• Inégalité
    « Je travaillais la nuit une fois que les enfants étaient couchés » : l’enfer du télétravail pour les femmes
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    Absence de répartition des tâches ménagères et de la garde des enfants, ralentissement des carrières : le télétravail confiné a accentué les inégalités femmes-hommes. Le récent accord national interprofessionnel ne risque pas d’améliorer la situation.

    Ce midi, Bintou*, n’a pas eu le temps de manger. Elle a ouvert un paquet de chips en guise de déjeuner. Assistante de copropriété, en télétravail trois jours par semaine, elle doit également garder son fils de 8 mois. « Ma pause déj est à 12h30, mais ça correspond à ses heures de repas, donc je lui donne son repas à midi et quand il fait la sieste à 13 h je dois reprendre le travail », raconte cette trentenaire, alors qu’on entend son bébé pleurer à l’autre bout du combiné. « Je travaille dès qu’il dort, quand il fait la sieste le matin vers 10 h et l’après-midi vers 13 h. »
    Les mères, deux fois plus nombreuses que les pères à renoncer à travailler pour garder les enfants

    36 % des femmes estiment que leur charge de travail a augmenté pendant le premier confinement, contre 29 % des hommes, selon une enquête publiée par l’Ugict-CGT en mai dernier [1]. La situation ne s’est pas forcément améliorée avec la deuxième vague de l’épidémie et le retour au télétravail : « On constate l’inverse : une dégradation des conditions et plus de difficultés liées au télétravail, à la fois pour les entreprises et les salarié.es », avance Fabrice Angéï, secrétaire confédéral de la CGT.

    Loin de réduire les inégalités genrées, la crise sanitaire les a au contraire révélées, et même accentuées, en particulier dans les couples avec enfants. Selon l’Insee, pendant le premier confinement, 83 % des femmes vivant avec des enfants y ont consacré plus de quatre heures par jour, contre 57 % des hommes [2]. Les mères ont été deux fois plus nombreuses que les pères à renoncer à travailler pour garder leurs enfants. Et parmi les personnes qui ont dû continuer à travailler, près de la moitié des femmes assuraient une « double journée », professionnelle et domestique.

    « Pour nous, le gouvernement a une part de responsabilité dans cette situation, en considérant que le télétravail est un mode de garde. C’était quand même une façon de se dédouaner et de reporter le problème dans les foyers, et donc malheureusement sur les femmes », déplore Béatrice Clicq, secrétaire confédérale de Force ouvrière. Elle ajoute : « Heureusement, certaines entreprises ont joué le jeu. Mais il faut aller plus loin. »
    « La charge mentale est sur moi à 100 % »

    Lila*, la trentaine, travaille pour Google France, et a dû s’occuper de ses enfants de deux, cinq et sept ans tandis que son conjoint, producteur de vidéos, se rendait au travail tous les jours. « Au début, j’ai essayé de répartir les tâches avec mon compagnon, qui a refusé en disant que lui devait travailler et que les enfants pouvaient se débrouiller tout seuls », raconte Lila. Elle se levait vers 6h30 tous les matins « pour répondre aux mails des Américains », entre deux préparations de petits déjeuners.

    Même chose pour Fanny*, médecin-chercheure, maître de conférence et mère de deux enfants : « Quand ma fille arrivait à jouer un peu toute seule, je m’occupais des tâches ménagères. Après, c’était préparation du repas, douches, de nouveau repas… Je travaillais la nuit une fois que les enfants étaient couchés, parfois jusqu’à 3 h du matin. » Avec la réouverture des établissements scolaires, Fanny a davantage réussi à travailler. Mais avec un mari médecin réanimateur – et de fait jamais à la maison pendant l’épidémie – la répartition inégale des tâches s’est accentuée avec l’épidémie : « La charge mentale est toujours sur moi à 100 % », reconnaît-elle.