Lâannonce sur les sites dâimmobilier est allĂ©chante. « A vendre : corps de ferme avec cachet prĂ©servĂ© sur une parcelle dâenviron 2 000 mĂštres carrĂ©s exposĂ© sud. » De lâextĂ©rieur, cette maison de brique rouge ne paie pas de mine, coincĂ©e entre deux bĂątisses dâune calme bourgade de la campagne lilloise. La boĂźte aux lettres anthracite nâaffiche aucun nom. Pourtant, câest ici quâest domiciliĂ© RĂ©infoCovid.fr, le site du collectif contre les restrictions sanitaires. Une voiture familiale est garĂ©e dans la cour. On toque Ă la porte, mais personne ne rĂ©pond. Ce silence insistant, câest celui dâune famille embarquĂ©e dans lâengrenage dâune possible dĂ©rive sectaire.
Selon les associations de protection contre les situations dâemprise mentale, ses propriĂ©taires, Marie B., ancienne sage-femme reconvertie en institutrice, et Maximilien B., consultant formateur indĂ©pendant en marketing et Ă©lu municipal, envisageraient de quitter leur emploi, leur maison et leur bourgade, et de sâinstaller avec leurs trois enfants dans un village de lâAveyron. Objectif : former une « arche de NoĂ© », une sorte de refuge tournĂ© vers la construction dâune sociĂ©tĂ© alternative. LâidĂ©e, qui suscite lâincomprĂ©hension et la terreur de leur entourage, a donnĂ© lieu cet Ă©tĂ© Ă de vives tensions intrafamiliales.
Dans le quotidien, le couple tente de donner le change. Marie, 40 ans, grande allumette aux yeux noirs et aux cheveux de jais coupĂ©s Ă ras, continue dâenseigner normalement dans une Ă©cole de la rĂ©gion, tandis que son Ă©poux, Maximilien, 42 ans, carrure de rugbyman et barbe poivre et sel, ne fait jamais faux bond au conseil municipal, dont il est le premier Ă©lu de lâopposition. Mais leurs discours contestataires rĂ©currents ont fini par attirer les soupçons de leurs proches, tout comme leur refus poli de se faire vacciner par la mairie, une exception parmi les membres du conseil municipal.
Une mĂšre intelligente, un pĂšre charismatique
MalgrĂ© lâabsence de pancarte « Ă vendre » sur leur maison, leur projet de changement de vie sâest Ă©bruitĂ©. Tous ceux qui les cĂŽtoient dĂ©crivent une mĂšre intelligente et un pĂšre charismatique. « CâĂ©tait une famille modĂšle, des gens investis », se dĂ©sole le directeur de lâĂ©cole de leur commune . MĂȘme impression dâune colistiĂšre de Maximilien B., qui se souvient dâun « chef dâentreprise directif, organisĂ©, qui sait ce quâil veut » , dâun « couple trĂšs instruit ». Les proches partagent une mĂȘme interrogation : comment deux Ă©poux aussi Ă©duquĂ©s, stables et Ă©panouis ont-ils pu ainsi dĂ©river ?
Cette mue coĂŻncide avec lâinvestissement du couple au sein du collectif RĂ©infoCovid, nĂ© Ă lâoccasion de la crise sanitaire. Ce groupe informel, qui revendique 3 000 soignants, est Ă lâorigine de nombreuses rumeurs anxiogĂšnes sur les vaccins, enrobĂ©es dâun discours Ă©sotĂ©rique sur les bienfaits du « retour au rĂ©el » et de la « sagesse du vivant ». Il partage des connexions avec des mouvements Ă©cologistes utopistes surveillĂ©s par les associations de lutte contre les dĂ©rives sectaires, comme lâanthroposophie, courant philosophico-religieux fondĂ© par le penseur Rudolf Steiner (crĂ©ateur de la pĂ©dagogie du mĂȘme nom), ou les Colibris, organisation ruraliste créée par lâĂ©crivain et agriculteur bio Pierre Rabhi.
