• Agressions sexuelles de mineurs : le tabou n’est pas celui qu’on croit
    Patric Jean
    https://blogs.mediapart.fr/patricjean/blog/140121/agressions-sexuelles-de-mineurs-le-tabou-n-est-pas-celui-quon-croit

    Pourquoi la mesure d’un tel phénomène n’entraine t-elle pas une réaction de la justice ?

    Si, ni dans le monde politique, ni dans l’espace médiatique, jamais une réponse systémique n’est envisagée à ce phénomène de masse dont les conséquences psychiatriques et somatiques ne sont plus à démontrer, c’est qu’elle se heurte à trois obstacles majeurs : le coût économique, le coût culturel et le coût psychologique.

    Le coût économique est celui auquel il faudrait concéder pour venir à bout du problème. Actuellement, six pour cent des enfants correspondent à 720.000 victimes estimées parmi les mineurs actuellement scolarisés en France. La prescription des faits tombant après vingt-ans jusqu’à la récente modification de la loi, on peut donc estimer à plus d’un million le nombre de victimes qui seraient actuellement ou à très court terme en droit de demander des comptes à leur agresseur devant la justice. Le système judiciaire dans une misère absolue ne pourrait pas en encaisser dix pour cent. Voilà pourquoi 70% des plaintes sont classées et comment les théories alambiquées de type « syndrome d’aliénation parentale » ont toujours autant de succès. Elles permettent de se débarrasser de problèmes qui demanderaient des moyens pour être traités. Et donc l’enfant ment et sa mère est l’instigatrice de ses mensonges. Tant que la justice ne sera pas radicalement mieux dotée, y compris en termes de formation des magistrats, le coût économique sera un frein important pour toute mesure en faveur des enfants victimes.

    Le coût culturel consiste à admettre que l’endroit où l’enfant est le plus en danger en termes d’agression sexuelle ou de viol est sa propre famille et l’entourage proche de celle-ci. Or la famille est toujours considérée comme le lieu de sécurité, de réconfort, brique minimale de la construction d’une société. Remettre en question un système d’autorité archaïque où l’homme a autorité mais surtout la propriété du corps des femmes et des enfants (le viol conjugal par exemple n’est inscrit dans la loi française que depuis 1990) nécessite une révolution copernicienne de la pensée sur la famille. Lorsque l’on observe les réactions violentes qui se sont manifestées lorsqu’il s’agissait simplement de permettre à des homosexuels de se marier, on mesure à quel point cette évolution entraine un coût culturellement douloureux pour une partie du corps social.

    Enfin, le coût psychologique d’une prise en compte du phénomène s’imagine aisément si l’on pense que, statistiquement, parmi nos proches (père, frères, fils, amis, collègues…) il est possible qu’il existe un homme (98% des agresseurs sont des hommes) susceptible de passer à l’acte. On estime qu’un pour cent des hommes ont une attirance sexuelle pour le corps des enfants. Si l’on y ajoute les agresseurs incestueux qui n’ont pas cette « attirance », on peut considère qu’un homme sur quarante peut commettre, ou commet, des délits ou crimes sexuels en direction des enfants. Vivre avec cette réalité à l’esprit est extrêmement coûteux et on vit mieux en ne le sachant pas.

    Le terme qui résume le mieux cette réalité sociale à laquelle nous devrons un jour collectivement faire face est « enfant ». Du latin infans, il signifie littéralement « celui qui ne parle pas ». C’est encore ce que l’on attend de lui.

    #inceste