• Le couvre-feu décalé à 21 heures

    Fixé à 20 heures, 18 heures puis 19 heures partout en métropole depuis le mois de décembre, le couvre-feu passera mercredi à 21 heures. Tous les Français pourront profiter de deux heures supplémentaires à l’air libre, le soir. L’interdiction de sortir de chez soi (sauf motif impérieux) devrait être décalée à 23 heures le 9 juin, avant d’être totalement levée le 30 juin.

    J’avais mal compris, je croyais que ce couvre-feu était supprimé, mais non. #absurdistan

    • *A Madrid, les leçons de la réouverture des cafés et des cinémas

      Ces six derniers longs mois, les terrasses sont restées fermées… En France. Pas de l’autre côté des Pyrénées, où les images de Madrilènes attablés un verre à la main jusque 23 heures, début du couvre-feu, ont fait des envieux. Les exécutifs locaux ont pris le relais en automne 2020 après un confinement très strict imposé lors de la première vague par le gouvernement central de la coalition socialiste - Unidas Podemos.

      La deuxième puis la troisième vague ont frappé plus tôt nos voisins du Sud, avec un dernier pic à la mi-janvier. Depuis février, restaurants, bars, théâtres, commerces et hôtels sont ouverts, même le soir, dans la capitale espagnole. Et même depuis l’automne 2020, s’agissant des théâtres, cinémas et musées.

      Ce 27 mars, des Madrilènes profitaient déjà des terrasses jusque 23 heures. © Oscar Gonzalez / NurPhoto / NurPhoto via AFP Ce 27 mars, des Madrilènes profitaient déjà des terrasses jusque 23 heures. © Oscar Gonzalez / NurPhoto / NurPhoto via AFP

      La première quinzaine de mai, en Espagne, 151 cas positifs pour 100 000 habitants ont été comptés, mais jusqu’à 239 dans la région madrilène, où tout est resté ouvert. C’est davantage que les 197 cas pour 100 000 habitants enregistrés la semaine du 3 mai en France.

      « Les prochaines semaines sont cruciales et l’exemple de l’Espagne prouve qu’il ne faut pas se relâcher trop vite », a d’ailleurs prévenu Jérôme Salomon, directeur général de la santé, dans le Journal du dimanche du 16 mai.

      Quelles leçons en tirer à l’aube du retour progressif aux libertés perdues dans l’Hexagone ? Politiquement, le pari semble bien sûr payant à court terme. Isabel Díaz Ayuso, la gouverneure très droitière de Madrid, a été remerciée dans les urnes le 4 mai. Emmanuel Macron a aussi en ligne de mire la présidentielle de 2022.

      Mais ce pari peut être risqué à moyen terme : le parti nationaliste hindou du premier ministre Narendra Modi a par exemple subi un revers en mai, en pleine situation apocalyptique en Inde, après avoir cru trop tôt avoir vaincu la pandémie dans son pays.

      Il l’est aussi sanitairement, si la levée des restrictions n’est pas strictement encadrée et si le calendrier n’est pas trop rapide. « L’Espagne connaît un plateau assez bas, de l’ordre de 6 000 à 7 000 contaminations par jour depuis la fin février, ce qui équivaut environ au seuil de 5 000 en France, puisque la population y est plus importante », remarque Antoine Flahault, médecin de santé publique.

      Il s’agit de l’objectif fixé le 24 novembre 2020 par Emmanuel Macron comme condition de fin du deuxième confinement, perdu de vue depuis. « Si on gardait en ligne de mire ce seuil des 5 000, le pari de la réouverture ne serait pas forcément très risqué », estime pourtant le biomathématicien.

      Selon ses projections, il est possible que l’on atteigne ce seuil courant juin, quand les mesures restrictives vont être encore levées d’un cran, alors qu’aujourd’hui, la France enregistre encore plus de 13 000 cas positifs par jour, selon Covid Tracker.

      « On voit depuis trois semaines l’incidence baisser rapidement. On est à peu près à une diminution de 20 % par semaine. Ça montre bien que les mesures qui ont été prises ont fonctionné. On est sur une dynamique rapide, comme en novembre dernier. Si on continuait sur cette même pente, on serait le 25 mai à 10 000 cas par jour et le 15 juin à 5 000 cas par jour. Un seuil où le tester, tracer, isoler remarche », avait aussi estimé sur France Inter, le 10 mai, Arnaud Fontanet, épidémiologiste et membre du Conseil scientifique.

