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Craignosse, les turlutosses !

  • À la recherche du populaire | Xavier Vigna, à propos de : Gérard Noiriel, Une histoire populaire de la France. [2018]
    https://journals.openedition.org/lectures/27575

    Il y a, me semble-t-il, une tension, voire une contradiction, à vouloir écrire une histoire de la domination qui ne tient pas compte du point de vue des dominé.e.s (et ici, l’écriture inclusive s’impose tout particulièrement) et plus encore à prétendre faire une histoire populaire. Car l’histoire de la domination est aussi celle de la manière dont elle est subie, vue, perçue et contestée. Il y a d’ailleurs quelque ironie à s’inspirer du titre du livre de Jacques Rancière, La nuit des prolétaires, dans le dernier chapitre, quand la démarche s’en écarte radicalement. De même, on remarque l’absence de référence aux travaux de l’anthropologue James Scott, notamment aux Arts de la résistance. Sur ce point, l’ouvrage de Noiriel diffère de l’histoire populaire de Michelle Zancarini-Fournel, si soucieuse de restituer les paroles des dominé.e.s, y compris dans l’Empire colonial. Mais cette mise sous le boisseau de la prise de parole (ou de la prise d’écriture) populaire traduit un recouvrement partiel du protagonisme populaire lui-même, que Noiriel envisage surtout à travers ses organisations syndicales et politiques. Là encore, d’autres propositions plus audacieuses étaient possibles comme celle de Selina Todd qui, dans une histoire de la Grande-Bretagne parue il y a quelques années, choisit de suivre une protagoniste ordinaire.

    Cette énonciation par en haut conduit aussi à négliger certains questionnements et certains développements féconds, notamment la prise en compte d’expériences ordinaires qui font la trame du quotidien : celles des logements et de l’habitat, des consommations et des pratiques, notamment des pratiques de sociabilité, et de leurs articulations selon les genres, les générations, les activités professionnelles et les classes sociales, ou encore selon les territoires. Certes, Noiriel y consacre des notations éparses ici ou là, mais son point de vue initial le conduit à dédaigner ces expériences, à la fois sociales, politiques voire culturelles, sur lesquelles toute une génération d’historiennes et d’historiens a écrit. On aurait mauvaise grâce à reprocher à Gérard Noiriel de ne pas avoir tout lu. Mais on regrette vivement qu’il ignore toute une génération de collègues dix-neuviémistes : François Jarrige, Mathilde Larrère, Emmanuel Fureix, Stéphanie Sauget, Quentin Deluermoz, Odile Roynette, Maurizio Gribaudi, Claire Fredj, Thomas Le Roux, Anaïs Albert, Arnaud-Dominique Houtte, Sylvain Venayre et j’en passe. De même, on comprend mal pour quelle raison l’auteur continue à reprendre benoîtement l’expression de « Trente glorieuses » (p. 641, 647, 655, 697, etc.) que toute une historiographie s’attache à déconstruire depuis quelques années. Étrange encore la reprise sotto voce de toute une histoire mythologique d’obédience communiste, notamment dans l’évocation des années 1940, qui aboutit à plusieurs approximations.