La Miviludes (mission interministĂ©rielle de vigilance et de lutte contre les dĂ©rives sectaires), qui se dit « vigilante » au sujet du jeune mouvement RĂ©infoCovid, a dĂ©jĂ reçu plusieurs saisines le concernant. Lâune dâelles mentionne le couple du Nord. Comme tant dâautres, les Ă©poux sont tombĂ©s sous le charme du fondateur du collectif, Louis FouchĂ©, alors rĂ©animateur-anesthĂ©siste Ă lâhĂŽpital de La Conception, Ă Marseille.
Ce trublion de 42 ans au regard malicieux et aux mimiques Ă la Tex Avery est longtemps restĂ© anonyme : soignant dans le service des grands brĂ»lĂ©s, il rĂ©alisait au printemps 2020 des pastiches viraux sur Facebook Ă propos de ce virus quâil nâestimait pas aussi dangereux quâon voulait le dire. Sa blouse blanche et son ironie suffisaient pour convaincre.
Nul ne connaissait alors son parcours, son penchant pour les mĂ©decines non conventionnelles, ni son engagement dans le mouvement Colibris. Louis FouchĂ©, qui, comme la quasi-totalitĂ© des membres de son collectif, nâa pas donnĂ© suite Ă nos sollicitations, entre vĂ©ritablement dans la lumiĂšre Ă la fin de lâĂ©tĂ© 2020, alors que sâesquisse une deuxiĂšme vague Ă©pidĂ©mique dont il conteste la rĂ©alitĂ©.
Le 16 aoĂ»t 2020, par courriel, il lance solennellement un « appel » Ă ses confrĂšres de lâAP-HM [Assistance publique-HĂŽpitaux de Marseille] dans lequel il exhorte les mĂ©decins Ă faire corps contre les « lois liberticides », puis se rapproche de plusieurs mĂ©decins et penseurs dits « rassuristes », comme le sociologue de la criminalitĂ© Laurent Mucchielli. Mais, en disciple de Pierre Rabhi, Louis FouchĂ© veut aller plus loin, « prendre [sa] part », comme il lâĂ©crit sur la page dâun site du rĂ©seau Colibris, et fonder un collectif portant un projet de sociĂ©tĂ© fort, qui remettrait « lâArt » et le « Nous » au centre des prĂ©occupations.
« Au dĂ©but, Louis FouchĂ© essayait de mobiliser des citoyens et des scientifiques, et ça ne paraissait pas malsain. Sauf que les scientifiques qui sont arrivĂ©s nâen Ă©taient pas vraiment. » Une avocate qui a connu RĂ©infoCovid Ă ses dĂ©buts
Le 6 octobre 2020, le site RĂ©infoCovid.fr est lancĂ©. Celui-ci se prĂ©sente comme une initiative scientifique collĂ©giale de « soignants, mĂ©decins, chercheurs, universitaires », qui va jusquâĂ la crĂ©ation dâun « conseil scientifique indĂ©pendant » pour aider les citoyens Ă « questionner, comprendre, sortir de la peur et agir ensemble ». GrĂące Ă sa forte prĂ©sence sur les rĂ©seaux sociaux et des relais dans des associations de parents dâĂ©lĂšves, il sâinstalle dans le paysage contestataire.
« Au dĂ©but, Louis FouchĂ© essayait de mobiliser des citoyens et des scientifiques, et ça ne paraissait pas malsain, se souvient Louise (le prĂ©nom a Ă©tĂ© modifiĂ©), une avocate qui a connu RĂ©infoCovid Ă ses dĂ©buts. Sauf que les scientifiques qui sont arrivĂ©s nâen Ă©taient pas vraiment. » La plupart nâont aucune compĂ©tence dans le domaine de lâĂ©pidĂ©miologie, sâexpriment sur des thĂ©matiques Ă©loignĂ©es de leur expertise, ou encore font preuve de raisonnements caricaturaux, Ă lâimage dâun de ses premiers membres, le docteur Denis Agret, qui prĂ©tend, dans une boucle dâe-mails, dĂ©fendre la « vĂ©ritĂ© » face Ă une « sphĂšre capitalo-dictatoriale ».
