• » #Pangolin Gate – par Yann Faure
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    #covid-19

    ...Tout se passe comme si le pangolin était l’arbre qui cache la forêt industrielle d’un système organisé de production de richesses autant que de virus.

    Car les zoonoses naissent surtout et avant tout de l’élevage industriel. Les zoonoses représentent 60% des maladies infectieuses, 75% des maladies émergentes et les maladies infectieuses sont responsables de 16% des décès humains sur la planète. A mesure que cette industrie grossit, les zoonoses se multiplient. Focaliser l’attention sur le braconnage, le commerce illégal et les consommateurs supposés libres de leurs choix a permis de masquer la responsabilité des modalités industrielles contemporaines des animaux et de leurs produits.

    Dans l’indifférence, la parole dominante véhicule la fable récurrente d’épidémies et d’autres fléaux induits par le comportement individuel de chasseurs isolés qui se seraient blessés aux confins perdus de pays sous-développés. Alors même que c’est ce prétendu »développement » qui est à la source de nos maux. Même en Chine, d’innombrables entreprises privées d’élevage d’animaux, autrefois sauvages, pullulent. On a aussi essayé, cette dernière décennie, d’élever des pangolins, mais ça ne marche pas.

    En liberté, ils vivent ; en cage ils succombent. Par contre, on élève des furets, des renards, des civettes, des visons. En Finlande, on gave des »renards monstres » pour leur fourrure. L’occident pratique l’élevage intensif, de poulets, d’oies, de bœufs et de porcs pour la consommation de viande. Qu’on pense à notre ferme des mille vaches, à nos élevages de souris de laboratoires, aux vaches à hublot pour comprendre qu’il est illusoire d’aller chercher au bout de territoires reculés l’origine des maladies. En triant les gènes, en concentrant les bêtes, en les gavant d’antibiotiques, on affaiblit les organismes des animaux, leurs protections naturelles ou immunitaires. On facilite ainsi les mutations virales, la transmission des agents pathogènes et leur mise en circulation.

    Ces dernières semaines, en Allemagne comme aux États-Unis et en France, on a dénombré un nombre particulièrement élevé et tout-à-fait anormal de malades du Covid-19 parmi les employés des abattoirs. La filière ne s’est pas interrompue pour autant – Donald Trump a même interdit sa mise à l’arrêt. On a argué la difficulté de faire respecter la distanciation physique entre travailleurs sur ces lieux mais éludé, en moins de temps qu’il n’en faut pour le dire, l’hypothèse d’une contamination de la viande. Le complexe agroalimentaire et ses supports de communication volontaires ou involontaires ont refoulé dans un quasi oubli l’ensemble des maladies du passé dont il a été le principal vecteur : grippe aviaire, grippe porcine, grippe bovine, etc.

    Même les abeilles sont malades, transformées en ouvrières exploitées au service de la monoculture. Dans les champs d’amandiers de Californie, on amène les ruches par camion, on les trie génétiquement, on les abreuve de médicaments, on sélectionne leurs reines. Épuisées, standardisées, presque clonées, le premier virus qui passe les décimes bien avant l’âge. C’est Germinal chez les hyménoptères.

    Le pangolin n’est sans doute pas l’hôte intermédiaire du coronavirus. C’est très probable que ce soit le vison. Des collectifs se battent depuis plusieurs années déjà pour dénoncer les conditions carcérales de ces petits mammifères. Emprisonnés dans des batteries interminables de cages, nourris en série, les visons tout mignons deviennent fous derrière les barreaux. Ils excrètent les uns sur les autres, leur nourriture est souillée, ils sont confinés parmi les dépouilles de leurs congénères qui pourrissent, de mort lente, en général sans qu’on les sépare.

    One Voice a tourné des images terribles des élevages industriels de ces mustélidés, notamment en France où leur fourrure est arrachée pour l’industrie du luxe. Le vison américain est le plus valorisé. On en trouve aussi en Chine dans des centres commerciaux qui ressemblent aux Wall-Mart étasuniens – la nouvelle classes aisée y débarque par cars entiers avec des étoiles dans les yeux.

