e-traces

Le projet e-traces aborde le Web 2.0 dans le contexte de l’instauration progressive d’une société de la surveillance.

  • Internet par satellite : la nouvelle bataille de l’espace
    https://www.lemonde.fr/economie/article/2021/04/02/internet-par-satellite-la-nouvelle-bataille-de-l-espace_6075300_3234.html

    La course s’accélère pour diffuser l’Internet haut débit dans les zones inaccessibles partout sur la planète. Elon Musk s’impose avec Starlink, un projet de constellation de 42 000 satellites. Vostothni, au sud-est de la Sibérie, dans la nuit du jeudi 25 mars. Sur le pas de tir de ce cosmodrome russe, une fusée Soyouz opérée par l’entreprise européenne Arianespace décolle. Sa mission, mettre en orbite 38 satellites de la société anglo-indienne OneWeb. Ils vont rejoindre les 110 autres gravitant déjà autour de la Terre, premiers éléments d’une constellation de 648 satellites destinée à diffuser l’Internet haut débit partout sur la planète.

    La veille, à Cap Canaveral, en Floride (Etats-Unis), une fusée Falcon 9 ajoutait 60 satellites aux 1 300 lancés en moins de deux ans par Elon Musk, dirigeant de Tesla et fondateur de l’entreprise spatiale SpaceX, pour former sa propre constellation, Starlink. Mais là, il s’agit d’une tout autre échelle : ce maillage spatial devrait être composé, à terme, de 42 000 satellites.

    Ces lancements n’en sont donc qu’à leurs débuts. Ils vont se poursuivre avec la régularité d’un métronome, à raison de 34 à 36 satellites une fois par mois pour OneWeb, et de 60 tous les quinze jours pour Starlink, jusqu’à ce que leur réseau soit tissé. Dans les années à venir, les mises en orbite vont s’intensifier avec la concrétisation des projets de l’opérateur de satellites canadien Telesat, ainsi que de ceux du patron d’Amazon, Jeff Bezos, et de l’Union européenne.

    Engouement pour l’orbite basse

    Hormis les Chinois, très secrets, ils sont donc cinq acteurs à vouloir connecter les zones isolées, les voies maritimes et aériennes, en plaçant des satellites entre 550 kilomètres et 1 200 kilomètres d’altitude. Cet engouement récent pour l’orbite basse est lié à la multiplication des services nécessitant des temps de réponse quasi instantanés, que ce soit dans les transports, la finance, la défense ou même les jeux vidéo. Or, à la différence de l’orbite géostationnaire à 36 000 kilomètres, où gravitent des satellites de télécommunications, la basse altitude offre le double avantage d’un débit très élevé et surtout d’un temps de latence infime.

    Mais le ticket d’entrée pour former une constellation est élevé : entre 2 milliards et 10 milliards de dollars (entre 1,7 milliard et 8,5 milliards d’euros). Un investissement considérable pour des perspectives encore floues, mais espérées prometteuses. Aujourd’hui, les communications par satellites représentent moins de 1 % du marché mondial du transport de la donnée, 6 milliards de dollars sur les 800 milliards annuels.

    « Les besoins sont tels que ce pourcentage devrait doubler rapidement », estime Hervé Derrey, PDG du fabricant franco-italien de satellites Thales Alenia Space (TAS). « Ce que cherche un opérateur de satellites, ce n’est pas de concurrencer la fibre, mais d’occuper la niche où elle ne pourra jamais aller », résume le directeur général d’Eutelsat, Rodolphe Belmer. Dans cette perspective, « rien que pour l’Europe, nous estimons à 3 ou 4 millions le nombre de foyers à connecter à l’horizon 2030, et 5 millions en Afrique ».
    « The winner takes all »

    Cependant, la compétition s’annonce inégale face à Elon Musk, devenu l’acteur spatial le plus actif de la planète. « Il faut avoir en tête qu’il possède plus de 40 % des satellites opérationnels, relève Stéphane Israël, président exécutif d’Arianespace, l’entreprise chargée du lancement des fusées Ariane, Soyouz et Vega. Qu’un seul acteur privé ait autant de poids soulève de nombreuses questions, surtout quand on sait que les constellations peuvent aussi être des infrastructures de souveraineté. »

    Après s’être imposée en quelques années sur le marché des lanceurs, sa société SpaceX fabrique des satellites pour les besoins de sa constellation. Ces derniers sont alors envoyés par ses propres fusées, dont le premier étage revient après chaque mission se poser sur une barge dans l’Atlantique pour être réutilisé. Etant le seul à maîtriser l’ensemble de la chaîne et le premier sur le créneau des constellations, le milliardaire américain impose ses conditions aux autres arrivants, selon l’adage « the winner takes all » .

    Depuis octobre 2020, plusieurs milliers de Nord-Américains participent aux tests d’accès à Internet dans des régions rurales isolées. Tout avance très vite. Au début du mois de mars, SpaceX a déposé un dossier auprès de la Commission fédérale des communications pour connecter son réseau aux camions, bateaux et avions. L’entreprise a aussi ouvert les précommandes au public. Il en coûtera 499 dollars pour l’achat d’un terminal, et un abonnement mensuel de 99 dollars. Mais la couverture sera limitée au départ à l’Amérique du Nord et au Royaume-Uni. Le seul qui pourra rivaliser, à cette échelle, sera Jeff Bezos, avec son projet Kuiper de 3 200 satellites, encore à l’étude.

