Articles repérés par Hervé Le Crosnier

Je prend ici des notes sur mes lectures. Les citations proviennent des articles cités.

  • Lecture critique : Mélanie Dulong de Rosnay, Hervé Le Crosnier (dir.), Propriété intellectuelle : géopolitique et mondialisation
    https://journals.openedition.org/lectures/11700

    Souvent conçue comme un problème des plus obscurs mais qui ne relèverait des compétences que des historiens du livre et de la technique, d’un côté, et des juristes spécialisés, de l’autre, la question de la propriété intellectuelle, dont le droit d’auteur n’est que l’un des avatars, est pourtant au centre des préoccupations actuelles, dans les cercles de la recherche, certes, dans les bureaux des industries, indubitablement, mais dans la société surtout, au cœur de l’espace public : c’est ce que démontrent les deux auteurs de ce livre salutaire qui mériterait d’être placé entre toutes les mains. Or, si la propriété intellectuelle est une préoccupation politique majeure, il importe d’en assurer à tous les citoyens une compréhension aussi complète que possible : c’est le projet du livre, qui entend allier, et allie en effet, précision et clarté.

    2L’ouvrage est divisé en sept parties. La première (« Une géopolitique de la propriété intellectuelle ») détaille le cadre du propos et les deux dernières (« L’accès aux savoirs » et « Construire un droit équilibré qui favorise l’expansion et le partage des cultures et des connaissances ») précisent le projet. Le cadre est celui d’une course à la propriété intellectuelle largement dominée par les pays développés, qui imposent leur propre mode de gestion aux pays émergents et se constituent de facto en seuls détenteurs d’une connaissance protégée par des ressources juridiques inextricables. Le projet est celui d’une pratique alternative du droit d’auteur, qui ne soit pas nécessairement indexée sur la propriété, qui favorise le partage, la circulation et la réutilisation des idées et des données, pratique loin d’être utopique, puisqu’elle se fonde sur des expériences déjà anciennes et toujours effectives. Les quatre parties centrales de l’ouvrage proposent une exploration systématique de la question, à l’intérieur de ce cadre (la propriété intellectuelle comme enjeu géopolitique) et avec le souci de ce projet (le partage des connaissances).

    3La place de la partie « Domaine public », en tête de l’ouvrage après la présentation générale, est programmatique. Les auteurs font un constat inquiétant : au regard de la course à la propriété intellectuelle, le domaine public n’est plus juridiquement défini qu’en creux, comme l’ensemble des productions de l’esprit qui échappent à l’administration juridique. De fait, c’est la propriété qui se trouve naturalisée. Il existe pourtant des définitions positives du domaine public, sur des critères de durée de la propriété, de nature de la production protégée et du public qui en a l’usage : ces critères positifs attestent bien qu’en principe, c’est la propriété qui est une exception à la communauté des connaissances.

    4Au regard de ce domaine public, le cas étudié dans la troisième partie, celui du régime de « La propriété littéraire et artistique », est une première sous-catégorie de la propriété intellectuelle. Après en avoir proposé un bref historique à partir de l’expansion de l’imprimerie à caractères mobiles, les auteurs reviennent sur la distinction entre droits moraux incessibles, témoignages du rapport privilégié entre l’auteur et son œuvre, et droits patrimoniaux, relatifs à l’exploitation de la production. Ce premier dispositif juridique, qui règle la propriété artistique dans certains pays européens et en Amérique latine, par exemple en France, doit être distingué du système du copyright, qui permet une cession bien plus importante des droits de l’auteur à un tiers, l’exploitant. Ces deux dispositifs, stabilisés vers la fin du dix-neuvième siècle, subissent à l’heure actuelle des renégociations, du côté des auteurs aussi bien que des intermédiaires.

    5Le second sous-ensemble de la propriété intellectuelle, c’est bien entendu « la propriété industrielle » et son outil privilégié : le brevet. Les deux auteurs commencent par définir le brevet d’invention et la conception de l’innovation techno-scientifique dans laquelle il s’insère, avant de mettre en évidence le mouvement d’extension des brevets depuis quelques décennies, dans deux directions principales : le brevetage de méthodes commerciales et relationnelles (le one-click d’Amazon) et le brevetage du vivant (les semences). Or, ce mouvement, dans les pays en développement, constitue également une offensive à l’endroit des systèmes économiques et culturels de partage des connaissances, par exemple dans le monde agricole, et l’offensive prend les apparences d’un cadeau empoisonné, par les propositions de formation de juristes spécialisés en brevets, qui répandent le modèle.

    6C’est qu’il faut se garder, comme le précise l’antépénultième chapitre, « Les institutions et négociations internationales », de concevoir les droits d’auteur, les brevets et toute la technologie administrative et juridique de la propriété intellectuelle, comme un ensemble de dispositions objectives. Pour les pays dominants, l’imposition du système est la garantie de la protection d’une économie déjà fonctionnelle tandis que pour des pays émergeants comme l’Inde, qui a développé la production de médicaments génériques, ce système est dangereux et contraignant. Plus encore, les organismes de gestion des brevets sont privés et tirent leurs bénéfices de la multiplication des brevets : ils ont donc intérêt à ce que la pratique se diffuse, dans de nouveaux domaines de la connaissance et de nouveaux territoires géographiques.

    7Loin du pur catastrophisme, l’ouvrage s’attache cependant à souligner les pratiques existantes susceptibles d’enrayer la machine de l’appropriation intellectuelle. Ainsi les ONG tendent à devenir des partenaires indispensables dans les négociations internationales, même si le fonctionnement interne de ces ONG ne doit pas être dépeint, les auteurs le soulignent, sous les couleurs idylliques de la démocratie participative : il repose au contraire sur l’activité représentative d’individualités remarquables. D’autres initiatives de groupes, constitués ou en réseaux, comme la pratique de l’open access, celle de l’open data ou celle des archives ouvertes, participent également d’un mouvement de contestation efficace.

    8En somme, cet ouvrage offre un tableau général extrêmement pédagogique des problèmes qui, sans dissimuler l’opinion des auteurs sur les questions abordées, présente le débat dans sa complexité. Contrairement à certains ouvrages de la même collection, « Les Essentiels d’Hermès », dont il faut rappeler qu’ils sont constitués à partir d’articles publiés dans la revue Hermès, celui-ci se distingue par l’extrême actualité tant de ses exemples et cas d’études que des références qui composent la bibliographie de chaque section et la bibliographie générale. Un glossaire en facilite encore la consultation. Ses qualités de présentation, la richesse de son contenu, la diversité de ses exemples et l’urgence de ses problèmes, devraient donc faire de cet ouvrage une lecture en effet fort essentielle.
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    François-Ronan Dubois, « Mélanie Dulong de Rosnay, Hervé Le Crosnier (dir.), Propriété intellectuelle : géopolitique et mondialisation », Lectures [En ligne], Les comptes rendus, mis en ligne le 09 juin 2013, consulté le 13 octobre 2020. URL : http://journals.openedition.org/lectures/11700 ; DOI : https://doi.org/10.4000/lectures.11700

    #Hervé_Le_Crosnier #Mélanie_Dulong #Propriété_intellectuelle