Tout va trés bien

En hommage à Paul Misraki, l’auteur de la chanson : « Tout va très bien madame la marquise »

  • L’Ephad et ses fantômes : l’expérience de MSF en France pendant la crise sanitaire. Entretien Par Caroline Izambert
    https://mouvements.info/lephad-et-ses-fantomes-lexperience-de-msf-en-france-pendant-la-crise-sa

    Au début du printemps 2020, l’organisation humanitaire Médecins Sans Frontières (MSF) a lancé une mission dans les Ehpad (établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes) d’Ile-de-France, touchés de plein fouet par la pandémie de Covid-19. Après avoir réfléchi à la mise en place de soins palliatifs de nuit, l’organisation s’est finalement orientée, suite à une phase exploratoire, vers un appui en journée à des Ehpad en difficulté. Puis à partir de l’été, une fois la crise terminée, les équipes de MSF ont proposé aux personnels des établissements un accompagnement en santé mentale. Retour le 28 septembre 2020 sur cette expérience avec quatre membres de la mission, Olivia Gayraud (coordinatrice projet), Jean-Hervé Bradol (médecin, membre du CRASH-Centre de Réflexion sur l’Action et les Savoirs humanitaires attaché à MSF), Marie Thomas (psychologue) et Michaël Neuman (membre du CRASH)

    . . . . . il vaut mieux mourir confortablement dans un Ehpad que mal installé sur un brancard dans un couloir d’un service d’urgences ». Le tableau brossé par notre collègue du Samu correspondait à la saturation de certains hôpitaux en mars-avril. Nous ne parlons pas de lits de réanimation, qui la plupart du temps ne correspondent pas aux besoins des résident·es d’Ehpad, mais de simples lits de gériatrie aiguë pour une prise en charge de l’infection et, éventuellement, des soins de fin de vie. En face, dans les Ehpad, les personnels nous disaient qu’ils avaient peu de moyens pour accompagner les personnes vers la mort, qu’un lit d’Ehpad, ce n’est pas la même chose qu’un lit d’hôpital, les soins aigus y sont difficiles. Même dans les Ehpad où l’on réussit à mettre les personnes sous oxygène et sous antibiotiques – des mesures qui ont permis à certains·es résident·es de s’en sortir –, on restait loin des standards d’un lit de gériatrie à l’hôpital. C’est de ce décalage entre ce que l’on demandait aux Ehpad et ce qu’ils pouvaient faire qu’est née la mission. . . . .

    . . . . . Olivia Gayraud : Ce qui m’a frappé et m’a motivée dans cette mission, c’était l’absence criante de présence médicale dans les Ehpad. Certaines institutions n’avaient plus de médecins coordonnateurs, beaucoup étaient âgés et devaient donc se confiner, d’autres étaient tout simplement déjà tombés malades. Les médecins de ville qui suivent les résidents-es ne venaient plus. Il n’y avait plus aucune continuité de soins alors qu’il s’agit de personnes très âgées avec de lourdes pathologies chroniques. Par rapport à la situation de la nuit, c’était un véritable appel au secours. Des aides-soignant·es se retrouvaient seul·es à devoir accompagner des personnes âgées en train de mourir dans des circonstances extrêmement difficiles. J’ai trouvé cela terrible un tel manque d’accès aux soins, un tel traitement des personnes âgées et du personnel dans un pays comme la France. On a demandé aux Ehpad de devenir des unités de soins mais sans logistique, sans ressource et sans compétence. Une fois la problématique connue, nous avons constitué une équipe mobile médicale et nous sommes allés visiter les Ehpad qui avaient été identifiés et qui acceptaient de recevoir de l’aide. . . . .

    . . . . . Ce qui s’est passé au printemps était l’exacerbation d’une crise institutionnelle déjà présente depuis plusieurs années. Avec la Covid-19, le nombre de personnes touchées étaient sans commune mesure avec les épisodes précédents : parfois, dans un même établissement, on avait jusqu’à trente ou quarante personnes âgées très malades. Ensuite, le manque de personnel était criant et les protocoles impossibles à respecter. Une partie du personnel était infectée ou avait fui par peur de se contaminer. Quand vous avez deux aides-soignantes pour 90 résident·es, même les soins de conforts comme les toilettes ne peuvent être faits correctement. Enfin, ces lieux étaient devenus de véritables bombes virales. . . . .

