• Pôle emploi permet à n’importe qui d’obtenir les CV de Français beaucoup trop facilement
    Moran Kerinec 17 décembre 2020 - Société

    https://www.numerama.com/politique/676640-pole-emploi-permet-a-nimporte-qui-dobtenir-les-cv-de-francais-beauc

    Supposées épauler le retour à l’emploi, les petites annonces de Pôle emploi sont sclérosées d’annonces fallacieuses. Des escrocs exploitent la faible sécurisation de la plateforme pour récolter les données personnelles des candidats et leur proposer directement des emplois frauduleux. Notre enquête montre combien il est beaucoup trop facile pour n’importe qui d’avoir accès aux informations personnelles de nombreux demandeurs d’emploi en France.

    Furieuse, Fiona claque la porte d’un appartement lillois. La jeune femme pensait passer un entretien pour un poste d’hôtesse d’accueil dans un hôtel au Touquet. Elle s’est vu proposer une position d‘escort-girl. L’annonce à laquelle elle répondait provient pourtant du site de Pôle emploi, et possédait les caractéristiques d’une offre classique émise par une agence d’événementiel. Interloquée, Fiona en fait part à son conseiller Pôle emploi. « Il m’a dit que c’était trop compliqué de tout gérer, qu’ils ne peuvent pas forcément déceler les fausses annonces », se remémore la jeune femme avec dépit.

    L’expérience de Fiona n’est pas isolée : les offres frauduleuses abondent sur le site de Pôle emploi. Désormais, de nombreux « recruteurs » ne s’embarrassent plus de poster leurs offres sur la plateforme, et expédient directement des propositions douteuses dans les boîtes mails des demandeurs d’emploi. Au choix parmi les postes proposés : collecte de loyers impayés, mise sous pli d’enveloppe de publicités, chargé d’accueil en magasin ou chauffeurs d’un jour. Les offres varient, mais toutes sont des escroqueries. « Dans l’ensemble, les offres se ressemblent, outre les fautes d’orthographe : un travail simple et bien rémunéré », explique Mélanie, jeune femme inscrite sur la plateforme. « Quasiment tous les mois je recevais des mails comme ceux-ci, pour des ‘missions’ diverses et variées », abonde Edouard, dans la même situation.

    • Chômeurs et cibles des escrocs
      4 mars 2021 Par Cécile Hautefeuille

      Allocations chômage détournées. Offres d’emploi frauduleuses. Données personnelles pillées et chômeurs plumés : les arnaques visant les demandeurs d’emploi se multiplient depuis le début la crise. Enquête sur les méthodes des escrocs.

      Son espace personnel était toujours à son nom. C’était bien la seule chose qui lui appartenait encore. Laura, 24 ans, vient de se réinscrire à Pôle emploi, après un licenciement. En voulant réactiver son espace personnel, créé il y a quelques années, elle a eu une désagréable surprise. « Je n’y avais plus accès. Mon mot de passe ne fonctionnait plus. J’ai alerté mon agence et une conseillère a découvert que mon profil avait été piraté. Quelqu’un s’était installé à ma place ! », s’étonne la jeune femme.

      Presque toutes les informations personnelles de Laura ont été remplacées. Numéro de Sécurité sociale, coordonnées (à l’exception du numéro de téléphone portable), parcours professionnel et RIB, relevé d’identité bancaire. « Heureusement que je n’ai pas perçu d’allocations. Elles auraient été versées sur un autre compte en banque ! », soupire Laura. L’espace personnel de la jeune femme est désormais entre les mains de Pôle emploi qui doit « le nettoyer ». En attendant, elle est privée de ses allocations. Son dossier est bloqué. Elle attend depuis un mois et demi.

      Le détournement de RIB pour siphonner les allocations des chômeurs est un phénomène connu de Pôle emploi. Il semble s’intensifier depuis le début de la crise sanitaire, selon des courriels internes que Mediapart a pu consulter, dans différentes régions. Combien de personnes ont été escroquées ? Combien de RIB détournés ? Sollicité, Pôle emploi n’a pas souhaité confirmer cette information ni quantifier les dommages.

      Les usurpateurs utilisent des RIB de néo-banques du type Compte Nickel, So Shop ou encore Treezor. Des comptes simples et rapides à ouvrir chez un buraliste. Ils se gèrent en ligne et permettent d’obtenir un relevé d’identité bancaire en deux temps trois mouvements.

      Pour les substituer aux RIB des demandeurs d’emploi, les escrocs ont différentes techniques. Pirater l’espace personnel. Ou se faire passer pour le titulaire du profil et réclamer, par courrier ou au téléphone, la modification du RIB. Pôle emploi a renforcé sa vigilance et exige désormais que les demandeurs d’emploi se déplacent en agence, avec une pièce d’identité, pour toute demande de modification de RIB.

