• Migrants : Louis Witter et Simon Hamy dénoncent une « entrave » à la liberté d’informer devant la justice
    https://www.lemonde.fr/societe/article/2021/01/04/etre-tenus-a-l-ecart-ce-n-est-pas-normal-deux-journalistes-denoncent-une-ent

    Affirmant qu’ils ont été empêchés de documenter l’évacuation de camps de #migrants près de #Calais, les reporters indépendants Louis Witter et Simon Hamy ont déposé, lundi, un recours en référé-liberté. Par Laurie Moniez (Lille, correspondante)

    « Jusqu’ici, il n’y avait que deux pays qui m’avaient empêché de travailler : la Hongrie de Viktor Orban et le Maroc de Mohammed VI. Maintenant, il y a la France. » Photojournaliste indépendant, Louis Witter, 25 ans, couvre les crises migratoires depuis six ans. Lundi 4 janvier, devant le tribunal administratif de Lille, le reporter dénonçait, avec son confrère Simon Hamy, l’ « entrave » à la #liberté_d’informer que représente selon eux l’impossibilité d’accéder à des évacuations de camps de migrants sur le littoral du Nord et du Pas-de-Calais.

    Dans une requête en référé-liberté, tous deux demandent au tribunal d’enjoindre aux préfectures de les « autoriser à accéder aux différents sites » d’évacuation pour y effectuer leurs reportages. En cause, notamment : plusieurs épisodes durant lesquels les deux journalistes disent avoir été empêchés d’exercer leur métier.

    Mardi 29 décembre 2020, au petit matin, le photojournaliste et son collègue rédacteur indépendant suivaient l’évacuation d’un camp de migrants à Grande-Synthe. Après un contrôle de leurs pièces d’identité et cartes de presse, « prises en photo par ce qui semblait être le téléphone personnel de policiers », racontent-ils à la présidente du tribunal, les forces de l’ordre leur interdisent de passer au-delà d’un périmètre de sécurité. « Cette interdiction de filmer et de photographier a été faite verbalement et physiquement avec la main sur l’objectif de l’appareil, en plus du phare d’un fourgon de police braqué vers nous », précise Louis Witter.

    A cinq reprises, les 29 et 30 décembre, ils se sont ainsi vu refuser l’accès aux sites démantelés à Grande-Synthe, Calais et Coquelles. Le Syndicat national des journalistes (SNJ), première organisation de la profession, a « condamné ces pratiques d’obstruction et d’intimidation ». L’avocat des deux journalistes, Me Henry-François Cattoir, dénonce une atteinte grave à la liberté d’informer. « Il faudrait donc, comme l’a sous-entendu [le ministre de l’intérieur, Gérald] Darmanin, une accréditation pour suivre des opérations de police maintenant ? », feint-il de s’interroger à l’audience.

    « Qu’est-ce qui gêne ? »

    Sur son compte Twitter, le photojournaliste Louis Witter avait diffusé mardi 29 décembre des #images prises au téléobjectif des tentes des migrants lacérées à coups de couteau par un homme chargé selon lui du « nettoyage » du camp de migrants.

    Voici une photo des membres des équipes de nettoyage qui accompagnent les policiers lors des expulsions de réfugiés à Grande-Synthe.

    Cagoule deux trous, couteau à la main pour lacérer les tentes. Imaginez deux seconde la stupeur des exilés réveillés par ça à 8H ce matin.

    Comment lacérer à coups de couteau une tente de réfugié à neuf heures du matin par trois degrés celsius", mode d’emploi offert par @prefet59 ce matin à Grande-Synthe.

    https://twitter.com/LouisWitter/status/1343833651667206145

    « Pourquoi interdire l’accès aux journalistes ?, insiste Me Cattoir. Pour les empêcher de documenter sur la manière dont se passent les opérations ? Qu’est-ce qui gêne ? » « Un périmètre de sécurité, c’est quelque chose de tout à fait classique, cela ne choque absolument personne et pas même la presse », répond au nom de la préfecture du Nord Hervé Tourmente, rappelant que l’opération d’évacuation du camp de Grande-Synthe le 29 décembre s’était déroulée sur ordonnance judiciaire avec octroi de la force publique. « Il n’y a pas un incendie, une expulsion, une interpellation sans un périmètre de sécurité. L’enjeu est d’éviter tout suraccident », assure-t-il au tribunal.

    Le sous-préfet de Calais, Michel Tournaire, précise de son côté qu’ « un compte rendu complet des opérations avait été fourni à travers un communiqué de presse détaillant de manière assez précise le déroulé, ce qui permet après à la presse locale d’informer les lecteurs si nécessaire ».(sic) Mais les journalistes souhaitent pouvoir décrire ces évacuations à partir de ce qu’ils ont vu. « On voulait vérifier sur place ce que les ONG et consortiums d’associations nous avaient décrit, explique le journaliste Simon Hamy, 30 ans. Ils nous avaient souhaité bonne chance. On s’est sentis impuissants à témoigner. »

    Les deux reporters ont prévu de retourner sur les camps de migrants du Calaisis dès cette semaine. « On a déposé cette requête en référé-liberté, car c’est important de marquer le coup, pas forcément pour nous mais pour tous les journalistes qui souhaitent travailler sur les expulsions, confie Louis Witter. Certains ont l’impression d’être dans la normalité en étant ainsi tenus à l’écart, mais ce n’est pas normal. »

    Depuis le démantèlement de la « jungle » de Calais en 2016 – où ont vécu jusqu’à 10 000 migrants –, les autorités veulent éviter par tous les moyens les « points de fixation ». Lors de l’opération du 30 décembre à Calais, seuls 85 migrants sur près de 300 ont été mis à l’abri par les services de la préfecture. La décision du tribunal administratif de Lille sur la requête en référé des deux journalistes est attendue au plus tard pour mardi.