• La République, la rue et l’urne | Cairn.info
    https://www.cairn.info/revue-pouvoirs-2006-1-page-31.htm

    l’interprétation de la fondation de la République comme apparition révolutionnaire du peuple dans la rue place les républicains au pouvoir dans une situation ambiguë, l’avènement de la République n’épuisant pas les mouvements populaires de contestation et de revendication. D’une part, cette interprétation donne la preuve de l’origine immanente du pouvoir républicain, célébrée dans ses rites et discours, lui conférant ainsi une justification de première force. Mais, d’autre part, elle met le pouvoir dans une situation de dette vis-à-vis de la rue révolutionnaire, et l’empêche donc de réprimer indistinctement toutes les occupations de la rue sans risquer de perdre une partie du potentiel légitimateur du rappel de ses origines.
    La rue illégitime

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    Au moment de la mise en place de l’État républicain au xixe siècle, la rue n’existe pas encore comme catégorie politique différenciée. L’investissement non autorisé de l’espace public par la population est perçu par les pouvoirs publics comme pouvant relever de deux catégories : de la protestation socio-économique, par exemple contre le prix du grain ou une personnalité honnie, ou bien de la subversion révolutionnaire. La frontière est évidemment floue, et la répression des mouvements réclamant « du travail et du pain » est présentée comme une mesure nécessaire pour garantir le maintien de l’ordre social tout entier. La révolution de février 1848 modifie profondément cet état de fait : la réussite inattendue des révolutionnaires parisiens réveille le souvenir tout proche de l’imposture de 1830, la confiscation de la Révolution par la monarchie libérale, et les répressions féroces qui en ont résulté. La vigilance et l’effervescence démocratique sont préférées à la délégation sans condition, et la rue devient le lieu d’un rapport particulier au pouvoir : lieu de soutien au régime, mais aussi de surveillance et d’expression directe des revendications.