• Les victimes françaises des prothèses vaginales portent plainte
    https://www.nouvelobs.com/notre-epoque/20201123.OBS36450/info-obs-les-victimes-francaises-des-protheses-vaginales-portent-plainte.

    Une plainte contre X vient d’être déposée en France des chefs d’inculpation de « tromperie », « tromperie aggravée » et « blessures involontaires ». « L’Obs » a publié la première enquête sur les prothèses vaginales, en octobre 2017.

    « Il faut bien commencer sur des femmes, ce n’est pas le cadavre qui va nous dire s’il se trouve bien avec notre prothèse ou pas », plaidait le professeur Bernard Jacquetin, en septembre 2017, dans sa résidence de Sainte-Maxime, dans le sud de la France. Ce chirurgien est l’inventeur, dans les années 2000, avec huit autres médecins français, d’une prothèse vaginale baptisée « Prolift », un hamac en plastique posé à l’intérieur du vagin et destiné à traiter la descente d’organes (prolapsus). Cette invention, commercialisée par le labo américain Johnson & Johnson, a inondé le monde pendant sept ans jusqu’à son retrait du marché.

    Puisqu’elles ne sont pas des cadavres, les femmes ont fini par se faire entendre… Et qu’ont-elles dit ? Dans les premiers procès, qui ont eu lieu aux Etats-Unis (à partir de 2008), puis en Angleterre et en Australie, en 2017, les victimes ont décrit un implant qui « cisaille le vagin », qui fait l’effet d’une « râpe à fromage » ou d’un « papier de verre ». Qui se rétracte, tire sur les terminaisons nerveuses, perfore la vessie ou le rectum. Rend les rapports sexuels impossibles, pousse la douleur jusqu’à l’insupportable, gâche la vie.

    La prothèse, qui s’inspirait d’un implant intravaginal synthétique utilisé pour l’incontinence, a été largement imitée par les labos concurrents. Malgré lui, Jacquetin a ainsi participé à un scandale sanitaire qui a touché les femmes les plus fragiles de la planète, des femmes âgées et ayant porté des charges lourdes durant leur vie (soins infirmiers, manutention). Avec beaucoup de retard sur d’autres pays, le scandale touche enfin la France : au nom de 21 femmes, une plainte contre X vient d’être déposée en France des chefs d’inculpation « de tromperie », « tromperie aggravée » et « blessures involontaires » par Me Laure Heinich et l’équipe du cabinet 7 BAC.
    Saignement et les perforations d’organes

    Pour la prothèse vaginale traitant le prolapsus, tout a commencé le jour où le chemin de Bernard Jacquetin, l’un de nos pontes français, gynécologue obstétricien de Clermont-Ferrand, a croisé celui d’Axel Arnaud, un chirurgien digestif passé du côté des labos et devenu un des dirigeants d’Ethicon, une des filiales de Johnson & Johnson. Arnaud montre à Jacquetin un produit miracle, inventé en Suède, réalisé par son labo : des bandelettes en plastique qui soignent l’incontinence urinaire en soulevant l’urètre. C’est de la chirurgie en kit.

    Après un voyage à Stockolm, Arnaud réussit à convaincre Jacquetin d’utiliser le même genre de technologie pour soigner la descente d’organes. L’idée de la prothèse vaginale Prolift est née. Le chirurgien réunit alors autour de lui la crème des médecins français. Huit hommes et une seule femme qui se baptisent le « groupe des neuf ». La conception d’un filet en polypropylène leur prend cinq ans. Mais le produit leur échappe le jour où le labo américain décide une mise sur le marché précipitée, en mars 2005.

    Au moment où la décision est prise, Jonhson & Johnson ne dispose que des bilans cliniques de quelques dizaines de patientes opérées par les French doctors, avec un recul de quelques mois, et de tests de cicatrisation sur des parois vaginales de porcs et de rats aux résultats mitigés. Les risques de rétractation de la prothèse dans le corps sont connus, et mal quantifiés. Mais l’autorisation de mise sur le marché est donnée sur le territoire américain. Et un simple marquage CE suffit pour commercialiser le produit en Europe.

