• Champigny-sur-Marne : après l’attaque du commissariat, le désarroi des habitants
    https://www.lemonde.fr/societe/article/2020/10/13/champigny-sur-marne-apres-l-attaque-du-commissariat-le-desarroi-des-habitant

    C’est l’attaque « de trop », l’image « de trop », la goutte « de trop ». Pour les policiers, les représentants politiques, et les habitants. Mais pas forcément pour les mêmes raisons.

    La tentative d’intrusion d’une quarantaine d’individus armés de barres de fer au sein du commissariat de Champigny-sur-Marne (Val-de-Marne), planté au cœur du quartier populaire du Bois-l’Abbé, dans la nuit du samedi 10 au dimanche 11 octobre, a provoqué une onde de choc dans les rangs des forces de l’ordre, d’une partie de la classe politique, mais aussi parmi les Campinois, qui se disent « dévastés » par cet événement qui ternit une fois encore l’image de leur ville et compromet encore davantage l’avenir de leurs enfants.

    La vidéo du bâtiment ciblé par une pluie de tirs de mortiers d’artifice a été vue des milliers de fois sur Twitter. « Oh la la, tout ça ne va rien arranger à la réputation épouvantable du quartier , bougonne Micheline Coutelan, 77 ans, emmitouflée dans sa parka marron ceinturée, bonnet-béret vissé sur la tête. Je viens faire mes courses ici depuis des décennies et tout se passe bien pourtant. »

    Lundi, ils étaient une petite dizaine – acteurs associatifs, entrepreneurs et citoyens – rassemblés devant un magasin de téléphonie situé dans une galerie commerciale à ciel ouvert pour défendre leur quartier et se défendre contre le « lynchage médiatique et politique » dont ils ont le sentiment de faire injustement l’objet, déplore Mamadou Sy, associatif et conseiller municipal d’opposition.

    « Ces images ne reflètent pas la réalité de nos vies ici » , souligne-t-il. Comme s’ils étaient tous à mettre dans le même panier. « Racailles », « voyous », « petits caïds », « drogue », « zone de non-droit », « scènes de guerre » … Sur les réseaux sociaux et les plateaux de télévision, les commentaires fusent et « caricaturent chaque jour davantage notre territoire et ses habitants autour d’un fait isolé » , regrette M. Sy.

    « Arrêter de souffler sur les braises »

    Le matin même de l’attaque, le maire (divers droite) Laurent Jeanne s’était installé autour d’une petite table au marché afin de recueillir la parole et les doléances des résidents. Bilan : « Seulement une personne sur trente m’a parlé de problèmes de sécurité » , fait savoir l’élu, qui prévoit de créer une police municipale armée de vingt-deux agents d’ici dix-huit à vingt-quatre mois. Les sujets de préoccupation du quotidien portent davantage sur l’emploi et l’économie. « Une petite minorité, dont nous condamnons fermement les actes de violence, nuit à la grande majorité des habitants qui vivent tranquillement dans un quartier qu’ils aiment , affirme M. Sy. Les institutions doivent elles aussi jouer l’apaisement et arrêter de souffler sur les braises avec des mots très durs et souvent excessifs à notre encontre. »

    Durant quarante-huit heures, les responsables politiques de droite et d’extrême droite ont multiplié les déclarations d’indignation et de condamnation, tandis que le gouvernement sortait le grand jeu : le ministre de l’intérieur, Gérald Darmanin, doit rencontrer les syndicats de police ce mardi 13 octobre, le chef de l’Etat les recevra jeudi.

    « Les petits caïds n’impressionnent personne et ne décourageront pas notre travail de lutte contre les stupéfiants » , a réagi dimanche Gérald Darmanin sur son compte Twitter. « Le sujet, ce n’est pas la drogue, affirme Ismaël Baya, 25 ans, intérimaire dans la préparation de commandes. Ce n’est même pas vraiment l’histoire de l’accident de scooter, pas seulement en tout cas [une semaine plus tôt, la tentative d’interpellation d’un jeune homme à scooter qui faisait du rodéo sans casque s’est soldée par une chute et une fracture du fémur, certains accusant les forces de l’ordre d’être à l’origine de la chute]. Le problème, ce sont nos relations avec la police et les contrôles d’identité permanents. »

