• Covid 19 : « Pour anticiper la progression de l’épidémie, il faut regarder les bons indicateurs »
    https://www.lemonde.fr/idees/article/2021/02/27/covid-19-pour-anticiper-la-progression-de-l-epidemie-il-faut-regarder-les-bo

    Seuls les indicateurs d’amont doivent être considérés pour anticiper l’évolution et éviter prévisions et commentaires hasardeux, mettent en garde les professeurs Fanchon Bourasset, Bruno Mégarbane et Jean-Michel Scherrmann dans une tribune au « Monde ». Le choix de ne pas confiner dans l’immédiat reste une décision politique.

    Tribune. La diversité des marqueurs caractérisant l’évolution du Covid-19 entraîne des confusions dans l’interprétation de leur évolution, tant au niveau des spécialistes que des médias et du grand public. Ces marqueurs peuvent se classer en deux groupes dont la temporalité est bien différente.

    En amont, nous pouvons regrouper les marqueurs les plus précoces avec la détection virale dans les eaux usées et le nombre de cas détectés positifs qui sont publiés tous les jours.
    En aval, les indicateurs concernent la situation hospitalière, comme les nombres de patients hospitalisés et ceux admis en réanimation. Enfin, la publication du nombre de décès constitue l’ultime marqueur clinique du suivi de l’épidémie.

    Vitesse de progression
    Si l’on se place en février 2021, les nombres de patients admis à l’hôpital, de patients hospitalisés en réanimation et de patients décédés expriment l’activité épidémique des semaines antérieures. Il est donc normal que l’augmentation du nombre de cas moyens hebdomadaires de contaminations d’environ 10 000 à 25 000 observés entre fin novembre et actuellement se traduise par une hausse du nombre de patients admis à l’hôpital et des décès que nous observons depuis la mi-janvier.

    Ces indicateurs, dits « d’aval », nous informent sur l’évolution clinique des patients atteints par les formes graves de la maladie mais ne peuvent pas servir de sources prédictives quant à l’évolution de l’épidémie dans les prochains jours et les prochaines semaines. Bien entendu, ils ont une valeur incontournable sur la gestion de la pression qui se manifeste sur la capacité d’accueil hospitalier.

    En revanche, les marqueurs, dits « d’amont », expriment l’état de la progression épidémique le jour même et sont les plus appropriés pour estimer l’évolution de l’épidémie.

    Le suivi de l’évolution du nombre de cas détectés positifs peut être analysé de deux façons : par le nombre lui-même et par la vitesse à laquelle ce nombre évolue. L’évolution quotidienne de ce nombre est largement privilégiée par les observateurs. Son analyse peut prêter à discussion en raison de l’irrégularité des données liée à l’effet « week-end » où le nombre de tests chute et de sa dépendance au nombre de tests réalisés.

    Pour limiter ces effets, nous recommandons de mesurer à partir des nombres de cas de contamination cumulés leur vitesse de progression quotidienne et d’en établir une moyenne hebdomadaire. Cette dimension de vitesse nous a récemment permis d’analyser l’efficacité du confinement lors de la première vague pandémique de l’hiver 2020.

    #paywall

    • Evolution exponentielle contredite

      Cette méthode d’analyse de la vitesse de la progression de l’épidémie montre que le couvre-feu actuel, établi à une échelle locale puis nationale, a porté ses fruits par la stabilisation de la vitesse de progression épidémique au cours de la quinzaine suivant son application, et même par une baisse de sa progression à l’échelle nationale et de façon plus marquée dans certains territoires depuis ce début de semaine, contredisant ainsi toutes les hypothèses d’une évolution exponentielle de l’épidémie.

