• Le ministère de la justice entretient l’ambiguïté sur les appels au boycottage de produits israéliens
    https://www.lemonde.fr/societe/article/2020/12/30/le-ministere-de-la-justice-entretient-l-ambiguite-sur-les-appels-au-boycotta

    Malgré une condamnation de la France par la Cour européenne des droits de l’homme, Paris maintient la pression judiciaire sur les manifestations appelant à ce type d’action.

    Les tribunaux français n’en ont pas fini avec le débat sur les appels au boycottage de produits israéliens. La condamnation de la France par la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), le 11 juin, semblait pourtant avoir tranché la question. Statuant sur le cas de militants ayant participé le 26 septembre 2009 et le 22 mai 2010 à une manifestation appelant les clients d’un hypermarché près de Mulhouse (Haut-Rhin) à boycotter les produits israéliens, les juges de Strasbourg ont dit à l’unanimité que leur condamnation pour « provocation à la discrimination ou à la haine » constituait une atteinte à la liberté d’expression protégée par l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme.

    Les conclusions que le ministère de la justice tire de cette décision soulèvent des interrogations. Selon une note de la direction des affaires criminelles et des grâces que le garde des sceaux Eric Dupond-Moretti a adressée, le 20 octobre, aux procureurs généraux et aux procureurs de la République, « la Cour européenne n’a donc pas invalidé la possibilité de poursuites des appels au boycott ». A lire cette interprétation par la chancellerie de l’arrêt « Baldassi et autres contre France » du 11 juin, la Cour est simplement « venue poser des exigences de motivation supplémentaires ».

    Dans le détail, la CEDH observe en premier lieu que, tel qu’interprété par la Cour de cassation, « le droit français interdit tout appel au boycott de produits à raison de leur origine géographique, quels que soient la teneur de cet appel, ses motifs et les circonstances dans lesquels il s’inscrit ». Or, poursuit-elle, « d’une part, les actions et les propos reprochés aux requérants concernaient un sujet d’intérêt général, celui du respect du droit international public par l’Etat d’Israël et de la situation des droits de l’homme dans les territoires palestiniens occupés, et s’inscrivaient dans un débat contemporain, ouvert en France comme dans toute la communauté internationale. D’autre part, ces actions et ces propos relevaient de l’expression politique et militante ».

    « Forme légitime d’expression politique »
    Dans cet arrêt dense de 21 pages, les juges rappellent que « par nature, le discours politique est source de polémiques et est souvent virulent. Il n’en demeure pas moins d’intérêt public, sauf s’il dégénère en un appel à la violence, à la haine ou à l’intolérance. Là se trouve la limite à ne pas dépasser ». Ils citent notamment le rapport spécial sur la liberté de religion ou de conviction, remis à l’Assemblée générale des Nations unies du 20 septembre 2019, selon lequel « en droit international, le boycottage est considéré comme une forme légitime d’expression politique, et les manifestations non violentes de soutien aux boycotts relèvent, de manière générale, de la liberté d’expression légitime qu’il convient de protéger ». Bref, pour restreindre une telle liberté, la CEDH estime qu’il faut de bonnes raisons et des motivations circonstanciées. Ce qui n’était pas le cas.