Rumor

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  • Une analyse critique des impasses de la révolution libanaise par Jamil Mouawad : « Au #Liban, le système s’impose en contrôlant l’imaginaire »
    https://www.lemonde.fr/international/article/2020/10/23/jamil-mouawad-au-liban-le-systeme-s-impose-en-controlant-l-imaginaire_605711

    Le soulèvement a diminué en termes d’énergie et d’impact avant même l’épidémie de Covid-19, qui a entraîné un repli forcé. L’élan d’octobre 2019, quand les places publiques étaient occupées par des contestataires, de Tripoli [ville du nord du Liban] à Tyr [dans le sud], s’est essoufflé dès janvier. Le problème ne tient pas au manque de mobilisation, mais à l’absence d’une alternative politique sérieuse. Ce mouvement n’est pas parvenu à produire un programme, ni même un discours politique. Son principal slogan – « Tous, ça veut dire tous ! » – a d’abord permis de faire abstraction des communautés religieuses et des partis, mais son caractère trop général a mené vers une impasse. En outre, aucun leadership politique n’a été créé. Les manifestants voulaient des résultats tangibles. Après avoir perdu confiance dans la classe politique, ils ont perdu confiance dans la mobilisation de rue.
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    Parmi les changements notables, le soulèvement de 2019 a su recentrer le discours politique sur les problèmes du pays, à la différence des dirigeants qui posent toujours l’équation en termes régionaux. On a ainsi pu parler d’électricité, de corruption, d’espace public… Le mécontentement des citoyens envers la classe politique, jusqu’alors contenu dans l’espace privé, a déferlé sur la place publique. Pour autant, il n’y a pas eu de révolution, de rupture avec le passé.
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    Après le 17 octobre [2019], l’espace s’est organisé. A Beyrouth, chacun a planté sa tente, énoncé son discours. Cet espace a reflété la division, bien plus qu’une unité entre ces groupes. Beaucoup d’initiatives ont été menées, mais sans consensus sur les grandes questions.
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    Il faut discuter des sujets qui divisent : les armes du Hezbollah ; le laisser-faire économique libanais, etc. Sans ces débats, il ne peut pas y avoir de vision.
    Un autre écueil tient à la culture de « l’expertise » et des ONG, qui a dominé la société civile depuis l’après-guerre [à partir de 1990]. Prenons l’exemple des élections : s’arc-bouter sur la loi électorale est une erreur [le dernier scrutin législatif a eu lieu en 2018, avec une nouvelle loi électorale qui, comme les précédentes, a favorisé les grands partis communautaires]. Il ne s’agit pas seulement d’emporter des voix selon des conditions imposées par la loi, mais de savoir s’adresser aux électeurs. Les partis, eux, font appel aux appartenances communautaires, familiales… Une loi équitable ne peut pas, seule, changer le paysage politique. Il faut sortir des approches techniques et aller vers le contenu politique.
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    La période est très difficile, mais le Liban ne va pas disparaître. On a tout perdu matériellement, mais la structure sociétale libanaise existe toujours. Le risque est de voir la classe politique se présenter en sauveuse, en distribuant quelques aides – un peu de pain par-ci, un billet par là – qui entretiennent le système clientéliste. Il faut cesser de parler uniquement d’effondrement. Les Libanais doivent défendre l’idée de l’Etat et de la chose publique, et arrêter de dire que l’Etat n’existe pas. L’Etat existe, mais ses ressources ont été capturées par la classe politique. L’Etat n’est pas seulement une institution, c’est aussi un imaginaire.

    #révolution #thawra