    . . . . . Ce qui m’a marqué, c’est le décalage entre l’obsession sur les lits de réanimation au niveau national alors que sur le terrain, ce dont avaient besoin les résident·es des Ehpad, c’était de simples lits d’hospitalisation avec de l’oxygène et quelques prescriptions standardisées ou des soins palliatifs. Et puis le 28 mars, il y a eu la demande faite par Olivier Véran, ministre de la Santé de confiner les personnes non seulement dans les établissements mais dans leur chambre. . . . . .

    . . . . . écouter les vieux des Ehpad, ça n’a jamais été au programme. Malgré le plébiscite des résident·es, sous la pression des autorités sanitaires régionales, une directrice d’Ehpad a du démanteler un dispositif de visites pour les proches. Peu de gens y ont vu quelque-chose à dire, surtout parmi les mandarins, les grands professeurs de réanimation qu’on entendait toute la journée à la télévision.

    Cela est rentré en résonance avec d’autres expériences d’incarcération ou d’enfermement dans des lieux comme des prisons ou des orphelinats que nous rencontrons très régulièrement en tant qu’humanitaires, des expériences aux conséquences souvent catastrophiques. . . . .

    . . . . . Ceux et celles qui ont le plus souffert, sont ceux et celles qui avaient initialement le moins de troubles cognitifs et dont l’état s’est beaucoup aggravé pendant la crise. L’enfermement a été meurtrier sur le plan psychique comme physique. Aujourd’hui (en septembre 2020), il n’y a plus de consignes nationales, l’État s’est déchargé sur les directions en leur disant que c’était à elles de décider si le confinement se poursuivait ou pas. C’est un stress et une responsabilité énorme pour les équipes. Il y a des endroits où l’on arrive à des situations ubuesques : si le directeur ou la directrice part trois jours en week-end et bien on confine trois jours pour rouvrir ensuite…

    . . . . . L’expression « ballet de cercueils » est revenue à de nombreuses reprises. Dans les Ehpad, les plus touchés, il y a eu en 10 jours le nombre de morts qu’il y a habituellement en 18 mois, c’est normal de ne pas pouvoir l’intégrer et accepter. D’autant que la relation entre le personnel et les résidents-es n’est pas du tout la même qu’à l’hôpital. Elles – je dis elles parce que ce sont à 80% des femmes – parlent souvent de « leurs résident·es » et les appellent par leur prénom. Au départ, cela surprend mais il y a de grandes relations d’attachement dans ces lieux avec des personnes qui se voient tous les jours pendant des années et partagent les joies et les peines du quotidien. Elles évoquent les sacs mortuaires comme des sacs poubelles dans lesquels ont été mises les personnes ainsi que l’empêchement d’accompagner les personnes âgées jusqu’à la mort. . . . . .

    . . . . . es scènes extrêmement intolérables et choquantes notamment dans les Ehpad où l’oxygène a manqué. Des corps retrouvés bleus par terre, des personnes recroquevillées dans des positions fœtales (signe de douleur), des choses difficiles à entendre même pour nous. Les réminiscences sont également auditives : le bruit des cercueils qu’on scelle, un souvenir qui est évoqué par beaucoup comme insupportable. Les refus du Samu de se déplacer ont aussi été très mal vécus par les équipes. Et malgré ce traumatisme, il a fallu continuer à travailler sur une longue période. Beaucoup de personnes parlent de changer de métier, de retraite anticipée, d’arrêt maladie. . . . . .

    . . . . . par rapport à des mots qu’utilisent les personnels dans les groupes de parole. Dans six groupes différents, dans six lieux différents, les personnes ont comparé ce qui s’est passé à l’élimination des handicapé·es par les nazis. Cette comparaison montre bien à quel point ce qu’ils ont vécu a été violent et ils-elles se sont senti·es abandonné·es du reste de la société. . . . . .

    . . . . . en Belgique comme en Espagne, les dirigeants des pays ont accepté l’idée qu’ils avaient été dépassés par les événements. En France, le discours officiel a été : « l’hôpital a tenu », il n’y a jamais eu aucune reconnaissance du fait d’avoir été débordé par la situation. La doctrine de l’infaillibilité de l’État et son corollaire, le système de soins français le « meilleur du monde » (sic), a prévalu tout au long de la crise. Les pouvoirs publics n’ont jamais laissé entendre qu’ils avaient besoin d’aide et ils ont même réussi à le faire croire. . . . . .

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