• Lire Matzneff
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    Lire Gabriel Matzneff, à vrai dire, cela ne nous avait jamais traversé l’esprit. Des contributeurs de lundimatin ont cependant jugé utile, la médiatisation de l’« affaire » passée, de se pencher sur son oeuvre. Passés les extraits les plus sordides souvent relayés par la presse, on découvre une structure littéraire, une manière de se penser comme auteur, qui permettent de mieux appréhender les enjeux politiques du scandale.

    pas encore lu

    • Plutôt que d’aligner les citations des journaux de Matzneff comme les pièces d’un dossier d’accusation, il eût été possible de prolonger le geste de Springora en questionnant les rapports de pouvoir à l’œuvre chez l’auteur, en analysant les différents régimes de discours et d’écriture, et leurs effets dans le réel.

    • Deleuze, Foucault, Dolto et bien d’autres, furent, au gré d’une relecture anachronique et décontextualisée de leurs prises de position, rendus complices des abus sexuels à l’encontre des mineurs. Pour comprendre Matzneff, son relatif succès dans les années 70-80 et la bienveillance à son égard, ce n’est pas à l’époque mais à son œuvre qu’il faut se confronter.

      eh allez deleuze/foucault, c’est #sacré hein...

    • « Je ne hais personne ; en revanche, il y a des êtres que je méprise de toutes mes forces, que je tiens pour de répugnantes raclures d’humanité : ce sont les oublieuses, les amnésiques, celles qui s’efforcent misérablement d’effacer, de gratter, de nier ce que, dans leur adolescence, leur jeunesse, elles vécurent avec moi. Ce sont les #renégates. »

    • "(...) nous autres, écrivains, nous n’avons pas besoin de tuer les femmes que nous avons aimées, ni de nous suicider à cause d’elles. Pour en triompher définitivement, pour avoir le victorieux dernier mot, il nous suffit d’en faire des personnages de roman. »

    • Dans son ouvrage, intitulé Le Consentement, Vanessa Springora formule les questions qui l’ont habitée, toutes semblant résulter d’une difficulté, à savoir, « comment admettre qu’on a été abusé, quand on ne peut nier avoir été consentant"

    • Cette fixation sur le consentement rend d’ailleurs son œuvre difficilement compréhensible à l’aune de ce seul critère d’appréciation moral, car plus qu’une absence de consentement, c’est tout un système de pouvoir et de prédation que Matzneff met en place.

    • « Le rôle de bienfaiteur qu’aime se donner G. dans ses livres consiste en une initiation des jeunes personnes aux joies du sexe par un professionnel, un spécialiste émérite, bref, osons le mot, par un expert. En réalité, cet exceptionnel talent se borne à ne pas faire souffrir sa partenaire. Et lorsqu’il n’y a ni souffrance ni contrainte, c’est bien connu, il n’y a pas de viol. Toute la difficulté de l’entreprise consiste à respecter cette règle d’or, sans jamais y déroger. Une violence physique laisse un souvenir contre lequel se révolter. C’est atroce, mais solide.

      L’abus sexuel, au contraire, se présente de façon insidieuse et détournée, sans qu’on en ait clairement conscience. (…) Très souvent, dans les cas d’abus sexuel ou d’abus de faiblesse, on retrouve un même déni de réalité : le refus de se considérer comme une victime. Et, en effet, comment admettre qu’on a été abusé, quand on ne peut nier avoir été consentant ? Quand, en l’occurrence, on a ressenti du désir pour cet adulte qui s’est empressé d’en profiter ? »

    • Tout en trouvant légitime que la loi fixe des limites, Vanessa Springora écrit que « L’amour n’a pas d’âge » et est prête à considérer comme pardonnable une relation exceptionnelle, unique, entre un adulte et une adolescente. Elle démontre a contrario que ce qui caractérise l’abus de pouvoir de Matzneff se trouve essentiellement dans la récurrence et la prédation.

    • Dans le système Matzneff, la recherche de la différence d’âge est le prolongement de sa misogynie et de son égocentrisme, avec pour objectif la recherche d’une relation de pouvoir par construction asymétrique.