      D’ailleurs, ce dernier, sans avoir été saisi par le gouvernement français, avait tenu à rendre son avis « pour une réouverture prudente et maîtrisée avec des objectifs sanitaires ». Et ce, dans « un contexte de circulation virale élevée où l’efficacité attendue de la stratégie vaccinale peut être perturbée par les variants », insistait-il le 6 mai, après l’exposé par le président de la République des grandes lignes de la levée des restrictions du 30 avril.

      « Il faut expliquer l’importance de ne pas tout relâcher d’un coup trop vite, d’autant qu’un seul objectif sanitaire a été mis en avant par Emmanuel Macron, très très élevé, les 400 cas positifs quotidiens pour 100 000 habitants. Cela nous met à la merci d’une quatrième vague car, à ce stade, il ne faudrait pas grand-chose pour atteindre la saturation des services dans un contexte de fatigue des soignants qui pourraient être appelés à revenir de leurs congés. Je n’ose même pas l’imaginer », commente Rémi Salomon, représentant de la communauté médicale de l’assistance publique-hôpitaux de Paris (AP-HP).

      Côté vaccination, l’Espagne est légèrement en avance par rapport à la France, selon Ourworldindata. La montée en puissance des injections a sûrement aidé Madrid à esquiver pour l’heure une quatrième vague. Néanmoins, la capitale espagnole stagne sur un plateau.

      L’Espagne vaccine un peu plus vite que la France, selon Ourworldindata. © Ourworldindata L’Espagne vaccine un peu plus vite que la France, selon Ourworldindata. © Ourworldindata

      « Pendant les pics des vagues de Covid-19, on dénombrait 50 à 60 morts par jour dans la communauté de Madrid. En ce moment, c’est plutôt 15 à 20, mais ce sont des morts évitables qui ne sont pas évitées, au nom de la supposée liberté et de la priorité donnée à la défense de l’économie. C’est la deuxième région du pays qui a enregistré le plus de morts du Covid-19 », déplore Javier Segura del Pozo, porte-parole de l’Association madrilène de santé publique.

      Après avoir essuyé une vague post-Noël très mortelle, dans l’est de l’Espagne, la région de Valence, elle, a imposé d’importantes restrictions le 20 janvier, avec fermeture des hôtels, bars et restaurants jusqu’au 1er mars, suivie d’une ouverture jusqu’à 18 heures seulement. À présent, elle s’en sort beaucoup mieux que les communautés qui ont tout gardé ouvert. Depuis le 15 mars, cette région est celle où le virus circule le moins dans le pays. Elle figure même parmi les meilleurs élèves européens.

      L’European centre for disease prevention and control compare le niveau de circulation du Sars-CoV-2 sur le continent. © European centre for disease prevention and control L’European centre for disease prevention and control compare le niveau de circulation du Sars-CoV-2 sur le continent. © European centre for disease prevention and control

      Dans la nuit du 8 au 9 mai, l’état d’urgence instauré en octobre 2020 a pris fin en Espagne, ce qui a de nouveau offert la possibilité de voyager à travers le pays et a entraîné la levé du couvre-feu dans la plupart des régions. Celle de Valence a fait le choix de le maintenir, mais en limitant son étendue à une plage de 23 heures à 6 heures du matin. Ce soir-là, des scènes de fêtes alcoolisées dans plusieurs grandes villes ont alarmé médecins et observateurs de la santé publique en Espagne.

      « De jeunes gens ont célébré leur armistice à eux après avoir été privés de libertés pendant un an, comme si nous avions gagné la guerre contre le virus, mais ça n’est pas encore le cas… Ces fêtes ont eu lieu en plein air mais la plupart étaient jeunes, pas encore vaccinés… Nous allons savoir autour du 20 mai si les contaminations ont augmenté après cette fête », explique Ramon Fornós, vice-président de la fondation Ibn Battuta de Barcelone, qui s’évertue à vulgariser les données épidémiologiques depuis le début de la crise sanitaire.

      En dehors de ces risques de débordements, l’ouverture des terrasses ce 19 mai ne semble pas représenter un danger sanitaire en soi. Pour éviter les grandes terrasses bondées, une jauge de 50 % de la capacité d’accueil est prévue, avec un maximum de six à table.

      « Les Espagnols vivent beaucoup dehors. Les Madrilènes ont rapidement eu la possibilité de prendre un verre à l’extérieur. Cela évite de se retrouver à l’intérieur chez les uns et les autres, observe Rémi Salomon, président de la commission médicale de l’AP-HP. Le gouvernement français n’a pas suffisamment communiqué sur le mode de contagion par aérosol, qui rend bien plus risquées les interactions sociales à l’intérieur. »

      Il a d’ailleurs repéré l’infographie du journal El País, particulièrement pédagogique, et regrette que de tels outils ne soient pas mis en avant par nos autorités publiques. Il reste néanmoins vigilant quant à la mise en application des protocoles prévus pour la réouverture.

