétit pour la pose de câbles est à la hauteur des ressources, c’est-à-dire sans limite. Google possède ou contrôle aujourd’hui pas moins de 14 câbles (dont trois en propre). Facebook en possède 10, Microsoft quatre et Amazon trois.

    Si elle est moins dépendante des câbles sous-marins que les Occidentaux, en raison du continuum de son territoire, et moins active dans la pose de câbles, la Russie, quant à elle, n’hésite pas à jouer les trouble-fêtes avec ses mini-sous-marins espions de plongée profonde à propulsion nucléaire, connus sous le terme russe AGS. Ou à mettre la pression sur des pays de son environnement pour imposer sa volonté quant au choix d’une société de pose de câble.

    C’est ce qui s’est passé en Géorgie, pour le groupe azéri Neqsol avec l’acquisition de Caucasus Online, seule société géorgienne détenant la gestion du réseau de fibre venant d’Europe à travers la Mer Noire, dans le cadre d’un projet de route de fibre optique entre l’Europe, la Géorgie, l’Azerbaïdjan, le Kazakhstan et l’Asie, qui devait permettre une alternative aux routes terrestres actuelles à travers la Russie. Cette opération, finalisée en 2019, est bloquée depuis juillet, la Commission nationale géorgienne des communications semblant chercher tous les moyens d’annuler la vente. Tous les coups sont ainsi permis dans cette guerre où le droit du plus fort devient le droit tout court.

    Et l’Europe dans tout cela ? Dans ce domaine comme dans tant d’autres, dotée d’une expérience industrielle indéniable (notamment avec le groupe Alcatel submarine networks, désormais filiale de Nokia) mais privée de direction comme de volonté politique, elle n’a ni stratégie, vision de long terme. Les entreprises européennes se contentent donc le plus souvent de participer à des projets de groupement internationaux telle que le projet 2Africa de câble sous-marin de 37 000 kilomètres reliant 23 pays d’Afrique, du Moyen-Orient et d’Europe et s’étendant vers l’Asie. (…)

    Les câbles sous-marins au centre des tensions entre Pékin et Washington https://www.zdnet.fr/actualites/les-cables-sous-marins-au-centre-des-tensions-entre-pekin-et-washington-399105

    Dernière illustration en date début septembre, lorsque Facebook et Google ont dû renoncer à leur ambitieux projet de câble sous-marin reliant Los Angeles à Hong Kong, baptisé "Pacific Light Cable Network" (PLCN). Annoncé initialement en 2016, ce projet constitué de six paires de fibres optiques visait pourtant à connecter directement Hong Kong à Los Angeles. Un trajet de près de 13 000 kilomètres, qui a dû être remanié en catastrophe afin d’obtenir l’approbation du régulateur américain, dont la direction est réputée proche de l’administration Trump – particulièrement hostile au régime chinois.

    En juin dernier, le gendarme américain des télécoms avait en effet refusé l’exploitation de ce système de câbles sous-marins se connectant directement à Hong Kong, arguant que ce projet serait contraire à l’intérêt de la sécurité nationale américaine.

    La FCC faisait également valoir que la grande capacité et la faible latence du réseau encourageraient le trafic de communication américain traversant le Pacifique à faire un détour par Hong Kong avant d’atteindre la destination prévue, ce qui augmenterait inutilement la quantité de données passant par les infrastructures contrôlées par le gouvernement chinois. Ce qui a conduit Google et Facebook à revoir leurs plans. Si Google et Facebook ont indiqué qu’elles déposeraient bientôt une nouvelle demande de licence « pour un système reconfiguré » acceptable par l’administration de Trump, celle-ci n’a toujours pas été rendue publique.