    • Si la famille est, en effet, parfois oppressive, Gabriel Matzneff s’y oppose surtout parce qu’il entend exercer un pouvoir concurrent à celui des parents. C’est donc logiquement qu’il finit par asséner dans La passion Francesca : « c’est à ses parents, à ses professeurs qu’une jeune- fille doit mentir, et non à son amant. »

    • « En sortant de ce Forum pouilleux et sinistre [le Forum des Halles], j’ai cru que nous allions être attaqués par une bande de jeunes Noirs. J’ai eu, je l’avoue, très peur pour Marie-Elisabeth. Quelle racaille ! Je pense qu’à Rome, au IIIe siècle de notre ère, on rencontrait dans les rues des types de ce genre. La lie de l’Empire. »

      Gabriel Matzneff exècre les classes populaires et semble se méfier particulièrement des « bandes de jeunes Noirs ».

    • Plus qu’un orgueil, rester soi-même semble une obsession. Matzneff cherche bien sûr la persistance des sentiments, des opinions, mais aussi celle du corps. Un corps souvent désincarné. Obsédé par sa volonté de garder un ventre plat et une pureté du corps, Matzneff recopie le menu de ses repas et donne à voir sa culpabilité, il relate ses passages sur le pèse-personne, et ses cures auprès de son diététicien.

    • Considérant qu’ils sont les seuls à « rester propres et beaux » comme il le dira sur le Plateau d’Apostrophes, lorsqu’il sera invité pour présenter Les moins de seize ans, les enfants et adolescents sont le principal objet du désir de l’écrivain, qui se vante fréquemment de rester proche de l’adolescent qu’il fut.

    • Sur son site internet, et au détour des pages des premiers volumes de son journal, on a pu apprendre qu’il fut ballotté entre ses parents divorcés, séparé de sa sœur et de ses frères. On lit aussi qu’il fut sexuellement initié à l’âge de treize par un homme beaucoup plus âgé. Si Matzneff insiste sur la persistance de son être depuis l’adolescence, il ne dit rien ni de l’influence de cette expérience, ni du lien entre la pédophilie et l’incapacité à être adulte. Voici pourtant ce qu’il écrit à propos de Dorian Gray dans Maîtres et complices, sorte d’autobiographie intellectuelle prenant prétexte des grandes œuvres de la littérature :

      « Si le visage de Dorian Gray ne se ride pas, si son ventre reste plat, sa taille élancée, ses joues roses et son œil vif, c’est moins au portrait magique qu’il le doit, qu’aux peaux adolescentes à la chaleur desquelles il régénère la sienne et aux bouches vierges dont les frais baisers sont pour lui une source balsamique. »

    • Dans les années 1970, l’extrême-droite était relativement seule à accuser Françoise Dolto de soutenir les pédophiles. Mais en janvier 2020, au gré des cibles choisies par les uns et les autres, elle fut parmi le grand nombre d’intellectuels des années 70-80 ciblés et accusés de « complicité ». Pour son premier numéro de l’année, Marianne pouvait titrer « ​Matzneff, fantôme d’un passé soudain gênant », au sein d’un dossier sobrement intitulé « Quand la gauche virait dingo », et, pendant des semaines, nombre d’éditorialistes ont pu s’indigner à propos de la permissivité d’une époque dont ils attribuaient tous les maux à mai 68 et aux luttes des années 70. Matzneff lui-même a d’ailleurs pu s’engouffrer dans la brèche, en désignant auprès de BFMTV ses actes comme des « galipettes coupables post-soixante-huitardes » et en ajoutant : « oui sans doute étions-nous inconscients, nous avons été nombreux à nous laisser enivrer par l’air de liberté, le parfum libertaire de cette époque insouciante.

    • Finalement, ceux qui réclamaient un assouplissement et une modernisation des lois obtiendront en partie gain de cause, leurs revendications débouchant en 1982 sur le remplacement dans la loi du crime d’« attentat à la pudeur sur mineurs » par le délit d’ « atteinte sexuelle sur mineurs », passible du tribunal correctionnel et non plus des assises, ainsi que sur l’alignement des majorités sexuelles, mettant fin à une discrimination entre hétérosexuels et homosexuels. Sauf à considérer que les lois actuelles encouragent la pédophilie, il semble donc erroné de considérer comme « pro-pédophile » la critique des lois en vigueur dans les années 70.

    • « Je ne veux pas que l’on censure les livres de Matzneff. Ils sont le marqueur d’une époque. », déclarait Vanessa Springora dans une interview à l’Obs. Rappelant que la maison d’édition qu’elle dirige avait publié une édition critique des Décombres de Rebatet, Vanessa Springora suggérait, en ce qui concerne les essais écrits en défense de la pédophilie par Matzneff, de les encadrer d’un rappel à la loi, ou, mieux, d’un appareil critique.

    • +12 !