      Rémi Salomon interpelle sur Twitter sur la mise en application des protocoles de réouverture prévus. © RLS Rémi Salomon interpelle sur Twitter sur la mise en application des protocoles de réouverture prévus. © RLS

      Ce 19 mai, le couvre-feu est aussi repoussé à 21 heures et le 9 juin, ce sera même 23 heures, soit l’heure limite nocturne qu’ont connue les Madrilènes depuis février. « Les mesures strictes ont pour but de réduire les interactions sociales. En repoussant l’heure du couvre-feu, on augmente les interactions. Ce n’est pas grave si les indicateurs sanitaires sont favorables », rappelle Antoine Flahault, spécialiste des maladies épidémiques.

      « Si le virus circule faiblement, lever au fur et à mesure les restrictions ne représente pas forcément un danger. La décrue permet une reprise de la vie sociale au moins un certain temps. C’est ce que l’Europe a connu l’été 2020, les gens avait repris une vie normale », se remémore-t-il.
      De simples recommandations pour une ventilation efficace et des capteurs de CO2

      Et quels sont les risques de contagion dans les espaces clos tels que les théâtres, cinémas et musées, qui seront de nouveau accessibles au public en France à compter de ce 19 mai ? « Je ne suis pas contre la réouverture des lieux fermés, à condition de le faire quand le taux d’incidence le permet. Le gouvernement de la région de Madrid met en place des mesures qui ne correspondent pas au niveau de circulation du virus, c’est le problème », peste Javier Segura del Pozo, porte-parole de l’Association madrilène de santé publique.

      À la lumière des enseignements tirés de la situation madrilène, suivre de près les indicateurs épidémiologiques et adapter les mesures en fonction s’avère primordial. Quelles sont les autres précautions à prendre ? À Madrid, le Teatro real a mis en place un système de ventilation élaboré : sous tous les sièges du théâtre, de l’air extérieur, préalablement filtré, est apporté de manière à renouveler l’air autour de chaque spectateur plusieurs fois par heure.

      « Cet exemple espagnol est intéressant, il montre que l’on peut être ambitieux en rouvrant des salles, même anciennes, sans fenêtres, tant que l’air est renouvelé grâce à des purificateurs d’air qui filtrent les particules fines », juge Antoine Flahaut, professeur de santé publique à la faculté de médecine de Genève. Cela vaut pour tous les lieux clos.

      Néanmoins, un système de ventilation aussi performant n’est pas généralisé à Madrid. Si la continuité des activités dehors et l’ouverture des terrasses n’ont jamais posé problème à Javier Segura del Pozo, porte-parole de l’Association madrilène de santé publique, celui-ci regrette qu’une ventilation en intérieur efficace ne soit pas systématique, dans les faits.

      Le décret du 22 octobre 2020 de la communauté de Madrid précise que les espaces culturels clos « doivent installer les équipements de renouvellement d’air appropriés permettant une qualité optimale de l’environnement intérieur des locaux ou de l’établissement ». Toutefois, le médecin déplore l’absence d’incitation financière à mettre en place des systèmes de ventilation efficaces. Une critique valable pour l’Espagne comme pour la France.

      « Les moyens ne sont de toute façon pas mis pour contrôler que les systèmes fonctionnant dans les restaurants ou les lieux culturels. Proposer des subventions pour en acquérir est un meilleur moyen d’éviter la circulation du virus dans un espace clos et ainsi, la santé publique ne s’apparente pas au tout sécuritaire, à la restriction de la liberté, mais à la prévention », estime Javier Segura del Pozo.

      Interrogé sur les contrôles prévus ou d’éventuelles aides à l’achat de systèmes de ventilation mécanique contrôlée (VMC) performants par Mediapart, le ministère de la santé répond que des recommandations, simplement, « ont été traduites dans divers protocoles sanitaires renforcés pour les commerces, les bars, les hôtels ou les restaurants ».

      La communauté de Madrid impose par ailleurs une jauge à 75 % de la capacité des lieux de divertissement. « C’est même plus agréable qu’auparavant d’aller à l’opéra, on a davantage d’espace et pas de bruit lors des représentations », témoigne Ana, une habitante de Las Rozas, dans la banlieue de Madrid.

      https://www.mediapart.fr/journal/france/190521/madrid-les-lecons-de-la-reouverture-des-cafes-et-des-cinemas?onglet=full