Monolecte 😷🤬

Fauteuse de merde 🐘 @Monolecte@framapiaf.org

  • Droit à l’image !!!! | Paris (2015-2020) photographié par Gilles D’Elia
    https://www.droitalimage.org

    En 2015, l’Observatoire de l’image constatait combien l’exposition Paris Magnum révélait l’ampleur des ravages du droit à l’image : « les parisiens ont disparu des photographies de rue pour laisser place à des ombres, des dos ou des flous artistiques savamment travaillés pour éviter tout procès lié au droit à l’image ».

    Depuis cette date et jusqu’à aujourd’hui, je me suis consacré à photographier précisément ces ravages. Comme ce portfolio était une réponse à ce constat, je l’ai entièrement réalisé à Paris – sans doute la ville la plus photographiée au monde, et peut-être celle qui a fait le plus mentir la photographie.

    Je n’ai pas voulu tricher, je n’ai pas voulu laisser place à des ombres, des dos ou des flous artistiques ou bien photographier les sujets dans une posture qui cacherait accidentellement leur visage... au contraire, j’ai photographié la racine du mal : documenter le droit à l’image, c’est documenter la vie contemporaine.
    Je voulais d’abord prouver que, sans montrer les personnes, on peut encore photographier leur activité sociale avec autant d’acuité que jadis. Cela aurait pu être une consolation, ce fut tout le contraire : en photographiant non plus les gens mais les signes de leur activité et de leur vie, j’ai compris que les ravages du droit à l’image dépassent la photographie et sont inhérents aux ravages provoqués par l’avènement d’un nouveau monde, dans lequel le terrien laisse la place au smartien – qui se déplace dans les artères d’une smart-city bondée d’espaces de coworking où il pourra télétravailler, smartphone à la main. Il faut donc lui réaménager la ville, et l’on verra comment Paris est devenu un gigantesque chantier qui prépare un espace fait sur-mesure pour des humains de moins en moins photographiables car de moins en moins humains.

    Et paradoxalement, plus le smartien fait valoir jalousement son droit à l’image, plus il s’expose en selfie sur les réseaux sociaux. Mais ce n’est pas illogique : sa propre image devient peu à peu sa plus précieuse propriété, puisque c’est à travers la diffusion de celle-ci qu’il se valorise sur le marché. On peut donc comprendre pourquoi il revendique désormais fébrilement l’exclusivité de distribuer son image.
    Ce travail voudrait enfin montrer, jusqu’à l’absurde, l’ultime paradoxe du droit à l’image : même en me refusant à publier le moindre visage, le moindre être humain, je n’avais peut-être pas le droit de photographier, sur un abribus, le plan RATP de Paris brûlé lors d’une manifestation des Gilets jaunes, ni l’affiche d’une exposition présentée par la municipalité, ni ce numéro de téléphone sur la devanture d’un salon de massage, ni telle ou telle affiche publicitaire, encore moins cette œuvre de Jeff Koons, ce portrait de Marilyn Monroe, ou cette célèbre image de Garry Winogrand. En fait, l’observateur attentif remarquera que de nombreuses images de ce portfolio sont potentiellement illégales.

    Autrement dit : en photographiant les signes de l’activité humaine, sans même photographier les humains, je photographie forcément des choses que je n’ai pas le droit de reproduire. Et nous touchons ici au cœur du problème : leur droit à l’image ne connaîtra aucune limite, revendiquant au final une pratique photographique qui ne racontera plus rien, une image privée du sens.

    Droit à l’image !!!! – quatre points d’exclamation : pour opposer notre droit à l’image au leur. Pour clamer que nous avons le droit de capturer des images, avec ou sans visage, de raconter des histoires en montrant nos images, et d’être les témoins, à travers la photographie, de l’Histoire.