Prosélyte par nature, le collectif tend les bras aux inquiets, quel que soit leur parcours ou leur profil. Chanteur, professeur de violon, écrivaine autoéditée⊠DÚs novembre 2020, les propos des universitaires sont dilués au milieu de ceux de citoyens mi-paniqués, mi-décidés à agir. Parmi ceux-ci, Marie et Maximilien B.
2020, année noire pour le couple
CoincĂ©e dans sa ferme, lâinstitutrice a trĂšs mal vĂ©cu le premier confinement, quâelle a passĂ© Ă coudre frĂ©nĂ©tiquement des masques artisanaux. Puis, lorsque la deuxiĂšme vague de Covid-19 dĂ©ferle, lâirruption de protocoles sanitaires Ă lâĂ©cole et le dĂ©veloppement fulgurant de vaccins la plongent dans un profond dĂ©sarroi. « Rien nâavait de sens pour moi, je ne comprenais pas », rĂ©pĂšte-t-elle, hagarde, dans une vidĂ©o du collectif intitulĂ©e « Les gardiens du vivant », sa seule prise de parole publique, qui a depuis Ă©tĂ© supprimĂ©e. « A force de me renseigner, y dĂ©taille-t-elle, aux vacances de la Toussaint, lĂ je me suis dit, ça suffit, il faut passer Ă lâaction. »
De son cĂŽtĂ©, son mari a Ă©chouĂ© aux Ă©lections municipales de juin 2020 : sa liste nâa rĂ©uni que 32 % des suffrages. Maximilien, qui a toujours baignĂ© dans la politique, doit se contenter de trois places au conseil municipal, et sa femme a perdu son siĂšge. Pour le couple, cette annĂ©e 2020 est dĂ©cidĂ©ment une annĂ©e noire. Leur rencontre personnelle avec Louis FouchĂ©, Ă lâautomne, sera leur Ă©claircie. A lâangoisse de lâincertitude scientifique, le mĂ©decin oppose un discours dĂ©dramatisant sur la crise sanitaire. Puis, contre lâamertume de lâĂ©chec personnel, il propose sa confiance et une montĂ©e en responsabilitĂ© flatteuse.
« EntrĂ©e en rĂ©sistance », comme elle se dĂ©crit, Marie se met Ă distribuer des tracts pour RĂ©infoCovid. Puis, aprĂšs quelques semaines seulement, Louis FouchĂ© promeut Maximilien responsable de la communication du groupe, et charge Marie du dĂ©veloppement du jeune collectif au niveau national Ă travers des « antennes locales bĂ©bĂ©s RĂ©infoCovid », comme les appelle lâancienne sage-femme.
Suivant le leitmotiv de leur nouvel ange gardien, les voilĂ qui ont « transformĂ© la peur en prudence et la colĂšre en courage ». Le couple devient un Ă©lĂ©ment central du collectif, au point dâaccepter de domicilier dans sa maison les statuts du site RĂ©infoCovid.fr, puis ceux de sa coquille lĂ©gale, RĂ©infoLibertĂ©. Le 9 dĂ©cembre 2020, Marie crĂ©e sur son canal de discussion interne, la messagerie instantanĂ©e Discord, un groupe consacrĂ© Ă son expansion. En image de profil, une silhouette de femme brisant ses chaĂźnes.