      « Notre système informatique a également été amélioré, précise N., directrice d’une agence. Dorénavant, il croise les RIB identiques déposés sur différents profils de demandeurs d’emploi. S’il ne s’agit pas d’un couple, on bloque. Et on vérifie. »

      Pôle emploi doit régulièrement s’adapter. « Les escrocs ont une imagination sans limite pour essayer d’arnaquer les demandeurs d’emploi », raconte un agent. Celui-ci s’interroge : « Dès que nous mettons à jour le système informatique, il est contourné en quelques heures. »

      Les escrocs semblent bien maîtriser le fonctionnement de Pôle emploi. Ils s’en servent pour se faire passer pour des agents et récupérer des informations personnelles de demandeurs d’emploi. Ils appellent le 3949 (numéro unique de Pôle emploi), le 3995 (numéro destiné aux recruteurs) voire directement des numéros de téléphone fixe dans les agences.

      Au bout du fil, le discours est généralement bien rodé et le débit rapide, pour feindre une demande à caractère urgent. Les personnes malveillantes ont une fine connaissance des outils et du jargon de Pôle emploi et peuvent se faire passer pour un agent du service fraude.

      Des mises en garde internes que Mediapart a pu consulter en 2020 et 2021 sensibilisent les agents de Pôle emploi sur ces appels douteux. « Parfois ils essaient juste de récupérer des identifiants ou des infos sur les demandeurs d’emploi, explique un agent. On pense aussi qu’ils agissent pour le compte d’organismes de crédits ou de banques pour vérifier la solvabilité des personnes ou leur situation familiale. »

      Offres d’emploi frauduleuses : les escrocs s’adaptent vite

      Là encore, le problème n’est pas nouveau. Il empoisonne Pôle emploi et les chômeurs depuis des années. Les offres d’emploi frauduleuses parviennent encore, malgré tous les boucliers érigés par l’établissement, à être diffusées sur son site internet. Essentiellement les soirs et les week-ends, quand les agents ne peuvent intervenir. Nous l’avons constaté en naviguant sur le site (voir l’onglet Prolonger).

      Le but de la manœuvre : entrer en contact avec des chômeurs, récupérer leurs données personnelles et des documents administratifs ou bancaires (pièces d’identité, RIB). Et dans le pire des cas, leur extorquer de l’argent.

      Ces offres sont souvent séduisantes : un travail en CDI, présenté comme facile, bien rémunéré et ne nécessitant pas d’expérience ou de qualification particulière. « Depuis le début de la crise, on voit aussi apparaître des offres proposant de travailler depuis son domicile, ce qui a tendance à rassurer, vu le contexte », détaille Jean-Jacques Latour, responsable de l’expertise cybersécurité sur le site gouvernemental d’assistance et prévention en sécurité numérique.

      Quand un demandeur d’emploi postule, il reçoit rapidement un mail du prétendu employeur flattant sa candidature et lui promettant une embauche.

      Éric en a fait l’amère expérience. Il a répondu à une offre d’agent de manutentionnaire. La réponse n’a pas traîné. Son interlocuteur lui proposait de le recruter et de lui envoyer un chèque de près de 2 000 euros : 450 euros d’avance de salaire et le reste, pour acheter du matériel auprès d’un « fournisseur particulier ».


      Le mail reçu par Eric après sa candidature © Capture d’écran Le mail reçu par Eric après sa candidature © Capture d’écran

      C’est la principale méthode des escrocs : adresser un chèque – qui va se révéler faux quelques jours après encaissement – et extorquer l’argent envoyé au prétendu fournisseur.

      Éric a flairé le mauvais coup et n’a pas donné suite. Après vérification, il s’est aperçu que l’employeur n’existait plus. La société avait été dissoute. Les escrocs ont utilisé le nom et le numéro de SIRET comme une façade pour poster une offre d’emploi.

      Éric est furieux. Contre les arnaqueurs « des fourbes qui s’en prennent à des précaires ». Et contre Pôle emploi « qui laisse passer ces annonces sans vérifier ». Il a d’ailleurs prévenu sa conseillère. « Sa seule réponse a été de m’envoyer promener ! Elle m’a dit que je ne devais pas lui écrire directement mais passer par mon espace personnel. Aucune réponse sur le fond, ils s’en foutent ! »

      Éric n’a jamais été recontacté par son agence à ce sujet. Pourtant, sur des documents internes de l’opérateur, il est stipulé dans la rubrique « éléments de langage » que « Pôle emploi contacte systématiquement les demandeurs d’emploi susceptibles d’avoir reçu une proposition frauduleuse ».

