Articles repérés par Hervé Le Crosnier

Je prend ici des notes sur mes lectures. Les citations proviennent des articles cités.

  • « Galvauder la notion de désobéissance civile, c’est l’exposer à toutes les récupérations »
    https://www.lemonde.fr/idees/article/2021/02/07/galvauder-la-notion-de-desobeissance-civile-c-est-l-exposer-a-toutes-les-rec

    La « désobéissance civile » est une expression forgée par un siècle de combats au nom de la justice pour tous et de la conquête de nouveaux droits. L’employer à tout propos procède d’une dangereuse équivoque politique, s’inquiète, dans une tribune au « Monde », l’ex-député écologiste Noël Mamère.

    Tribune. La colère et la détresse des cafetiers et restaurateurs, condamnés à l’inactivité par les mesures sanitaires du gouvernement liées au Covid-19, peuvent-elles être qualifiées de « désobéissance civile », comme nous le répètent certains médias ? Ne prennent-ils pas le risque de la confusion, de l’amalgame et, partant, de la manipulation politique en appliquant à une jacquerie – dont on peut comprendre les motifs – une expression forgée par un siècle de combats au nom de la justice pour tous et de la conquête de nouveaux droits ?

    Quel lien peut-on établir entre les grandes figures de la « désobéissance civile non violente », telles que Henry David Thoreau (1817-1862), Gandhi (1869-1948), Martin Luther King (1929-1968), pour ne citer que les plus célèbres, et les manifestations des restaurateurs d’aujourd’hui ? Se battent-ils pour la conquête de nouveaux droits ou pour la seule survie de leur activité ?
    Article réservé à nos abonnés Lire aussi En Birmanie, la désobéissance civile s’organise après le coup d’Etat

    En procédant à de tels raccourcis, qui ignorent le poids de l’histoire et détournent le sens des mots, les médias et les réseaux sociaux méprisent sans le savoir des générations de militants politiques pour lesquels « désobéir » signifie « faire son devoir » quand il s’agit de répondre à ce que leur dicte leur conscience. Quel qu’en soit le prix. Gandhi et Luther King l’ont payé de leur vie.

    Le « devoir » au cœur de la philosophie de Thoreau

    La « désobéissance civile » s’inscrit en effet dans une longue histoire. Elle commence au XIXe siècle, avec l’Américain Henry David Thoreau, auteur d’un court texte intitulé « la désobéissance civile », écrit après une nuit passée en prison pour avoir refusé de payer ses impôts à l’Etat du Massachusetts, au motif qu’ils finançaient l’esclavage et la guerre américaine au Mexique. « Je conseille de rompre avec l’Etat tant qu’il hésitera à faire son devoir », écrivait-il.

    Le « devoir », au cœur de toute sa philosophie qui va inspirer des générations de désobéissants. Si Thoreau avait eu 20 ans en août 1914, quand les grandes puissances ont déclenché la première boucherie du XXe siècle, il aurait sans doute fait partie des insoumis ou des mutins, en obéissant au « devoir » de sa conscience, contre le « devoir » d’un Etat qui a envoyé toute une génération au cimetière.
    Article réservé à nos abonnés Lire aussi Covid-19 : le gouvernement mise sur « une augmentation des contrôles » pour éviter un nouveau confinement

    S’il avait eu 20 ans au moment de la guerre d’Algérie, il serait devenu objecteur de conscience et aurait sans doute appartenu au réseau Jeanson, comme, en son temps, il fut un militant actif de l’« Underground Railroad », ce réseau d’aide aux esclaves fugitifs qui cherchaient à rejoindre le Canada voisin.
    Si Thoreau vivait aujourd’hui, il aurait été…

    Si Thoreau avait eu 20 ans en 1973, il aurait soutenu les femmes indiennes du mouvement Chipko Andolan, qui enlaçaient les arbres pour empêcher l’exploitation commerciale de leurs forêts, il se serait retrouvé aux côtés de la Kenyane Wangari Maathai (1940-2011), Prix Nobel en 2004, qui a passé sa vie à mener des actions de désobéissance civile non violente contre la déforestation, avec son mouvement de « la ceinture verte » et pour le droit des femmes.

    Il militerait avec Extinction Rebellion, ce mouvement international de désobéissance civile non violente né en Angleterre, qui mène des actions pour dénoncer les retards pris par les gouvernements dans la lutte contre le dérèglement climatique. Il serait « faucheur volontaire » d’OGM et aux côtés de Greta Thunberg et des lycéens grévistes du « vendredi pour le climat » qui réveillent nos consciences endormies.
    Article réservé à nos abonnés Lire aussi L’extrême droite cherche à capter la colère contre les restrictions dues à la crise sanitaire

    On l’aurait vu dans les Alpes, avec Cedric Herrou et tous ces « désobéissants » venant, au nom de leur conscience, en aide aux migrants que nous refusons sur notre sol. Il serait en Méditerranée avec Carola Rackete, la capitaine allemande du « Sea watch 3 », qui a forcé l’interdiction d’accoster des garde-côtes italiens pour sauver 42 migrants épuisés et au bord de la mort…
    Les émeutiers du Capitole sont-ils des « désobéissants » ?

    De Thoreau à aujourd’hui, en passant par Gandhi, Luther King, Vaclav Havel (1936-2011), Rosa Parks (1913-2005) et d’autres plus anonymes, le fil de la désobéissance n’a jamais été rompu. Mais qu’a-t-elle à voir avec celle dont nous parlent aujourd’hui les médias ? Rien. Tant il est vrai que colère et indignation ne puisent pas aux mêmes sources.

    Dans son fameux Indignez vous ! (Indigène éditions, 2010), Stéphane Hessel (1917-2013) écrivait : « Je vous souhaite à tous, à chacun d’entre vous, d’avoir motif d’indignation. C’est précieux ». Cette « indignation » qu’il considérait comme un « courant de l’histoire » qui a accouché de la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948, comme de la Convention européenne des droits de l‘homme, textes à la valeur juridique et morale supérieure aux lois ordinaires.
    Lire l’éditorial : Covid-19 : le risque de la fatigue démocratique

    C’est dans ce courant-là qu’il faut situer la désobéissance civile et pas ailleurs. Les cafetiers et restaurateurs, ou d’autres corps de métier, ont le droit d’exprimer leur détresse, mais cette expression ne relève pas de la désobéissance civile. Galvauder cette notion, c’est l’exposer à toutes les récupérations, et procéder ainsi d’une dangereuse équivoque politique qui pourrait conduire à considérer les émeutiers du Capitole comme des « désobéissants » !

    En ces temps où les mots n’ont plus de sens mais seulement des usages au service de ceux qui leur tordent le cou pour la défense de leurs propres intérêts, il nous paraissait nécessaire de procéder à cette mise au point, ne serait-ce qu’en mémoire de toutes celles et ceux qui ont fait leur « devoir ».

    Noël Mamère(Ancien maire de Bègles/ 1989-2017 et député écologiste/1997-2017.)

    #Désobéissance_civile