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« vivere vuol dire essere partigiani » Antonio Gramsci

  • Pour favoriser une entente des luttes | Frédéric Lordon
    https://www.monde-diplomatique.fr/2021/03/LORDON/62828

    Où engager le combat quand on ne peut pas tout faire à la fois ? D’abord en reconnaissant que, si les luttes contre les dominations diffèrent en périmètre, elles sont égales en légitimité. Puis en recommandant que la séparation absolue entre elles cède le pas à l’autonomie relative et à l’attention réciproque. Enfin en refusant qu’une lutte puisse nuire aux autres luttes. Une fois cela posé, tout peut commencer…

    Repartons de la postulation (bien fondée) : « les combats (antiraciste et anticapitaliste) sont liés », et de la question qui s’ensuivait : oui, mais comment ? Pas simplement, donc. C’est même une articulation passablement complexe.

    La hiérarchie structurale des rapports de domination ne détermine aucune hiérarchie de qualité des luttes qui correspondent à ces rapports. Aucune lutte ne se subordonnera les autres. Ce serait doublement idiot : symboliquement, d’abord, parce qu’on ne construira pas un bloc (contre-)hégémonique sans faire se parler, se considérer, se rapprocher, et même se retrouver de quelque manière au moment décisif, les différentes composantes du paysage des luttes — donc sans qu’il soit fait droit aux légitimes motifs de chacune, ni, inversement, que les unes ne renoncent à inféoder les autres ou à simplement les battre froid. Stratégiquement, ensuite, parce que, pour l’heure, les divers rapports de domination sont si intriqués que les luttes en sont indistinguables en situation : allez demander, par exemple, aux femmes de chambre noires en grève des hôtels Ibis de faire le tri de leurs « causes », ou de les hiérarchiser. Ce sont des complexes, ou des agglomérats, de dominations qui se donnent en pratique, si bien que lutter contre l’une est ipso facto lutter contre les autres. Il s’ensuit quatre conclusions possibles.

    1. Il n’y aura pas de bloc contre-hégémonique hors d’une reconnaissance de l’égalité des luttes. Une égalité qualitative, cependant, qui n’empêche pas de faire des différences quantitatives. Égales en légitimité, les luttes diffèrent en périmètres. Bien sûr, ces périmètres connaissent des zones de recouvrement, mais partielles. Dans ces recouvrements, la superposition des dominations se trouve structurée d’une certaine manière. Répondre à la question de savoir « comment les combats sont liés », c’est penser cela : les recouvrements partiels, de quelle manière ça s’agence en leur sein, et ce qu’il y a au-dehors.

    reservé aux abonnées ou en kiosque mars 2021

    « Si on devait formuler une éthique politique des luttes, elle aurait pour premier principe de ne rien faire dans sa lutte qui puisse nuire aux autres luttes. »