    Très vite, le Prolift provoque des drames et remplit la « Maude [Manufacturer and User Facility Device Experience] database » – plateforme recensant les alertes médicales aux Etats-Unis. Six ans après sa mise sur le marché, en juillet 2011, la Food and Drug Administration publie une communication de sûreté indiquant que l’utilisation des prothèses vaginales comporte des risques plus élevés que les autres méthodes chirurgicales.
    "« De 2008 à 2010, les complications les plus fréquentes comprennent l’érosion de la bandelette vaginale, les douleurs (notamment pendant les rapports sexuels), les infections, les problèmes urinaires, les saignements ou les perforations d’organes. »"

    Un an plus tard, en 2012, le kit Prolift est retiré du marché américain. En 2013, sa commercialisation cesse également en France. Mais le mal est fait. Il reste de nombreuses marques en circulation. Et toutes ces bandelettes en polypropylène accrochées à l’intérieur du vagin, et dont le retrait est quasi-impossible, torturent déjà des milliers de femmes.
    « Je n’ai jamais eu le courage de me suicider »

    C’est en octobre 2017, avec l’enquête parue dans « l’Obs » sur l’histoire du Prolift que l’affaire des prothèses vaginales a été médiatisée pour la première fois en France. A la suite de cette publication, plusieurs victimes françaises ont écrit à la rédaction et se sont réunies dans un groupe Facebook. Parmi elles, « l’Obs » est allé à la rencontre de :

    Cathy à Nice (« Je n’ai jamais eu le courage de me suicider, mais j’espérais très fort ne pas me réveiller le lendemain »)
    Lylianne à Saint-Raphaëlle (« C’est comme si j’avais un œuf brûlant dans l’anus »)
    ou a publié le témoignage de Sylvie, une boulangère de 57 ans (« Je ne peux être assise qu’au bord de ma chaise »)

    Dans une enquête signée « Cash Investigation » sur les implants vaginaux, diffusée un an plus tard, l’on retrouve Cathy et l’on entend le Pr Jacquetin dire :
    "« Effectivement, les premières patientes, on peut dire que ce sont des cobayes. Il y a des gens qui essuient les plâtres des innovations. » "

    Ce film diffusé sur France 2 est venu grossir le groupe Facebook qui compte désormais 164 membres. Ce vendredi 20 novembre, c’est pour le compte de 21 d’entre elles qu’une plainte a été déposée contre X des chefs d’inculpation de « tromperie », « tromperie aggravée » et « blessures involontaires ».
    « Chaque patiente est restée isolée »

    Dans la plainte, on lit la liste des séquelles que Sandrine, Aline, Régine, Vanessa, Béatrice, Yvette, Liliane, Edmonde et treize autres femmes vivent au quotidien. Toutes ont suivi plus ou moins le même parcours de soin : 1. La prothèse leur a été présentée comme un acte sûr, sans complication, sans alternative. 2. le post-opératoire s’est très mal passé, mais les médecins ont repoussé l’idée que la prothèse puisse être la cause des douleurs. 3. Si le lien finissait par être établi, le praticien orientait les patientes vers un suivi psychologique. 4. Quand un retrait de la prothèse était tenté, en dernier recours, les femmes devaient subir de multiples opérations.

    Dans la plainte, il est mentionné qu’avant la médiatisation de l’affaire, ces femmes vivaient recluses dans la souffrance : « Chaque patiente est restée isolée, sans savoir que loin de constituer un cas exceptionnel et isolé, d’autres femmes subissaient les mêmes complications invalidantes.

    […] Ce n’est pour ces femmes que lorsque les informations ont été rendues publiques qu’elles ont compris que c’est le dispositif même des bandelettes qui est la cause de leurs souffrances : insuffisamment testé, dont la pose a été largement adoptée trop rapidement, dont les taux de complications ont été largement minimisés et pour lesquels les patientes n’avaient reçu d’information préalable à la pose ni sur les alternatives thérapeutiques ni sur les complications.

    L’échange de ces informations et l’identification d’autres femmes touchées par ce drame ont été rendus possible grâce à la constitution d’un groupe Facebook, et non grâce au corps médical qui n’a pas été en mesure de les informer, de les accompagner ou de se mettre en cause.