    « La constellation la moins chère »

    A coté de ces méga-constellations, un autre entrepreneur américain, Greg Wyler, a choisi une stratégie différente. Fournir avec l’entreprise OneWeb, qu’il crée en 2012, l’Internet haut débit partout dans le monde à destination des professionnels, des collectivités locales ou des gouvernements, sans aller jusqu’au particulier comme le prévoient Starlink et Kuiper. A l’origine, il avait convaincu Coca-Cola d’entrer au tour de table de sa start-up, pour que dans des endroits inaccessibles de la planète les distributeurs de boissons soient équipés de relais.

    Autre différence, les satellites sont placés sur une orbite polaire plus haute que celle de Starlink, 1 200 kilomètres au lieu de 550 kilomètres, ce qui permet d’en avoir moins, leur couverture de la Terre étant plus large. Trois lancements sont effectués entre 2019 et 2020, mais la société connaît des problèmes de financement qui la contraignent en 2020 à se placer sous la protection du chapitre 11 de loi américaines des faillites. Elle sera reprise en juillet par le gouvernement britannique, associé à l’entrepreneur indien Bharti.

    « Nous sommes la constellation la moins chère du monde, 2 milliards de dollars », apprécie le directeur technique de OneWeb, Massimiliano Ladovaz, qui prévoit une mise en service partielle avant la fin de l’année. « Il nous faut encore trois lancements pour arriver à couvrir le Nord de l’Europe, le Royaume-Uni, l’Alaska et le Canada. Ce sera fait à l’été. Nous aurons une couverture globale fin 2022. » Pour cela, OneWeb poursuit avec Airbus la fabrication de ses satellites de 150 kg, « de la taille d’une très grosse machine à laver américaine », au rythme de deux par jour dans leur usine de Cap Canaveral. « 70 % du développement est français », souligne-t-il.

    C’est aussi un européen, TAS, qu’a choisi en février le canadien Telesat pour fabriquer les 298 satellites de sa constellation Lightspeed. Comme OneWeb, elle évoluera à 1 000 kilomètres et ne s’adressera pas aux particuliers. « Cela fait deux ans que nous travaillons sur la conception et le design », souligne Hervé Derrey. « Nous savons ce que nous avons à faire, et les premiers satellites seront lancés en 2023, le réseau constitué en 2025 », affirme-t-il pour relativiser l’impression de retard face aux autres projets.

    « Nos satellites seront interconnectés et chacun pourra parler à quatre autres par laser, ce qui permettra par exemple aux passagers en croisière ou en avion de communiquer instantanément où qu’ils soient dans le monde », décrit-il. Le gouvernement canadien sera le premier client pour vendre des capacités aux communes rurales isolées et lutter contre les zones blanches.

    L’UE joue « le coup d’après »

    « Derrière chaque constellation, il y a un Etat en soutien », souligne Luigi Scatteia, expert espace chez PWC. Face aux Etats-Unis, au Royaume-Uni et au Canada, le commissaire européen chargé de l’espace, Thierry Breton, a annoncé en décembre 2020 un projet européen de réseau de satellites. L’objectif est d’être indépendant, comme pour la géolocalisation avec Galileo face au système GPS américain, ou pour l’observation de la Terre avec le service Copernicus.

    « Ne cherchons pas à copier les Américains ou les Chinois, mais jouons le coup d’après avec une constellation nouvelle génération permettant d’échanger en toute sécurité partout dans le monde », lance-t-on à Bruxelles. Une manière de transformer le retard en avantage pour cette constellation déjà surnommée « Bretonicus » en raison de l’implication de son promoteur. Fin avril, neuf industriels – dont Airbus, Eutelsat, Arianespace et TAS – publieront leur étude de faisabilité de réseau, dont l’investissement est estimé à 5 milliards d’euros.

    L’impératif sera d’aller vite car l’enjeu est de taille. Il en va de la souveraineté numérique, face à des opérateurs privés non européens dont certains, comme Amazon, sont déjà leaders de l’hébergement dans le cloud – l’informatique dématérialisée. Or, certains acteurs du secteur s’inquiètent du risque de saturation de l’espace. Et pointent le fait que le nombre de fréquences disponibles proposées par l’Union internationale des télécommunications, basée à Genève, est restreint, ce qui limite le nombre de constellations possibles.

    La course de vitesse engagée suscite des inquiétudes multiples. « Nous assistons à une sorte de colonisation de l’orbite basse qui ne pourra pas accueillir sans limite et sans dommages des dizaines de milliers de satellites », alerte régulièrement Stéphane Israël. Le patron d’Arianespace ne veut pas d’un espace « Far West » et plaide pour « une régulation urgente ».

    Dominique Gallois et Alexandre Piquard

    #Tesla #satellite #technologisme #domination