• Transmission - Patricia Farazzi, lundimatin#260, le 25 octobre 2020
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    Pour Samuel Paty in memoriam

    Et tout à coup, la délation, hors de la plainte légitime pour crime ou graves sévices, est devenue charnière et moyeu de toutes les relations, de toutes les « luttes », et elle s’avère pourtant être ce qu’elle a toujours été : une abomination. Le simple mot de délation devrait immédiatement nous évoquer les pires horreurs de l’Histoire. Devrait nous mettre en état d’alerte : quiconque y a recours a déjà mis un pied dans le mensonge et la résignation.

    Il ou elle se résigne au pacte avec l’immonde, la médiocrité, la manipulation. La sienne pour commencer. Il ou elle est à son insu manipulé. Il lui sera vite nécessaire de gonfler, d’amplifier sa dénonciation de lui donner l’importance qui pourrait justifier son geste à ses propres yeux. Il ou elle n’est-il pas en train de nuire volontairement à la personne qu’il ou elle dénonce, n’a-t-il pas à cela un intérêt particulier ? Bientôt, il n’y aura plus de différence entre le crime réellement perpétré et l’interprétation d’intentions par de potentielles victimes souvent auto-proclamées. L’intention fait le larron désormais. Philip K. Dick en avait fait un livre qui devrait être lu au collège, Hollywood en a fait un mauvais film. Comme ça le tour était joué. Mais à qui ?

    Revenons à ce qui nous préoccupe aujourd’hui. Cet assassinat abominable. Et d’abord cette impression qui se précise, se fait bien réelle, s’énonce clairement comme quoi la culture et l’éducation ont été ravalées comme le reste au rang de « service ». Il n’y a plus de métiers, plus de maîtrise. Il n’y a plus que les « services ». Le professeur n’est plus au service du savoir et de l’éducation, il est en service pour appliquer les directives, pour pallier la déficience et les incohérences des parents, des lois, du gouvernement, de la police. Les cris d’alarme, qui furent pourtant nombreux et répétés, n’ont pas été entendus. Qui a déjà parmi les puissants entendu les cris qui viennent d’en bas, comme ils disent. Le monde d’en bas, ce cloaque où nous surnageons dans le naufrage qu’ils ont si bien préparé, ces gouvernants dont le gouvernail ne suit plus que le même point dans l’espace celui de leurs « avoirs ». Il y a eu l’être et le non-être. Et maintenant c’est : en avoir ou pas. Du flouze du fifrelin de la fraîche. Car il est désormais clair, nous l’avons vu avec les porte-parole et les ministres, que la langue de bois des grands de ce monde est vulgaire, putassière, outrancière et a depuis longtemps oublié les règles de grammaire et, avec elles, celles du savoir gouverner.

    Donc, un service comme un autre l’éducation. Toujours niveler par le bas. La culture ? La lecture ? des services ? Les livres qui, dans la plupart des cas, nous sont proposés, nous proposent aussi de nous rendre ce service devenu le plus fondamental de tous : nous dispenser de penser. Nous dispenser de choisir. Nous sommes dispensés. On nous a fait un mot à présenter au montreur de marionnettes : le petit ou la petite lambda est dispensé d’exister et de réfléchir. (...)