• Le débat public est-il de droite ? C’est la thèse de Philippe Corcuff, maître de conférences de sciences politiques à l’Institut d’Etudes Politiques de Lyon, qui analyse dans son livre «  La grande confusion Comment l’extrême droite gagne la bataille des idées » le glissement progressif des thèmes de l’extrême-droite dans le débat public. Une tendance qui participerait ainsi à un brouillage entre les frontières idéologiques de la gauche et de la droite, qu’il appelle « confusionnisme ».

      L’extrême droite écologiste : un exemple de confusionnisme ?

      Cette semaine Marine Le Pen a révélé son « contre-projet de referendum » sur l’écologie, privilégiant entre autres, l’économie circulaire et le « localisme », mais aussi la protection des Français et la préservation des territoires.

      L’intérêt pour l’écologie de Marine Le Pen date de plusieurs années. Ça a commencé dès le début du FN avec l’intérêt du droit pour les animaux et une forte présence de l’extrême droite dans les associations de défense pour les animaux. Dans ce livre, je m’intéresse à l’extrême droite écologiste et parmi ses figures il y a Éric Zemmour, Alain Soral, Renaud Camus et Hervé Juvin.

      Ce dernier va jouer un rôle important dans l’accentuation de la dimension écologiste du RN. Il a une tendance à utiliser l’écologie pour traiter des cultures et des groupes humains. Selon lui, il faut diviser les cultures pour les protéger, il défend une vision écologique du rapport entre les cultures et les civilisations, il ne faut pas qu’elles se mélangent pour garder une forme de pureté.

      Dans les courants écologistes, avec des va-et-vient entre la droite et la gauche, il peut y avoir une façon de naturaliser des formes sociales, par exemple la famille, comme si les relations humaines étaient fixes à la manière des relations naturelles et donc il peut y avoir une forme de conservatisme. Mais les écologistes aujourd’hui sont plus dans une vision d’émancipation post 68, bien qu’il existe une forme de confusionnisme dans ce va-et-vient entre les deux.

      Les conséquences d’un « confusionnisme » entre Le Pen et Macron

      Il y a un élément fort de la progression de l’ultraconservatisme grâce au confusionnisme, qui est l’évolution de la frontière avec l’extrême droite. [...] Il y a dans un récent de livre de Bégaudeau l’idée que Le Pen c’est mieux que Macron et Zemmour c’est mieux qu’Enthoven. Onfray explique qu’on est déjà en dictature, donc non ne peut pas faire de distinction. Il y a toute une série d’éléments confusionnistes qui cassent cette frontière symbolique avec l’extrême droite.

      Il faut maintenir la frontière symbolique, je combats la politique de Macron et sa contribution à l’extrême droitisation, mais je ne dis pas que c’est la même chose que Marine Le Pen. Il faut combattre cette dégradation de la frontière symbolique parce qu’elle est en train d’emporter la notion même de gauche et les idéaux qui y sont historiquement associés, notamment les idéaux d’émancipation.

      Quand je dis que deux des candidats principaux, Macron et Mélenchon, contribuent à l’extrême droitisation, ça ne m’empêchera pas de voter pour l’un des deux au deuxième tour. C’est important de préserver cette frontière symbolique pour préserver la richesse du clivage droite gauche.

      Je vois une "sarkozisation"de Macron depuis décembre 2018 qui ne correspond pas au refus des logiques identitaires et à la vision pluri-identitaire qui étaient celles de sa campagne en 2017. Cela correspond à mon avis à une dégradation politicienne du personnel politique, qui aujourd’hui n’a plus de vision à moyen et un long terme, mais garde le nez dans le guidon, bricoler des petites tactiques politiciennes sans penser long terme.

      Éric Zemmour : une nouvelle figure politique ?

      La différence entre Éric Zemmour et Alain Soral, est que le pôle xénophobie de Soral est l’antisémitisme, et chez Zemmour c’est l’islamophobie et la négrophobie. Ce qui est très fort chez eux, c’est la combinaison entre de l’antisémitisme, ou l’islamophobie et négrophobie, avec l’antiféminisme et l’homophobie. Zemmour en est un écho dans les médias officiels et Soral est l’écho underground. Mais attention, Soral a peut-être plus d’effets que Zemmour. Il fait des vidéos sur Youtube à un million de vues et c’est beaucoup.

      Le fait que le mythe antisémite de Rothschild ait resurgi dans la campagne de 2017, pendant les gilets jaunes et la liaison avec les thématiques anti-sionistes, a eu un effet sur les jeunes générations. Il y a une dizaine d’années, je me suis rendu compte que des étudiants de deuxième et troisième année mettaient sur le même plan Bourdieu et Soral, des étudiants en sociologie ! Donc ces bricolages ont un effet.

      Il y a une semaine j’ai regardé C News, et c’est véritablement Fox News en France : une pensée ultra-conservatrice qui vient plus souvent des animateurs que des invités, qui d’ailleurs les poussent encore plus loin. Pour Zemmour, ça peut être un passage à la politique. Le problème de Zemmour c’est le premier tour, où peut-être sa tentative politique va échouer, mais s’il existait un deuxième tour, Zemmour pourrait battre Macron, comme une sorte de Trump.

      La place de la gauche dans le débat

      Les locuteurs de gauche participent à la trame confusionniste et beaucoup dans le milieu intellectuel. C‘est un des éléments très importants. La revue Front Populaire de Michel Onfray, c’est le laboratoire principal du confusionnisme, car sous le titre de gauche il fait parler des interlocuteurs d’extrême droite ou de droite radicale. Par rapport à ça, les gauches intellectuelles ne se saisissent pas du danger ultraconservateur et des risques d’identitarisme. Quand elle réagit, elle réagit partiellement et se paralyse.

      Il y aura une partie de la gauche qui va critiquer l’antisémitisme et pointer le danger réel des islamo-conservatismes mais nier l’existence d’une islamophobie forte en France. Une autre partie va relativiser l’antisémitisme et porter caution à des propos ambigus comme ceux des indigènes de la République. Globalement les gauches intellectuelles aujourd’hui et les gauches en général sont plutôt paralysées, et, de la part des intellectuels, il y a une incapacité à se saisir des enjeux du présent.