    C’est la raison, pour laquelle, les plaignantes entendent saisir Madame, Monsieur le Procureur de ces faits. »
    Testés sur des parois vaginales de porcs et de rats

    Aux Etats-Unis, les victimes se battent depuis dix ans. Plus de 108 000 actions judiciaires ont été menées, dont près de la moitié contre Johnson & Johnson commercialisant le Prolift. Beaucoup d’entre elles ont été résolues par des transactions. Et une vingtaine de condamnations a totalisé plus de 300 millions de dollars de dommages et intérêts (le fait que le labo n’ait pas inscrit le risque de rapports sexuels douloureux dans sa première notice a souvent été déterminant).

    Les procès les plus médiatisés ont été menés par une star du barreau du New Jersey, Adam Slater, qui a regretté, lorsque nous l’avions interrogé en 2017, que les médecins français ne s’expriment pas publiquement. Dans la plainte déposée en France, quatre femmes portent d’ailleurs leur prothèse Prolift. Et si un procès a finalement lieu, il serait étonnant que le « groupe des neuf », qui a gagné des royalties, ne soit pas entendu. Au moment où nous les avions rencontrés, les French doctors exprimaient des regrets de nature diverse et certains d’entre eux admettaient avoir vu la catastrophe arriver.

    Que savaient-ils des effets de leur invention et qu’ont-ils caché ? Dans un échange d’e-mails que nous avions pu consulter, un cadre dirigeant de Johnson & Johnson rapporte à un collègue qu’il a rencontré Bernard Jacquetin et son collègue Michel Cosson, membre du groupe, en 2006 à un congrès en Nouvelle-Zélande et qu’ils ont, comme d’habitude, été insistants sur le Prolift. « Encore une fois, ils insistent pour qu’on fasse des changements qui vont au-delà du tissu. Et bien sûr, ils veulent aussi qu’on change le tissu demain. »

    Autre preuve de l’inquiétude des médecins : en juillet 2017, dans la salle d’audience australienne, alors qu’il était question de la prothèse, des e-mails du « groupe des neuf » ont été lus à voix haute, provoquant des mouvements d’indignation. Dans cet échange privé, postérieur à l’introduction du Prolift sur le marché, l’un des médecins se demande si cela pose un problème qu’il n’ait, pour le moment, aucune envie de poser cette prothèse à sa femme. L’échange tourne ensuite aux blagues de carabins suggérant que les femmes au vagin empêché pourront toujours se mettre à la sodomie.
    « Si on avait eu quelques années de plus »

    Depuis la catastrophe du Prolift, Bernard Jacquetin et Michel Cosson ont multiplié les articles et les interventions dans les congrès scientifiques pour décrire les complications liées aux prothèses vaginales. Mais ils n’ont jamais alerté le grand public.

    A « l’Obs », en 2017, tous les deux ont admis, à demi-mot, que cela aurait pu se passer autrement. Dans le salon de sa résidence du sud de la France, Jacquetin nous a dit :
    "« Oui, si on avait eu quelques années de plus, on aurait pu plus clarifier les complications, augmenter les mises en garde. Oui, sans doute… »"

    AU CHRU de Lille, Michel Cosson avait regretté :

    « Avec l’expérience qu’on a maintenant, moi je serais sûrement capable de taper sur la table et de dire “si vous voulez utiliser mon brevet, c’est à mes conditions” et puis tant pis s’il n’y a pas d’argent avec un brevet, tant pis. Mais il faut être capable, avoir les épaules pour le dire, avoir un peu de recul et de maturité sur le sujet. Ou avoir eu des soucis. »

    Depuis 2006, les bandelettes urinaires ont été remplacées par des mini-bandelettes. En juillet 2018, le Royaume-Uni a annoncé un moratoire sur la pose des prothèses vaginales dans les hôpitaux publics. A la suite du recours collectif en Australie, qui a permis l’indemnisation des victimes, Greg Hunt, le ministre de la Santé a quant à lui présenté ses excuses à toutes les femmes qui ont subi les douleurs « atroces » d’un implant vaginal.

    En France, la pose de prothèses est toujours possible. Mais en dernier recours et sur des patientes ayant des indications spécifiques. Mais une première victoire est tombée, il y a seulement quelques jours : le 23 octobre 2020, un arrêté a finalement été pris afin d’encadrer la pratique des actes associés à la pose de bandelettes sous-urétrales dans l’incontinence d’effort. Un procès permettrait à toutes ces femmes françaises, qui ont servi de « cobayes » aux labos, d’être enfin reconnues comme des victimes et dédommagées.