Précarité étudiante : les jeunes femmes plus touchées que les hommes
EXCLUSIF. Deux études sur la jeunesse que nous révélons montrent que les jeunes femmes sont majoritaires (67%) dans les distributions alimentaires. Elles sont aussi plus nombreuses à exprimer un profond mal-être. Mais pourquoi ? Explications.
Devant la Maison des initiatives étudiantes, à Paris. Nombreuses sont les jeunes femmes à se rendre aux distributions de denrées alimentaires. /LP/Philippe Lavieille
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Le 27 avril 2021 à 06h03
Un coup d’œil aux files d’attente de jeunes en difficulté qui se multiplient aux quatre coins des villes suffit à prendre la mesure du phénomène. C’est dur d’avoir 20 ans à l’heure de la crise du Covid-19. Mais avoir 20 ans et être une jeune femme est encore plus difficile. C’est en tout cas l’enseignement principal de deux études menées sur la jeunesse que nous vous dévoilons.
La première, celle de l’association étudiante Co’p1-Solidarités étudiantes, menée en partenariat avec la fondation Panthéon-Paris 1 Sorbonne auprès de 1222 étudiants, s’attache à dresser le profil des bénéficiaires présents dans les distributions alimentaires à destination des jeunes. La deuxième, celle de l’Ifop (l’Institut français d’opinion publique), menée auprès de 1506 personnes de 16 à 28 ans, sonde leur état d’esprit après un an de crise sanitaire.
Les produits d’hygiène pèsent dans le budget
La conclusion est sans appel : les femmes seraient touchées de manière plus brutale, à la fois sur le plan financier et psychologique. Elles sont très majoritaires (67 %) dans les distributions alimentaires. Elles disent aussi souffrir davantage de difficultés à se projeter et du manque d’interactions sociales. D’après l’Ifop, 27 % des jeunes femmes « vivent très mal » les répercussions éventuelles de la crise sur leurs capacités à se projeter (contre 18 % chez les hommes). Par ailleurs, 39 % d’entre elles « vivent très mal » le fait de ne plus sortir et 31 % « vivent très mal » l’isolement social.
« Elles vivent mal le présent et ont peur de l’avenir. Ce sont les victimes invisibles de la crise, alerte l’ancienne ministre et actuelle représentante de la France auprès de l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques) Muriel Pénicaud, à l’initiative de ce dernier sondage dans le cadre des Etats généraux de la jeunesse. C’est préoccupant : sur toutes les questions, la situation est plus dégradée pour elles. Ce sujet devrait être une priorité de l’action de la société civile. »
A Co’p1-Solidarités étudiantes, association fondée par des étudiants de Paris 1, ce phénomène a interpellé les bénévoles dès l’essor des distributions en septembre 2020. « On a essayé d’adapter nos paniers aux femmes. Pour elles, on sait que les dépenses en produits d’hygiène, comme les rasoirs, les shampoings ou encore les protections hygiéniques pèsent plus dans le budget. Qu’il y ait autant de femmes, cela est tout de même surprenant et pose des questions », estime Ulysse Guttman-Faure, cofondateur de Co’p1.
Elles travaillaient dans le tourisme ou l’hôtellerie
Comment, de fait, expliquer cette surreprésentation ? D’après le livre « l’Explosion des inégalités ; classes, genre et générations face à la crise sanitaire » des sociologues de l’Institut national d’études démographiques (Ined) Anne Lambert et Joanie Cayouette-Remblière, paru le mois dernier, les raisons sont multiples, à la fois liées à l’impact direct de la crise, à l’éducation, au marché de l’emploi.
« Un jeune sur deux qui travaillait avant l’épidémie a perdu son emploi. Or, les jeunes femmes travaillent dans des secteurs où il y a eu plus d’arrêts comme le tourisme, l’hôtellerie ou la restauration. A temps partiel et en CDD, elles n’ont pas pu toucher de chômage partiel », décrypte Anne Lambert.
Par ailleurs, les femmes oseraient davantage aller demander de l’aide. « Les études sur la pauvreté montrent que les femmes sont plus promptes que les hommes à aller chercher des ressources en dehors du foyer », poursuit Anne Lambert. D’autant qu’un certain nombre d’entre elles sont déjà mères et à la tête de familles monoparentales.
Enfin, elles anticipent des contraintes d’insertion sur le marché du travail, sources d’angoisse. « Elles savent qu’à compétences égales, elles seront moins facilement recrutées que les hommes lors de la reprise. » C’est le paradoxe français, selon Anne Lambert. « Crise ou pas crise, les femmes sont plus diplômées mais elles sont moins recrutées en CDI en sortie d’étude ».