Des fans de Trump et de QAnon
Au sein de RĂ©infoCovid sâengouffrent dĂšs lâautomne 2020 des homĂ©opathes, des naturopathes, des acupuncteurs, des adeptes de la pensĂ©e new age ; des fans de Trump et ses zĂ©lotes de la mouvance conspirationniste QAnon, convaincus de combattre un vaste trafic pĂ©dosatanique, ou encore des « Etres souverains », autre mouvance anarchiste conspirationniste ne reconnaissant par lâEtat. LâĂ©volution des conversations est Ă lâavenant. Loin de la « prudence » revendiquĂ©e en public par Louis FouchĂ©, les membres se partagent sur Discord dâexotiques rumeurs affirmant que la neige serait artificielle, ou que les tests PCR serviraient au fichage ADN.
Louis FouchĂ© lui-mĂȘme sâaffiche en novembre sur YouTube avec la complotiste suisse Ema Krusi, qui soutient que les vaccins sont liĂ©s Ă la 5G et que Bill Gates est poursuivi pour crime contre lâhumanitĂ©. Le collectif bascule dans des reprĂ©sentations paranoĂŻaques de la sociĂ©tĂ©. « Au dĂ©part, il y avait des gens sympas, mais sur le Discord, jâai vu arriver tout ce quâil y avait de pire en termes de dĂ©sinformation et de conspirationnisme, se dĂ©sole Louise. Des personnes sincĂšres, normales, juste inquiĂštes, qui cherchaient des rĂ©ponses simples, se sont fait laver le cerveau en un rien de temps. »
Le couple ne reste pas insensible Ă ce mĂ©lange foutraque de complotisme Ă©chevelĂ© et dâutopisme new age. A force de recherches Internet sur des sites douteux, Marie B. plonge dans un monde de reprĂ©sentations noires. « Avant dâĂ©crire Ă RĂ©infoCovid, jâĂ©tais trĂšs angoissĂ©e, relate-t-elle encore dans la vidĂ©o “Les gardiens du vivant”. Lâangoisse est passĂ©e, je suis beaucoup moins en colĂšre, mais ça mâarrive encore. Jâai surtout trĂšs peur, et la peur, je nâarrive pas Ă lâenlever. »
DâinquiĂ©tants monologues
La mĂšre de famille, qui avait ouvert son premier compte Facebook spĂ©cialement pour les municipales, se met Ă lâhiver 2021 Ă publier dâinquiĂ©tants monologues contre les scandales de la dictature sanitaire et les complots quâourdiraient des Ă©lites fantasmĂ©es, jusquâĂ se laisser convaincre que la seconde guerre mondiale a Ă©tĂ© orchestrĂ©e par la famille Rothschild. « Elle ne devait pas avoir beaucoup dâamis sur ces sujets, car mĂȘme si ses posts Ă©taient trĂšs longs, personne ne rĂ©pondait », constate avec empathie une colistiĂšre.
Câest le dĂ©but de lâisolement. « Jâai arrĂȘtĂ© de les cĂŽtoyer car je nâĂ©tais plus en phase avec leurs postures », rĂ©sume pudiquement un partenaire de campagne Ă©lectorale de leur village. EnfermĂ© dans sa bulle, le couple nâentend plus les voix discordantes. « Jâai essayĂ© de la recontacter pour lui dire dâĂȘtre vigilante, lui conseiller de sâinformer autrement, je lui ai donnĂ© des arguments », Ă©grĂšne Louise, qui lâa vue entrer dans le collectif et a tentĂ© de lâen faire sortir en mĂȘme temps quâelle. « Mais câĂ©tait dĂ©jĂ trop tard. Nos contacts se sont arrĂȘtĂ©s lĂ : il nây avait plus de discussion possible. »
Surtout, la dĂ©chirure se fait intime. InterrogĂ©e Ă propos de sa famille dans un entretien vidĂ©o menĂ© par Louis FouchĂ©, lâinstitutrice raconte dâune moue embarrassĂ©e que celle-ci est divisĂ©e Ă « cinquante-cinquante ». Sa dĂ©tresse et sa tristesse affleurent. Les proches de Marie au sein du collectif le savent : elle est dĂ©sormais en froid avec les siens. EprouvĂ©e, sa famille nâa pas souhaitĂ© commenter.