      Si l’éthique peut être un critère de jugement artistique, on ne peut exiger que les faits narrés dans une œuvre conviennent à la morale. Pour cette raison, la déclaration de Didier Decoin, nouveau président de l’académie Goncourt, déclarant « Il n’y a pas que Matzneff, il y a d’autres auteurs… Je ne sais pas si on aurait couronné Nabokov. » nous apparaît comme surprenante. Rappelons que Lolita est un roman, et en aucun cas une apologie de la pédophilie. Lolita est une victime qu’Humbert Humbert poussera à la mort. Et lorsque l’histoire est racontée par ce dernier, au fin fond d’un hôpital psychiatrique et dans l’attente de son procès, nous comprenons que la nymphette n’est que le produit de l’esprit pervers de l’adulte, quand la jeune fille protestait régulièrement… Cette mise en équivalence entre Matzneff et Nabokov est proprement inquiétante, à moins de considérer que nous devrions rejeter tous les livres qui traitent de ce que nous condamnons.

    • +13 !

      Pourtant, la difficulté croissante que nous pouvons rencontrer dans l’accès aux œuvres de Matzneff est un obstacle au retour critique sur un milieu et une époque. Bien que les œuvres de Matzneff n’aient a priori par apporté grand chose en terme de sensibilité ou d’esthétique, et qu’il n’existe pas de droit à être publié par Gallimard, Léo Scheer ou La table ronde, nous nous demandons ce que signifie, une fois que le texte existe, cette volonté de faire disparaître les preuves, et notamment celles de sa propre complaisance.

    • Dans une conférence fameuse à propos de la fonction auteur, Michel Foucault remarquait à propos du « nom auteur », l’ « impossibilité de le traiter comme une description définie ; mais impossibilité également de le traiter comme un nom propre ordinaire. » L’auteur et son nom sont une fonction, une signature, et l’œuvre un ensemble disparate. Ainsi, le nom Matzneff, qu’il désigne le signataire d’une œuvre, le personnage de son propre livre ou l’homme civil devant assumer ses actes, ne renvoie pas à la même entité, y compris lorsque Gabriel Matzneff prétend le contraire. Un texte est toujours un collage, dont participe le regard du lecteur. Pour preuve, les interventions de Vanessa Springora et Francesca Gee complètent aujourd’hui la lecture des livres de Matzneff, et sont indispensables à qui souhaite les comprendre.

      Sans sacralisation (et puis quoi encore !), mais avec la reconnaissance nécessaire pour ce qu’ielles ont fournis d’utile et de beau - au-delà même de celleux qui ont trouvé intérêt à les lire - oui ! #Gilles_Deleuze #Françoise_Dolto et #Michel_Foucault.

      Pas envie de développer maintenant mais prenons l’un e de spire, la catho lacanienne Dolto. Elle a tant et plus insisté pour une modification du rapport des parents avec leurs enfants où le dire vrai, où parler de la manière la plus explicite possible devenait un préalable pour être des parents « suffisamment bons » (comme dirait Winnicot), sans qu’il soit souhaitable de prendre les enfants pour des adultes pour autant. (cette addition à la culture compte y compris comme arme contre la culture du viol ; le pourvoir de dire fabrique des réciprocités qui sapent et cassent les « secrets de famille » par exemple).
      Quant aux deux autres, toutes réserves sur leurs thèses, textes ou travaux mises à part, jamais il ne se seraient posés en zélateurs de l’abus de pouvoir ou de l’abus de confiance à l’encontre de vulnérables, de mineurs (ici entendus comme sans pouvoir, et pas selon une définition légale), dont bon nombre de violences incestueuses (et de viols) sont exemplaires.

      #Gab_la_rafale #Matzneff

    • Jamais il ne se seraient posés en zélateurs de l’abus de pouvoir ou de l’abus de confiance à l’encontre de vulnérables, de mineurs

      non ils ont cru que c’était une défense de l’amour, et c’est tout le problème. Chai pas s’il faut te le dire en chinois ou quoi.

      avec la reconnaissance nécessaire pour ce qu’ielles ont fournis d’utile et de beau -

      On est en train de parler pédophilie là, pas exactement le moment où ces trois là ont fait des étincelles ou en tout cas, à ce moment-là, iels ont dit des conneries, c’est tout, c’est pas grave, ça arrive, iels se sont viandés comme des nazes, on leur reproche, c’est fair play, de diou, j’ai quand même l’impression que niveau reconnaissance, ça va pour eux non ?