    Impossible de sortir fumer une cigarette en bas de son immeuble sans avoir droit à une fouille, affirment Ismaël et ses amis en chœur. « Les policiers croient qu’avec leur statut, ils peuvent tout se permettre avec nous, peste Mohamed, 20 ans, en BTS de comptabilité-gestion. On ne cautionne pas ce qu’il s’est passé samedi, mais c’est le seul moyen qu’ont certains jeunes pour s’exprimer et répondre. »

    « Le camp d’en face »

    C’est la même partie qui n’en finit pas. Policiers et jeunes des quartiers se renvoient la balle, chacun accuse l’autre de violences, chacun estime que « le camp d’en face » bénéficie d’un régime d’impunité intolérable, « et au final, personne ne gagne » , souffle un habitant, qui dit avoir la sensation d’être pris en otage entre quelques dizaines de jeunes qui attaquent un bâtiment public et des politiques qui sont dans l’urgence et la démonstration de force, « mais jamais dans le dialogue avec nous » .
    Lundi, à la mi-journée, plusieurs dizaines de fonctionnaires de police s’étaient donné rendez-vous devant le commissariat de la ville – où il reste peu de traces de l’attaque – afin d’exprimer leur « ras-le-bol » , portant haut leurs banderoles sur lesquelles ils apparaissaient telles des cibles : « Notre sécurité a un prix », « Ils ont attaqué un sanctuaire, c’est quoi la prochaine étape ? »

    Des rassemblements identiques se sont déroulés à Paris, Clermont-Ferrand, Brest (Finistère), Nancy, Tours, Bayonne (Pyrénées-Atlantique), Dijon… A l’appel des syndicats de police, ils ont dénoncé les agressions dont ils sont la cible et soutenu les deux agents grièvement blessés par balles à Herblay, dans le Val-d’Oise, trois jours avant l’attaque du commissariat de Champigny-sur-Marne.

    Les syndicats réclament des sanctions pénales exemplaires, mais aussi du matériel (gilets, véhicules…), le doublement de la prime accordée aux « nuiteux » (les agents qui travaillent la nuit), une revalorisation de la prime d’officier de police judiciaire et le règlement des heures supplémentaires.

    « Quand on voit un commissariat attaqué comme récemment à Champigny-sur-Marne, quand on voit deux policiers comme dans le Val-d’Oise la semaine dernière sauvagement agressés, on se dit que c’est l’Etat et la République qui sont pris pour cible » , a déclaré le premier ministre, Jean Castex, lundi matin, au micro de Franceinfo, promettant d’être « intraitable » .

    « Ce n’est pas la guerre ici, ce n’est pas Bagdad »

    Il a annoncé le recrutement de 10 000 policiers supplémentaires d’ici à la fin du quinquennat, le renforcement de la réponse pénale avec l’augmentation de 8 % du budget de la justice prévue dans le projet de loi de finances pour 2021 ainsi qu’une réflexion sur les prérogatives des polices municipales, en soutien de la police nationale.
    De son côté, Gérald Darmanin a évoqué le renforcement de la législation sur la vente des mortiers d’artifice et la présentation du Livre blanc de la sécurité intérieure – que plus personne n’attendait – pour le mois de novembre.

    « Non, ce n’est pas la guerre ici, ce n’est pas Bagdad , lance Mahamadou Coulibaly, un “enfant du quartier”, acteur et entrepreneur, qui a ouvert il y a un peu plus d’un an Smart Accessory, mélange d’atelier de réparation d’ordinateurs et de téléphones, de commerce et d’espace de coworking. Nous aussi nous aimerions être conviés autour de la table, mais personne ne nous invite. Tout le monde se précipite quand un commissariat est attaqué mais personne ne vient rencontrer nos talents, et je ne parle pas de sport ni de rap, je parle de nos projets culturels et intellectuels, je parle de nos diplômés qui ne trouvent pas d’emploi. »

    Samir Rekab, fondateur de l’association Champigny Citoyens, en sait quelque chose. « J’ai moi-même été victime de la mauvaise image du quartier » , raconte-t-il. Il se souvient encore de cet entretien d’embauche pour un poste de chargé de clientèle à la Société générale et de la mine défaite du recruteur lorsqu’il a vu son lieu de résidence sur son CV. Il n’a pas eu le job. Son engagement associatif est né de ces rejets professionnels successifs.

    #police #contrôles_d'identité #pyrotechnie