Un « cercle de cĆur » en guise dâĂ©tat-major
En retour, Marie sâinvestit de plus en plus dans RĂ©infoCovid. En dĂ©but dâannĂ©e 2021, face Ă lâafflux de nouveaux membres venus de toute la France, Louis FouchĂ© rĂ©organise son mouvement en cercles concentriques. Au plus haut niveau, il constitue un Ă©tat-major informel dâune vingtaine de personnes de confiance, le « cercle cĆur » - nouvel emprunt aux Colibris. Maximilien et Marie y cĂŽtoient des citoyens en colĂšre, des naturopathes ou encore des mystiques fiĂ©vreux, qui se rĂ©unissent chaque lundi en visioconfĂ©rence pour discuter de la stratĂ©gie du collectif.
Lâappartenance Ă ce cĂ©nacle est dâautant plus gratifiante que, en apparence au moins, lâorganisation y est horizontale. « Jâai vu beaucoup de gens aller bien car ils avaient lâimpression dâagir, de reprendre le contrĂŽle, mais au fond, câest Louis qui gĂšre », tĂ©moigne Terry (qui souhaite garder lâanonymat), qui fut membre pendant plusieurs mois de ce « cercle cĆur », au sein duquel il Ă©tait notamment chargĂ© de la vidĂ©o.
Ce noyau dur partage ses idĂ©es sur la crise sanitaire qui serait un « dĂ©ferlement totalitaire », la supĂ©rioritĂ© des mĂ©decines alternatives, et le besoin de laver la sociĂ©tĂ© de ses maux. Comme lâanesthĂ©siste le dĂ©clame dans une lettre pleine de lyrisme, « cette crise est une rĂ©vĂ©lation, un dĂ©voilement, une apocalypse. Et aprĂšs lâapocalypse vient un autre monde ». Autour de lui, le « cercle cĆur » aspire Ă aller vers un nouveau modĂšle de sociĂ©tĂ©, quâils entendent dĂ©finir, construire, et mĂȘme inaugurer. A la mi-mai, Marie et Maximilien B. prennent le volant et parcourent plus de 800 kilomĂštres pour se retrouver en chair et en os avec leur nouvelle famille, dans un lieu en Aveyron.
Olivier Soulier, lâautre personnage-clĂ©
AprĂšs avoir passĂ© Saint-Cyprien-sur-Dourdou, une sage commune dâenviron 800 habitants dont les façades de grĂšs couleur saumon sâĂ©talent dans le sac de la vallĂ©e de Conques, une route sâĂ©lĂšve jusquâĂ une clairiĂšre. Câest lĂ , dans lâancienne propriĂ©tĂ© de son grand-pĂšre, ancien maire du village, que le mĂ©decin Olivier Soulier, autre personnage-clĂ© de RĂ©infoCovid, a Ă©tabli sa rĂ©sidence de villĂ©giature. A la mi-mai, il y a accueilli une partie du « cercle cĆur », dont Louis FouchĂ© et le couple B.
Au fin fond de lâAveyron, nid de douces sorcelleries, Olivier Soulier ne dĂ©tonne que par sa stature. Cet homĂ©opathe et acupuncteur, dont le cabinet est situĂ© Ă Marcq-en-BarĆul (Nord), est une sommitĂ© nationale dans le monde de la mĂ©decine alternative, avec ses multiples livres et congrĂšs donnĂ©s depuis 1988 Ă travers la France. « Câest un vrai mĂ©decin, trĂšs diplĂŽmĂ©, pas un mĂ©decin alternatif. Mais câest vrai que ses confĂ©rences sont aussi intĂ©ressantes quâĂ©tonnantes », hĂ©site Bernard Lefebvre, maire de Conques-en-Rouergue, la commune nouvelle dont dĂ©pend Saint-Cyprien-sur-Dourdou. « Câest un trĂšs grand monsieur . Mais si vous venez vous faire soigner chez lui, nâespĂ©rez pas ĂȘtre remboursĂ© par la sĂ©curitĂ© sociale », ajoute avec un sourire entendu Gaston, un artisan qui a fait les finitions de sa piscine.
