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Fil d’actualités Covid19-Migration-santé (veronique.petit@ird.fr) relié à CEPED-MIGRINTER-IC MIGRATIONS.

  • Covid-19 : « L’idée du “passeport sanitaire” n’est pas nouvelle, mais au XIXe siècle, son but était tout autre »
    https://www.lemonde.fr/idees/article/2021/02/12/covid-19-l-idee-du-passeport-sanitaire-n-est-pas-nouvelle-mais-au-xixe-siecl

    Tribune. Alors que les gouvernements s’efforcent d’acquérir des vaccins contre le Covid-19 et de lancer des campagnes de vaccination en pleine incertitude mondiale, une nouvelle idée semble faire son chemin : le passeport vaccinal ou immunitaire. Ces « passeports Covid », nous dit-on, pourraient faciliter les voyages et le commerce, et certifieraient qu’une personne aurait reçu un vaccin ou aurait été infectée (en prouvant, par exemple, la présence d’anticorps contre le nouveau virus). Cette idée n’est pas nouvelle. Elle découle du « passeport sanitaire », une invention française du XIXe siècle (et pas sans controverses) mais dont le but était tout autre. Le détenteur du passeport sanitaire était considéré « immunisé » au sens médiéval du terme (du latin immunis) c’est-à-dire « exempt » de symptômes et ce, jusqu’à preuve du contraire. En outre, l’inoculation ne figurait pas sur ce document dont l’usage était plutôt de permettre aux autorités de détecter des cas suspects ou déclarés, et par conséquent d’éteindre toute menace épidémique aux portes de la France.
    Le 18 juin 1890, et afin d’empêcher la propagation en France du choléra qui sévissait en Espagne, le ministère de l’intérieur publia une circulaire demandant aux préfets de délivrer aux voyageurs un « passeport sanitaire » ainsi qu’une « carte d’avis » adressée au maire concerné. Le mécanisme consistait à faire examiner chaque voyageur par un médecin, puis à signaler aux autorités locales que la personne avait été « reconnue saine » mais qu’elle devait rester « sous surveillance médicale » pendant la période d’incubation. Ce passeport sanitaire venait s’ajouter au « passeport politique », une autre invention française conçue au XVe siècle initialement pour faire « passer » les marchandises et rapidement étendue aux personnes. C’est durant la conférence sanitaire internationale de 1893 à Dresde, qu’Adrien Proust, professeur d’hygiène à la faculté de médecine de Paris, médecin chef à l’Hôtel-Dieu et père du romancier Marcel Proust, suggère de généraliser cette procédure à l’échelle internationale. L’Empire austro-hongrois avait convoqué la conférence à Dresde dans un contexte d’épidémies de choléra qui se répandaient plus rapidement en Europe avec l’arrivée du bateau à vapeur. Il était donc impératif de standardiser les règlements internationaux de quarantaine contre la propagation de ces nouveaux fléaux.
    Pour Adrien Proust, toute épidémie se contrôle d’abord aux frontières. Il voyait dans le passeport sanitaire une version plus ciblée de la quarantaine et l’équivalent de l’« observation » au lazaret. Le passeport sanitaire était donc un moyen de tracer les personnes considérées asymptomatiques et de les isoler au cas où elles devenaient symptomatiques, l’objectif étant d’éviter l’apparition de « foyers » d’infections. Cette procédure permettait « d’agir vite et efficacement » avant qu’il ne soit trop tard. En revanche, l’inoculation préventive n’était possible que pour la peste, et n’était recommandée que pour les personnes les plus exposées (telles que le personnel qui désinfectait les navires). De plus, Adrien Proust considérait que l’inoculation était moins efficace qu’une « surveillance sanitaire » stricte pour plusieurs raisons. Tout d’abord, le sérum antipesteux n’était pas obligatoire ; en outre, il ne protégeait pas les personnes infectées mais asymptomatiques, et enfin, il n’induisait qu’une immunité de courte durée.
    Toutefois, le passeport sanitaire n’était pas sans détracteurs. Non seulement la délégation britannique ne signa pas l’accord conclu lors de la conférence de Dresde, mais l’idée d’un passeport sanitaire fut rejetée. Selon la prestigieuse revue médicale britannique, le Lancet, ces passeports sanitaires auraient été « inutiles » car ils pouvaient être falsifiés et inefficaces, dans la mesure où ils requéraient une infrastructure humaine démesurée par rapport à leur rendement sanitaire. Le Lancet concluait : « Nous pouvons être certains qu’aucun document de ce type ne sera jamais exigé des personnes arrivant dans ce pays ou dans certains des pays les plus avancés du continent. »Comment expliquer ce rejet ? Adrien Proust reproche l’approche « libérale » britannique qui – quoique contraignante sur son propre sol – était opposée à toute mesure susceptible de compromettre le commerce international. Pour le médecin chef de l’Hôtel-Dieu, le système britannique n’était pas à imiter. Si le « bill of health », l’équivalent de la « patente de santé », couramment utilisé par les marins depuis au moins le XVIIe siècle, était plus facile à administrer, il était moins efficace d’un point de vue sanitaire. De plus, le laisser-faire sanitaire dans les colonies anglaises était préjudiciable. Il avait entraîné en 1896 la diffusion de la peste vers l’Inde qui avait tué des milliers de personnes. On peut en dire autant de l’apparition du choléra en Egypte en 1883, 1805 et 1902, où les autorités coloniales britanniques n’avaient pas mis en place des mesures sanitaires adéquates.

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