• L’islam des lumières de l’imame Kahina Bahloul - France - Le Télégramme
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    _Kahina Bahloul photo Samuel Kirszenbaum.
    Photographe : Samuel Kirszenbaum

    En France, trois femmes imames dirigent les prières auprès de fidèles (1). Dont Kahina Bahloul, Franco-Algérienne, diplômée en islamologie, qui vient de sortir un livre intitulé « Mon Islam ma liberté ». Elle prône un islam des lumières, où la femme est l’égale de l’homme.

    Votre histoire familiale fait que vous êtes née à la croisée de plusieurs religions. Pourquoi avoir choisi l’islam ?
    Après avoir approfondi mes connaissances sur l’islam, je me suis rendu compte que cette religion, de par sa position de dernière religion monothéiste dans le temps, reprend l’histoire du judaïsme et du christianisme. Je suis née d’un père Kabyle musulman et d’une mère française. J’avais une grand-mère juive polonaise et un grand-père catholique. L’islam m’a permis de synthétiser tout cela. La mort de mon père a été un révélateur. Je me suis tournée vers cette religion et je n’ai cessé d’approfondir ma connaissance du soufisme. Tout cela s’est fait naturellement. Enfant, j’ai vécu en Algérie. Je n’avais aucune contrainte vis-à-vis de la religion. Je n’ai jamais porté le voile. Et dans ma famille, on ne m’a jamais demandé de le faire. Mes tantes, d’ailleurs, ne le portaient pas. Si je devais décrire cet islam familial, je le qualifierais d’éthique. Il a formé ma conscience d’individu responsable.

    « Dans notre mosquée, les hommes et les femmes peuvent prier dans la même salle. »

    Quel est votre parcours ?
    Après des études de droit en Algérie, j’ai été cadre dans des cabinets d’assurance pendant douze ans. Ensuite, j’ai repris mes études en islamologie. J’ai fait un master et actuellement je prépare une thèse, je suis en troisième année de doctorat à l’École pratique des hautes études à Paris.

    En février 2020, vous avez accueilli une mosquée baptisée Fatima (2). Comment fonctionne-t-elle ?
    Nous ne sommes pas propriétaires d’un local fixe. Nous louons une salle pour la prière du vendredi. Car notre gros problème, c’est le financement. Nous sommes en dehors des circuits traditionnels. On ne bénéficie pas du soutien de l’Algérie, du Maroc ou de la Turquie qui contribuent au financement de la plupart des mosquées en France. Dans notre mosquée, les hommes et les femmes peuvent prier dans la même salle. Ce n’est pas le cas dans les lieux traditionnels, qui ne nous convenaient plus, où les femmes sont séparées des hommes. Elles prient dans des sous-sols, des mezzanines. Les fidèles qui viennent à Fatima, que je codirige avec le philosophe et imam Faker Korchane, sont d’origines très diverses. En islam, il n’y a pas d’autorité qui installe un imam. La légitimité vient de la communauté religieuse. Nous avons été désignés par un groupe de croyants pour conduire la prière.

    Vous combattez le patriarcat et le virilisme. Récemment, un imam guinéen, en faisant référence à vous, a déclaré qu’une femme ne pouvait pas devenir imame sous prétexte qu’elle « excite » les hommes et que, de ce fait, ces derniers ne seraient pas réceptifs pendant la prière. Qu’en pensez-vous ?
    C’est consternant d’entendre ce genre de commentaires. Quand des responsables religieux parlent de la sorte, ils ne se rendent même pas compte qu’en dénigrant ainsi les femmes, ils donnent d’eux-mêmes une image extrêmement négative. Ça renvoie à des rapports archaïques où les femmes sont des proies et les hommes des bêtes incapables de maîtriser leur libido. C’est incroyable de tenir un tel discours au XXIe siècle ! Rien, dans les textes fondamentaux, n’interdit à une femme de diriger la prière.

    « Je reçois beaucoup de messages de gens qui me remercient de donner cette image d’un islam de la tolérance, de paix et d’ouverture. »

    Comment est accueilli votre islam des lumières dans la communauté musulmane ?
    Tout d’abord, il n’y a pas de communauté musulmane homogène. Il y a des citoyens, des individus très différents. Bien évidemment, nous avons été vivement critiqués par des fondamentalistes, des conservateurs, mais aussi des jeunes qui sont probablement dans une recherche identitaire et qui croient devoir protéger l’islam d’un dévoiement. En dehors de ça, nous avons beaucoup d’adhésions. Notamment depuis la publication de mon livre. Je reçois beaucoup de messages de gens qui me remercient de donner cette image d’un islam de la tolérance, de paix et d’ouverture.

    Pensez vous pouvoir un jour accompagner la création d’une mosquée conduite par une femme, en Algérie, où vous avez vécu ?
    Je ne sais pas si cela se fera de mon vivant. Actuellement, en tout cas, cela me semble inimaginable. Dans l’Église catholique, aussi, les choses sont assez sclérosées. Une femme prêtre, conduisant ses paroissiens, je ne pense pas que ça soit pour demain.

    (1) Deux autres femmes, Eva Janadin et Anne-Sophie Monsinay, converties il y a une dizaine d’années, ont créé récemment une mosquée en région parisienne.

    (2) En référence à Fatima Zahra, fille du prophète Mahomet.

    Pratique. Kahina Bahloul « Mon Islam ma liberté ». Albin Michel