Depuis de longues annĂ©es, le gĂ©nĂ©raliste aux airs de jeune premier sâest en effet spĂ©cialisĂ© dans ce quâil appelle la « mĂ©decine du sens ». Rien dâillĂ©gal mais il jure dans la presse naturopathique que le corps « a une sagesse » et, dans une vidĂ©o du « conseil scientifique indĂ©pendant », prescrit le Mertensia maritima, la plante au goĂ»t dâhuĂźtre, contre le Covid-19.
Le couple nordiste lâa rencontrĂ© pour la premiĂšre fois chez eux, Ă la premiĂšre rĂ©union de la jeune antenne locale quâils avaient créée, RĂ©infoCovid Nord-Pas-de-Calais, le 18 janvier 2021. Au milieu de citoyens dĂ©sorientĂ©s avides de contre-discours, ce confĂ©rencier au ton si enveloppant avait alors sĂ©duit son auditoire. « Il joue de son autoritĂ© de blouse blanche, prĂ©tend guĂ©rir avec les symboles, du grand nâimporte quoi, fulmine Louise, restĂ©e de marbre ce jour-lĂ , et effarĂ©e par le manque de rĂ©actions. Je me suis rendu compte que si les gens commençaient Ă faire confiance Ă ce genre de personnes, ça allait dĂ©railler. »
En quĂȘte dâargent
Olivier Soulier, qui officie toujours comme mĂ©decin, fait aujourdâhui partie des dirigeants du collectif. Câest lui qui, dans une vidĂ©o rĂ©cente, invite ses sympathisants Ă verser de lâargent Ă RĂ©infoLibertĂ©, la structure lĂ©gale fraĂźchement montĂ©e par RĂ©infoCovid pour engager des procĂ©dures judiciaires et se financer. Lui aussi qui fournit au « cercle cĆur » sa base reculĂ©e, dans lâanonymat de lâAveyron.
Le domaine, qui constitue un hameau, porte les traces dâun long abandon. A lâentrĂ©e, marquĂ©e par un visage sculptĂ© sur une Ă©paisse pierre posĂ©e Ă cĂŽtĂ© dâun autel, des fougĂšres se prĂ©lassent dans une baignoire abandonnĂ©e. Une bĂ©tonniĂšre ici, quelques cadavres de biĂšres plus loin : le lieu est Ă la recherche dâune seconde vie. Le mĂ©decin nordiste en a rachetĂ© lâusufruit en 2015. Il emploie rĂ©guliĂšrement des artisans du bourg pour participer Ă sa lente rĂ©novation. Une piscine a dĂ©jĂ Ă©tĂ© creusĂ©e ; les dĂ©pendances, elles, sont en travaux, mais peuvent dĂ©jĂ recevoir des convives, comme elles lâont fait Ă la mi-mai.
Quelle Ă©tait alors la raison dâĂȘtre de cette rĂ©union qui a tant alimentĂ© les rumeurs et les inquiĂ©tudes ? Marie et Maximilien nâont jamais donnĂ© suite Ă nos demandes de contact. « CâĂ©tait un week-end pour tous ceux qui participent Ă la stratĂ©gie [du collectif]. Ils se sont rĂ©unis pour griller des saucisses entre copains, ce nâest pas allĂ© plus loin », assure Terry, qui nâa pas pu en ĂȘtre. Selon plusieurs associations de lutte contre les dĂ©rives sectaires aux antennes tournĂ©es vers lâAveyron, il sâagissait plutĂŽt dâun moment Ă©sotĂ©rique, un « pow wow », câest-Ă -dire « une rĂ©union dans un lieu sacrĂ© oĂč lâon se purifie », dĂ©crypte Catherine, une rebouteuse qui connaĂźt les usages du coin.
