Cet ancien patron dans l’industrie, connu pour son engagement à gauche, rêve d’ouvrir des « maisons d’hospitalité » sur tout le territoire.
Il avait déjà fait jaser lorsqu’il avait troqué son tablier de patron du CAC 40 pour celui de psychothérapeute. C’était en 2015 et Olivier Legrain, ancien PDG de Materis, une branche du groupe Lafarge, et ancien numéro deux de la filière chimie de Rhône-Poulenc, s’installait à son compte, dans sa ville de Neuilly-sur-Seine (Hauts-de-Seine).
Et puis quelques années plus tard, nouveau coup d’éclat : le spécialiste des « leveraged buy-out » (LBO, achat avec effet de levier) passé thérapeute décide d’engager sa fortune dans un projet au service de l’accueil inconditionnel des migrants.
« Je suis assez d’accord pour qu’on mette des frontières mais à partir du moment où les gens sont dans notre pays, c’est inhumain de les laisser sous le périphérique », fait valoir celui qui a été encarté neuf ans au Parti communiste (PCF) avant de devenir patron d’industrie. Sa sensibilité à la thématique lui vient, dit-il, du fait qu’une partie de sa famille a été déportée pendant la seconde guerre mondiale. Il revendique une action de « mécénat pur et dur pour pallier les insuffisances de l’Etat ».
« Les exilés sont une opportunité pour nos territoires »
Séduit très tôt par Emmanuel Macron, Olivier Legrain a depuis pris ses distances. Notamment lorsque le président de la République a refusé d’accueillir le navire humanitaire Aquarius dans un port français tandis que celui-ci faisait cap vers l’Espagne après la fermeture des ports italiens, à l’été 2018.
Lancé en 2019 mais officiellement enregistré en mai 2020, le fonds « Riace France » est nommé ainsi en hommage au village italien de Calabre devenu symbole de l’accueil des migrants grâce à l’action de son maire. Domenico Lucano tente depuis les années 1990 de faire revivre son territoire dépeuplé par le biais des étrangers, action qui lui a notamment valu les foudres de l’ancien ministre d’extrême droite Matteo Salvini.
« L’idée du fonds, c’est que quand l’accueil est bien organisé, ça se passe bien. Les exilés sont une opportunité pour nos territoires et la dignité et le respect des droits sont des prérequis », défend Frédéric Meunier, coordinateur du fonds.
Séduit par la personnalité « atypique » d’Olivier Legrain, Damien Carême a rejoint le comité d’engagement du fonds Riace. « C’est important de grossir les rangs de ceux qui ont un autre discours sur l’accueil », juge le député européen écologiste, ancien maire de Grande-Synthe (Nord) et président de l’Association nationale des villes et territoires accueillants (Anvita).
« Les migrants ça fait peur »
Le fonds disposera dans les trois à quatre ans qui viennent de 3,5 millions d’euros. Le rêve « ultime » d’Olivier Legrain, c’est de « créer des maisons d’hospitalité dans toute la France », confie-t-il, dans un contexte où un demandeur d’asile sur deux ne bénéficie pas d’un hébergement et où les campements de rue se reforment continuellement.
Pour cela, Olivier Legrain a besoin de plusieurs millions d’euros supplémentaires. Il essaye de rallier des amis, des connaissances, des fondations, quelques grandes familles. Il essuie surtout des fins de non-recevoir. A l’arrivée, la pêche est maigre : « Il y en a une cinquantaine qui ont dit non et quatre qui ont dit oui, compte-t-il. Les migrants ça fait peur, s’en occuper est devenu politique. »
Parmi ceux qui ont accepté d’accompagner le fonds Riace France, il y a cet ancien patron dans le secteur du conseil, qui souhaite rester anonyme : « Pour vivre heureux, vivons cachés », résume-t-il. Déjà investi dans la philanthropie, il a décidé de cofinancer des projets parce que, dit-il, « je soutiens la finalité et Olivier est un ami ».
Il y a aussi Henri Seydoux, le patron de la société de drones Parrot, qui explique sa démarche : « Je suis sensibilisé à la cause des migrants parce que j’ai un bureau quai de Jemmapes, à Stalingrad [Paris] et depuis plusieurs années on a vu des campements sur le bord du canal ou sous le métro. J’ai vu à quel point il n’y avait que très peu de soutien des pouvoirs publics, j’ai vu une situation du tiers-monde dans les rues de Paris. Je ne fais pas de politique. La seule chose que je peux faire, c’est de donner de l’argent. »
« Refuge solidaire »
Jusqu’à présent, cet argent a surtout servi à accompagner des initiatives d’associations dans les zones frontalières du Briançonnais (Hautes-Alpes) et du Pays basque, à soutenir des familles qui accueillent ou des refuges qui hébergent des migrants de passage, à aider les demandeurs d’asile à faire valoir leurs droits, à fournir des couvertures et des besoins de base… « Ce fonds doit inciter les services de l’Etat à réinvestir leurs obligations légales », dit la charte de Riace France.
Le tout se fait, dans l’idéal, « en concertation avec les collectivités locales », comme c’est le cas à Bayonne (Pyrénées-Atlantiques), où le maire de la ville, Jean-René Etchegaray, a ouvert fin 2018 un centre d’accueil d’urgence pour les migrants arrivant d’Espagne, ou comme cela l’a été à Briançon, où la mairie avait mis à disposition des locaux pour abriter un « refuge solidaire » pour les migrants venus d’Italie, jusqu’au changement de municipalité en juin. Désormais les associations locales cherchent un nouveau lieu et Riace France les accompagne dans la démarche.
D’autres projets plus ponctuels ont été soutenus, notamment d’achats de tentes, de vêtements ou de prise en charge des frais de transports… Parmi les pistes d’avenir, le fonds étudie un projet de lieu de vie à Paris pour des mineurs à la rue, ou celui d’un accueil de jour et d’accompagnement psychologique à Montreuil (Seine-Saint-Denis) pour des femmes exilées.