      L’autre méthode des escrocs consiste à entrer directement en contact avec les chômeurs qui déposent leur CV dans la base de données de Pôle emploi. Les demandeurs d’emploi sont d’ailleurs fortement incités à le faire pour prouver leur « recherche active » d’un travail.

      Les individus malveillants n’ont qu’à se servir. Des centaines de milliers de profils sont à leur disposition avec les noms, adresses, e-mails et numéros de téléphone. Le journaliste indépendant Moran Kerinec a récemment réalisé pour Numerama une enquête très fouillée sur le sujet. Il démontre la facilité déconcertante avec laquelle n’importe qui peut s’inscrire comme particulier employeur sur le site de Pôle emploi. Et naviguer au milieu d’un océan de CV et de données.

      Il est donc aisé d’hameçonner les e-mails et d’envoyer de fausses propositions d’emploi. Certaines sont bien connues des chômeurs, habitués à recevoir, dès la mise à jour de leur CV, des propositions farfelues. « Mise sous pli », « récupération de loyers », « chauffeur privé ». Ces offres, truffées de fautes d’orthographe, sont régulièrement partagées sur des sites d’entraide ou les réseaux sociaux. Pour que personne ne tombe dans le panneau.

      Mais les escrocs s’adaptent. Vite et bien. Ils envoient désormais des offres mieux rédigées. Et très personnalisées.

      Sandrine, 21 ans, a ainsi été approchée il y a quelques semaines. Elle est illustratrice et inscrite à Pôle emploi. Son CV est en ligne. Elle a reçu par mail une proposition « d’un soit-disant notaire qui voulait passer commande pour la réalisation d’affiches. Son mail était très long et précis, raconte la jeune femme. Tout correspondait bien à mes compétences. J’ai dit que j’étais partante ».

      En retour, le correspondant lui réclame un RIB, pour la rémunérer. Sandrine s’exécute. Moins d’une heure plus tard, le pseudo-notaire lui renvoie un mail. « Il m’explique s’être trompé et avoir envoyé 3 500 euros au lieu de 350. Il me demande de lui rembourser la différence. À partir de là, je n’ai plus répondu. » Bien sûr, l’argent n’est jamais arrivé. Et le RIB de Sandrine est désormais dans la nature.

      Pôle emploi a bien conscience du phénomène. En 2017, l’opérateur communiquait sur le sujet et annonçait avoir débusqué 11 000 offres frauduleuses, l’année précédente, sur son site. Des chiffres officiels très en deçà de la réalité ?

      Mediapart a pu consulter des documents internes, émanant du service de prévention des fraudes. Entre juin 2017 et mars 2018, plus de 85 000 offres d’emploi avaient été « diffusées puis annulées » en raison de leur caractère suspect. Soit 4 % des offres diffusées à cette époque.

      En 2018, toujours selon des documents internes, 140 356 offres frauduleuses avaient été diffusées puis supprimées. Combien en 2019 ? En 2020 ? Nous n’avons pas pu accéder à ces chiffres et Pôle emploi ne les communique pas.
      Document interne de Pôle emploi donnant les chiffres de 2018


      © capture d’écran Document interne de Pôle emploi donnant les chiffres de 2018 © capture d’écran

      Dans son rapport d’activité 2019, le service prévention des fraudes détaillait les « adaptations constantes des paramètres » visant à détecter ces offres frauduleuses et en déplorait le contournement systématique et rapide.

      Les boucliers sont sans cesse renforcés et Pôle emploi assure aujourd’hui à Mediapart que les offres sont « toutes contrôlées automatiquement par des algorithmes qui évoluent en permanence, afin de détecter les offres suspectes » et « diminuer significativement le nombre d’offres et de contacts suspects sur le site ».

      Quant au hameçonnage des données, il est reconnu comme « l’un des grands phénomènes contre lequel lutte Pôle emploi ». L’opérateur sécurise autant que possible les espaces recruteurs via des processus de « certification », mais ne souhaite pas les rendre publics pour éviter qu’ils ne soient contournés.

      Enfin, en 2019, un partenariat a été noué avec le site gouvernemental de lutte contre la cyber-malveillance. L’année dernière, 800 signalements de « fraudes à l’emploi » y ont été recensés.

      « Nous voyons bien que ces arnaques sont en hausse depuis le début de la crise, précise Jean-Jacques Latour, responsable de l’expertise cybersécurité sur le site cybermalveillance.gouv.fr . ll y a davantage de demandeurs d’emploi. Davantage de fragilités à exploiter. Les escrocs appuient sur la tête des gens qui se noient. »