Une petite communauté
Le domaine dĂ©tenu par Olivier Soulier offre en tout cas les infrastructures les plus adaptĂ©es pour lâinstallation dâune petite communautĂ©. Louis FouchĂ© nâa jamais cachĂ© sa volontĂ© de crĂ©er un Ă©colieu, un village soudĂ© par des valeurs Ă©cologiques et sociales communes, de mĂȘme quâil promeut volontiers lâĂ©cole Ă la maison, des rĂ©seaux de soins alternatifs et de nombreuses autres formes dâorganisations parallĂšles. « Louis encourage Ă rester dans le systĂšme et Ă le combattre de lâintĂ©rieur, assure Terry. Ce nâest pas comme Alice [des Etres souverains, qui a rĂ©cemment acquis un domaine dans le Lot] . RĂ©infoCovid ce nâest pas du tout ça, il nây a pas de volontĂ© de faire sĂ©cession. » Le collectif a mĂȘme soutenu des listes politiques intitulĂ©es « Un nĂŽtre monde », aux Ă©lections rĂ©gionales de juin.
Mais depuis quâen juillet Louis FouchĂ© a quittĂ© son poste hospitalier sous la pression de lâAP-HM, son discours glisse de maniĂšre de plus en plus marquĂ©e vers la rupture. « Câest le moment dâaller jusquâau bout de votre pensĂ©e. Il y a moyen de manger, il y a moyen de survivre, il y a moyen de se loger », explique-t-il dans une vidĂ©o destinĂ©e aux non-vaccinĂ©s, tout en promettant une sociĂ©tĂ© meilleure Ă « ceux qui survivront ».
Simple mĂ©taphore, ou vrai appel Ă un projet alternatif ? Si lâon en croit les signalements auprĂšs des associations de lutte contre les dĂ©rives sectaires et les tĂ©moignages de proches recueillis par M Le magazine du Monde, plusieurs membres, comme Marie et Maximilien, se sont dĂ©jĂ engagĂ©s dans la voie dâun changement de vie, quittant pour certains leur emploi, pour dâautres leur domicile, parfois les deux, pour fonder des lieux bĂątis dans lâopposition au discours scientifique et les promesses new age.
Un discours plus radical
Les observateurs ne sâen Ă©tonnent guĂšre : lâambiance au sein de RĂ©infoCovid flirte rĂ©guliĂšrement avec le culte de la personnalitĂ©, et la parole de Louis FouchĂ© y vaut pour beaucoup parole dâĂ©vangile. Toutefois, si la vigilance est de mise, la Miviludes estime « que tous les Ă©lĂ©ments qui caractĂ©risent lâemprise sectaire ne sont pas rĂ©unis ». Les associations surveillent nĂ©anmoins le collectif comme le lait sur le feu.
Selon plusieurs sources locales, le couple est revenu en aoĂ»t dans lâAveyron pour une nouvelle rĂ©union avec le « cercle cĆur », et participer aux travaux de rĂ©novation du domaine dâOlivier Soulier. Leur dĂ©part pour cette « arche de NoĂ© » ne serait plus quâune question de temps. Si les deux aĂźnĂ©s, bientĂŽt majeurs, ont quittĂ© le domicile familial Ă la rentrĂ©e, les craintes se portent dĂ©sormais sur la benjamine de 11 ans, qui nâaurait dâautre choix que de suivre ses parents.
Pour autant, le projet peut encore Ă©voluer, en fonction des directives de Louis FouchĂ©. Depuis peu, son discours semble se radicaliser un peu plus. « La voie de RĂ©infoCovid est une voie de la non-violence, câest une voie ghandienne, expliquait-il dĂ©but octobre. Mais Gandhi lâa dit lui aussi, ceux qui nâarrivent pas Ă rester dans la non-violence, il faut bien quâils fassent quelque chose. Chacun fera comme il peut. » La maison en briques du Nord nâattend plus quâun acquĂ©reur.