• « La situation sanitaire dans les écoles met en danger l’ensemble de notre réponse à l’épidémie »
    https://www.lemonde.fr/idees/article/2021/03/30/covid-19-anticiper-les-vacances-de-paques-par-une-periode-d-enseignement-a-d

    Un collectif de médecins et de parents d’élèves, parmi lesquels Djillali Annane, Dominique Costagliola et Gilles Pialoux, estime que la fermeture des écoles « n’entraînerait pas mécaniquement une catastrophe éducative au pays des Lumières ».

    L’incidence des nouveaux cas de Covid-19 a doublé chez les enfants de moins de 9 ans au cours des deux dernières semaines. Chez les 10-19 ans, elle est plus élevée que la moyenne nationale pour la dixième semaine consécutive. Oui, les enfants sont contaminés par le coronavirus quand ils y sont exposés. Et ce au prorata de l’augmentation de la circulation du virus liée au variant anglais.

    Oui, ils sont ensuite contagieux au sein de leur foyer familial, et constituent un risque pour leurs parents et leurs grands-parents : toutes les publications scientifiques l’affirment de façon nette, même celles sur lesquelles se fondent ceux qui s’entêtent à nier ou minimiser la réalité du risque. Il n’y a donc pas de « cacophonie scientifique » sur ce point. Le consensus en la matière est clair.

    Persistance du déni

    Premièrement, les enfants et les adolescents sont susceptibles de s’infecter, puis de transmettre, quand ils sont exposés. Et exposés, ils le sont, à l’école, malgré le port du masque. Les cantines, bien sûr, mais aussi les classes de nos établissements scolaires sont des lieux à risque de transmission du virus. La circulation virale y est importante, la fréquentation des espaces est dense et prolongée, l’aération insuffisante.

    Deuxièmement, le système de surveillance et d’alerte existant ne répond absolument pas aux standards de fiabilité établis, et ne permet donc pas un pilotage réactif : le dépistage est insuffisant (0,03 test par enfant du primaire la semaine dernière), aucun effort n’est fait pour le rendre exhaustif là où il est conduit, les remontées sont opaques, il n’y a pas d’échantillon aléatoire d’élèves permettant un suivi non biaisé.

    Tester, tracer, isoler : à l’école, le compte n’y est pas.

    Troisièmement, cette situation met en danger l’ensemble de notre réponse à l’épidémie ; elle constitue, selon le mot de l’épidémiologiste Arnaud Fontanet, membre du conseil scientifique du gouvernement, un « talon d’Achille » dont les conséquences ébranlent aujourd’hui la société tout entière. Et ce talon d’Achille, les mesures les plus récentes le renforcent !

    La décision du 18 mars d’autoriser à nouveau les cours d’éducation physique et sportive en intérieur révèle la persistance du déni. Certes, les fermetures de classe au premier cas sont une avancée positive récente, mais pourquoi les limiter aux dix-neuf départements sous restrictions renforcées ?

    Structurer une réponse adaptée

    Face à ces réalités, nous, acteurs de la société civile, scientifiques et médecins, nous avons alerté les autorités depuis plusieurs mois. Nous savions que l’euphémisation, voire le déni du risque nous conduiraient au pied du mur. Nos réanimateurs (voir la tribune du Monde datée du 28 mars) nous le disent à présent : nous y sommes !

    Oui, il était possible de structurer une réponse adaptée pour sécuriser l’environnement scolaire : capteurs de CO2 dans les classes pour assurer une aération intelligente, purificateurs d’air, démultiplication des lieux de repas, soutien pédagogique renforcé auprès des élèves à l’isolement, suppression totale des occasions de brassage (comme à l’étude par exemple), et diffusion d’outils didactiques pour soutenir les équipes éducatives dans leur rôle-clé de pédagogie et de prévention.

    Non, le protocole à lui seul, eût-il été aussi renforcé que le prétendait l’exécutif, ne permettait pas aux équipes d’assurer en première ligne la promotion des bons comportements auprès des élèves, du port correct du masque à l’auto-isolement en passant par l’adhésion au dépistage ou le respect des distances physiques dans les couloirs, les escaliers, les cours de récréation.

    Nous contestons que la décision soit présentée comme un dilemme entre le bénéfice sanitaire d’une fermeture des établissements scolaires, d’une part, et ses dégâts pédagogiques, psychologiques et sociaux, de l’autre. Non, contrairement à ce que suggère le ministre de l’éducation nationale, la fermeture des écoles n’est pas une option du « tout sanitaire » qui entraînerait mécaniquement dans son sillage une « catastrophe éducative » au pays des Lumières.

    Stress dangereux

    Ce débat est faussé. Comment l’enseignement à distance, que tant d’enseignants ont cherché à apprivoiser au printemps 2020 avec ténacité et ingéniosité, et dont les bonnes pratiques font l’objet d’une vaste littérature internationale depuis un an, a-t-il pu devenir aux yeux du politique un tel épouvantail ? Les risques pédagogiques, psychologiques et sociaux qu’il comporte peuvent être atténués. Quel est le poids de la culpabilité des lycéens ou collégiens impliqués dans les clusters familiaux ? Quel est l’impact de cette incertitude totale sur la date possible de sortie de crise et de la fin du « stop and go », éreintant pour toutes les générations ?

    Au collège, au lycée, mais aussi au primaire, anticiper dès maintenant les vacances de Pâques par une période d’enseignement à distance, ce serait protéger l’intérêt de l’école et celui de la société. La désorganisation des établissements atteint d’ores et déjà un niveau problématique.

    Absences d’élèves, isolés ou en quarantaine, absences d’enseignants et d’assistants d’éducation entraînant de nouveaux brassages d’effectifs : la communauté éducative est soumise aujourd’hui à un niveau de stress dangereux et évidemment préjudiciable à la santé des enseignants, au bien-être des élèves et à la qualité éducative.

    Ce dont nous aurions besoin aujourd’hui, c’est de soutien politique pour nous aider à relever ensemble ces défis. Impératif pédagogique et impératif sanitaire ne sont et ne doivent plus être en contradiction. Au contraire, l’intérêt des enfants et l’intérêt de la société doivent être alignés.

    Les signataires : Djillali Annane, chef du service de réanimation, hôpital Raymond-Poincaré, AP-HP ; François Bourdillon, ancien directeur général de Santé publique France ; Dominique Costagliola, directrice de recherches à l’Institut Pierre-Louis d’épidémiologie, membre de l’Académie des sciences ; William Dab, professeur émérite du Conservatoire national des arts et métiers (CNAM), ancien directeur général de la santé ; Mélanie Heard, responsable du pôle santé au think tank Terra Nova ; Christian Lehmann, médecin généraliste ; Gilles Pialoux, chef du service des maladies infectieuses, hôpital Tenon, AP-HP ; et les collectifs Ecole et familles oubliées et Du Côté de la science.

    #covid-19 #école #crise_sanitaire