    Là-bas, comme dans le reste du monde qui a promu modes et modèles, le port ostentatoire de ces manteaux de fourrure hors de prix revient à endosser un statut, à s’élever au-dessus des simples mortels. Le rêve de luxe a posé sa main froide sur l’épaule frêle de ce qui composait notre vibrante humanité. La richesse et ses tenues d’apparat ont corrompu le monde.

    Non loin de Tangshan, on éviscère encore à mains nues tandis que sur un site de production rationalisé comme celui de l’Aojilisi Farm dans la province du Shandong, 40 000 animaux sont détenus quotidiennement et on en dépèce 3 000 unités par jours – bientôt ce sera 10 000 par les méthodes automatisées les plus « modernes ». Leurs peaux seront vendues à Harbin ou dans les luxueuses boutiques de Hongerpu qui ressemblent beaucoup à ce que l’Occident valorise si puissamment.

    (...)

    Voix étouffée, au commencement des débats sur l’origine du coronavirus, une scientifique américaine qualifiait le story-telling du wet market de Wuhan de »simple divertissement ». Ce récit a néanmoins fourni une étonnante et paradoxale occasion à l’Occident de réaffirmer sa croyance dans ses valeurs techno-industrielles … et nourrit jusqu’à la verve du »philosophe » Luc Ferry, lorsqu’il s’applique à défendre les vertus écologiques du capitalisme. Il faut le remercier pour cette ineffable synthèse de la pensée de sa classe et de son temps :

    << Faut-il rappeler que le Covid-19 est parfaitement naturel, que ce ne sont pas « nos modes de vies modernes » qui ont causé la pandémie mais des coutumes ancestrales et locales, préservées qui plus est par un système communiste tout sauf libéral ? Quiconque a visité un marché chinois est sidéré à la vue de ces chiens, chatons et poussins écorchés vifs, de rats, civettes, serpents, pangolins et chauves-souris qui attendent une mort atroce entassés dans des cages insalubres.

    Une vidéo circule sur la toile où l’on voit un groupe d’hommes qui déjeunent de petites souris vivantes. Les malheureuses se débattent dans une sauce noirâtre et les convives les mâchent à pleines dents encore toutes vives après les avoir trempées dans leur jus. Il est clair que ces pratiques sont si peu »les nôtres », qu’elles susciteraient plutôt une vague d’indignation dans nos contrées démocratico-libérales. En vérité, les voyages, qui existent depuis des siècles, ne font au pire qu’accélérer la diffusion des maladies.

    Dénoncer les « failles et les excès » de l’humanité « mondialisée » relève donc de sophismes anticapitalistes et d’amalgames apocalyptiques tout juste bons à faire peur aux petits enfants. Non seulement nos sociétés développées par l’économie de marché et la mondialisation sont aux antipodes des pratiques traditionnelles qui ont engendré la crise actuelle, mais sans la logique de l’innovation capitaliste qui nous émancipe peu à peu, sans doute pas assez vite mais quand même, d’un passé millénaire de mépris de la nature et de maltraitance animale, non seulement l’écologie politique n’aurait jamais vu le jour, mais les sciences et les techniques qui permettent d’envisager des solutions non plus. >>

    (La vidéo de bouffeurs de chauves-souris frites qui a circulé sur les réseaux n’a, en vérité, pas été tournée à Wuhan mais en Indonésie.)
    Ne dites pas à Luc Ferry, qu’un massacre en gants blancs est toujours un massacre. Qu’industriellement on tue plus massivement qu’avec des arcs et des flèches. Il s’en fiche pourvu qu’on tue sans voir. Colporter l’image de marchands chinois inconséquents vendant des pangolins à la sauvette à des gloutons rustiques, toujours impénitents va dans son sens. L’industrie de la viande, la consommation de masse, la concentration de richesses y sont parfaitement escamotées du tableau.

    Cailloux de poil dans la chaussure capitaliste, les visons martyrisés des abattoirs rappellent que le luxe et l’envie sont au principe des causes plus profondes qui ravagent la planète. Ces visons martyrisés pour des manteaux vaniteux et inutiles, s’ils sont la source de la pandémie et si on veut bien la voir, adressent un message ensanglanté à ceux qui se croiraient civilisés : celui de renoncer en tout premier à leur incommensurable barbarie.