      Cette observation permet de justifier le choix gouvernemental du maintien d’un couvre-feu dont le renforcement pourrait induire une décroissance de la progression épidémique. De plus, le suivi de cet indicateur permettra de détecter très rapidement une éventuelle augmentation de la vitesse de progression épidémique que certains redoutent avec l’apparition progressive de variants du virus. Cette augmentation vient d’apparaître fin février et permet aux autorités de renforcer les mesures de prévention par zones territoriales.
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      En nous fondant sur cet indicateur, il est alors possible d’anticiper l’évolution des admissions à l’hôpital et en réanimation et des décès qui surviendraient dans les jours à venir. Cette baisse pourrait rester néanmoins limitée, en raison du nombre toujours élevé de contaminations et donc d’hospitalisations, avec un effet cumulatif à l’hôpital des patients les plus gravement infectés qui peuvent séjourner en réanimation pour une durée de temps relativement prolongée, allant en moyenne de 15 jours pour un patient en ventilation spontanée sous haut débit d’oxygène à 25 jours pour un patient intubé et ventilé mécaniquement.
      Efficacité du couvre-feu

      Il faut aussi rappeler que cette situation relativement favorable en comparaison avec les pays voisins est due à la poursuite des mesures de restrictions dans le cadre du couvre-feu. Il y a fort à parier que celui-ci, sans permettre une freination complète des contaminations, comme l’aurait fait un confinement plus strict du type de celui de mars-avril 2020, est capable de contenir l’épidémie et d’en empêcher une progression exponentielle.

      Répétons-le : la situation actuelle est probablement le fruit d’une certaine efficacité du couvre-feu qui permet d’éviter un confinement strict pour sauvegarder notre système de soins.
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      Gageons aussi que ces mesures pourront rester tout aussi efficaces face à l’expansion quasi inéluctable des variants du SARS-CoV-2 (notamment britannique) sur le territoire national et auxquels les prédictions mathématiques attribuent une reprise quasi certaine de l’épidémie au cours du mois de mars avec une menace majeure sur les hôpitaux, en raison de la saturation existante des lits, comme d’ailleurs tous les ans au cours de la saison hivernale.

      C’est ainsi qu’il faut comprendre les alertes lancées par certains médecins hospitaliers qui voient une nouvelle épidémie, celle du variant britannique avec une expansion exponentielle une fois le seuil de 50 % de prévalence franchi.
      Importance des mesures barrières

      La question-clé reste de savoir dans quelle mesure ce qui s’est produit au Royaume-Uni, à un moment où le port du masque n’était pas obligatoire dans les transports en commun et où les bars et les pubs étaient ouverts, pourrait se reproduire en France avec le couvre-feu en place. Les modélisations demeurent une aide précieuse à la prédiction, mais dépendent fortement des hypothèses considérées et du poids de chaque facteur d’influence utilisé.

      Pour démentir ces scénarios noirs qui nous sont promis, rappelons, à cette occasion, l’importance des mesures barrières et du port universel du masque, notamment en espace clos. Des efforts sont encore demandés à la population, mais les enjeux sont majeurs pour les deux mois qui viennent, en permettant d’éviter le confinement strict et de conserver les écoles ouvertes.
      Lire la tribune : Face à la pandémie de Covid-19, « sommes-nous prêts, encore, à consentir ? »

      Ainsi, il ne faut donc pas se tromper d’indicateurs pour répondre à la question de la progression de la cinétique de l’épidémie : seuls les indicateurs « d’amont » doivent être considérés pour anticiper son évolution et éviter les prévisions et commentaires hasardeux et alarmistes. Le choix de ne pas confiner dans l’immédiat reste une décision politique.

      L’exécutif, éclairé à cette occasion, semble avoir utilisé les bons outils de prédiction. Pour échapper définitivement au confinement plus strict, il faut désormais compter à la fois sur la responsabilisation de la population dans l’application des recommandations sanitaires, mais aussi sur le bon vouloir des variants, capables aussi, à eux seuls, de bouleverser la cinétique épidémique.

      Les signataires : Fanchon Bourasset, professeure de neurosciences, université de Bourgogne ; Bruno Mégarbane, professeur de médecine intensive-réanimation, hôpital Lariboisière, université de Paris ; Jean-Michel Scherrmann, doyen honoraire, professeur de pharmacocinétique, faculté de pharmacie, université de Paris.