• La protection des mineurs, une justice d’exception avec Edouard Durand
    https://www.franceculture.fr/emissions/linvitee-des-matins/la-protection-des-mineurs-une-justice-dexception

    Dans la foulée de l’affaire Olivier Duhamel, un hashtag #MetooInceste a entraîné ce week-end « des centaines » de témoignages sur Twitter, relançant le débat sur la prescription et sur le consentement dans les cas de violences sexuelles faites aux enfants.

    Dans un livre parut aux éditions du Seuil, Camille Kouchner accuse son beau-père, le politologue Olivier Duhamel, d’avoir abusé de son frère jumeau alors âgé de 13 ans. Cette histoire met en lumière les mécanismes de l’inceste, sujet tabou mais dont la réalité touche l’ensemble des couches de la société en France.

    Prise en étaux entre des enjeux familiaux et sociétaux, la parole des victimes peut-elle être entendue ? Notre politique pénale est-elle adaptée aux situations qu’elles rencontrent ? L’arsenal juridique est-il suffisant pour juger des crimes ? Face aux chiffres de non-condamnation des agresseurs, faut-il y voir une défaillance de la justice des mineurs ? La justice des mineurs, une justice d’exception ?
    Retour sur l’affaire Duhamel

    En tant que magistrat, vous me permettrez d’avoir tout d’abord un devoir de réserve. Je ne connais cette affaire particulière que par la grâce du livre que Camille Kouchner a écrit. C’est un livre important parce qu’il décrit à la fois la stratégie des agresseurs et la souffrance très grande des enfants victimes d’inceste.

    Si ce genre de livre existe, c’est parce que la justice ne passe pas comme elle devrait passer ?

    « Oui, bien sûr. Le Haut conseil à l’égalité, et particulièrement la Commission violences alerte les pouvoirs publics sur la nécessité de modifier la loi pour que les enfants soient mieux protégés contre les violences sexuelles et contre toutes les formes de violences. »

    « Parmi ces protections, il faut que la procédure judiciaire parvienne à mieux prendre en compte la souffrance des enfants pour interrompre le cycle de la violence. »

    _L_e nombre de victimes de violences sexuelles, parmi lesquels 60% d’enfants, est absolument effarant. Aujourd’hui, on recense à peu près trois cent mille victimes de viol chaque année. Néanmoins, le nombre de condamnations est extrêmement modeste et ce nombre a tendance à diminuer. Ceci constitue pour nous, Haut conseil à l’égalité, ce que nous appelons un système d’impunité des agresseurs.

    Parmi les propositions de solution : une extension de la prescription

    Nous ne pouvons pas laisser de côté la question de la prescription. C’est un mouvement très progressif. On a d’abord dit qu’il n’était pas possible de toucher à la question de la prescription. Puis les juristes, les parlementaires, les pouvoirs publics et la société dans son ensemble ont compris qu’il était possible d’adapter le droit de la prescription pour qu’il n’y ait plus de système d’impunité, mais un système de protection des victimes. On est aujourd’hui, s’agissant des violences sexuelles contre les enfants, à un système de prescription à 30 ans après la majorité. Il est possible, à condition de réfléchir à l’économie générale du droit de la prescription, à une extension de ce délai.

    « La prescription n’a jamais eu pour objectif de préserver la paix des agresseurs. Ce qui change certainement, c’est la conscience très aiguë que les violences, notamment les violences sexuelles, ont un effet d’une extrême gravité sur le bien être et sur le développement, c’est-à-dire sur l’avenir des personnes qui les subissent. S’agissant des enfants, il y un effet gravissime sur la construction de leur personnalité et même la prévalence de nouvelles victimation à l’âge adulte. »
    Présumer la contrainte en cas de pédocriminalité

    L’un des points qui permet de comprendre, sinon d’expliquer ce système d’impunité des agresseurs, est le fait que dans une lecture sans doute erronée de nos principes fondamentaux, nous disons qu’un procès pour violences sexuelles, c’est parole contre parole. Et que dit un agresseur d’enfants dans le cas de violences sexuelles ?Il dit toujours que ça n’est pas vrai. Et quand il est soumis à des preuves, il approuve mais [assure que] l’enfant était consentant. Puis quand le système judiciaire ne prouve pas que l’enfant n’était pas consentant, l’agresse ajoute systématiquement qu’il pensait qu’il avait plus de 15 ans.

    « Il faut bien que nous arrivions à articuler nos principes fondamentaux avec une meilleure protection des victimes. Et lorsqu’il y a ce rapport d’asymétrie entre un adulte et un enfant avec un adulte qui est capable de prendre le pouvoir sur l’enfant par le sexuel, la question du consentement ne se pose pas. C’est ce que nous proposons au Haut conseil à l’égalité : de présumer la contrainte de l’adulte sur l’enfant dès lors que nous arrivons à démontrer qu’il y a eu un passage à l’acte sexuel sur un enfant en deçà de 13 ans. »

    Ce qui est le plus important à voir, lorsqu’un enfant est victime d’une personne majeure, c’est l’asymétrie entre l’enfant et l’adulte. L’asymétrie sur le plan du développement physique, entre les corps, entre le développement psychologique et cognitif. Ce que recherche l’enfant, c’est d’abord le bénéfice d’une affection et d’une sécurité. Le besoin le plus important des enfants, c’est le besoin de sécurité. En cela, le passage à l’acte sexuel de l’adulte, et particulièrement dans sa dimension incestueuse, est une perversion du besoin affectif de l’enfant. Voir les choses de cette manière, c’est voir la gravité extrême de la violence sexuelle incestueuse.