Antoine Flahault : « Le rôle des aérosols dans les contaminations a été trop longtemps négligé » - Coronavirus - Le Télégramme
La PQR enfonce le clou : deuxième article en deux jours,…
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Antoine Flahault, ici à l’automne 2015, est épidémiologiste et directeur de l’Institut de santé globale (ISG) à l’université de Genève, en Suisse. Son ouvrage « Covid : le bal masqué » a été publié en début d’année chez Dunod.
Photo Catherine Bulle
Commerces, musées, cinémas : de nombreux lieux clos vont rouvrir à partir de ce mercredi. Avec masque obligatoire pour éviter de diffuser des « aérosols », le mode de contamination prépondérant de la covid-19. L’épidémiologiste Antoine Flahault estime que sa prise en compte tardive a nui à la riposte contre la pandémie.
Quels sont les différents modes de transmission du Sars-CoV-2 ?
Il y en a trois. Tous concernent les microgouttelettes que nous exhalons en respirant, parlant ou chantant, voire en éternuant ou toussant. Lorsqu’elles dépassent 100 microns, elles retombent vers le sol dans un rayon de un à deux mètres. Elles peuvent alors rencontrer sur leur trajectoire les conjonctives oculaires, les narines ou la bouche d’une personne non protégée située très près. On appelle ce mode de contamination, la voie directe, ou balistique. Elles peuvent aussi retomber sur des surfaces planes comme nos smartphones ou des poignées de portes. On peut alors se contaminer en touchant ces surfaces infectées et en portant ses mains contaminées à la bouche, aux narines ou aux yeux. C’est la voie manuportée. Si les microgouttelettes font moins de 100 microns, elles peuvent flotter dans l’air plusieurs minutes, se déplacer au gré des courants d’air à plusieurs mètres, et si elles ne font que quelques microns seulement, elles peuvent flotter dans l’air jusqu’à plusieurs heures dans une pièce mal ventilée. C’est ce que l’on appelle la voie aérosol.
Les aérosols sont-ils le mode qui pèse le plus lourd dans les contaminations ?
Il semble que les voies balistique et manuportée soient très anecdotiques et seule, à ce jour, la voie aérosol a été largement rapportée dans la littérature scientifique sur le coronavirus. C’est la seule voie qui permet d’expliquer les chaînes de supercontaminations que l’on observe au cours d’une chorale, dans un restaurant ou une discothèque, dans un karaoké ou un club de fitness, ou encore dans un bus.
Pourquoi les pouvoirs publics français ont-ils tardé à tenir compte du rôle des aérosols dans les contaminations ?
La plupart des agences de sécurité sanitaire et de santé publique dans le monde, à commencer par l’OMS, ont mis beaucoup de temps à reconnaître le rôle prépondérant de la voie de transmission par aérosol. La France, comme les autres pays développés, ont donc tardé à tenir compte de l’importance de cette voie de contamination qui s’est imposée dans toute la littérature sur la covid-19. Cela a malheureusement nui à la qualité et l’efficacité de la riposte à la pandémie. Il faut aussi reconnaître que le discours négligeant la voie aérosol a été trop longtemps soutenu par de nombreux scientifiques.
Le gouvernement ne s’est-il pas trompé sur ses préconisations, notamment sur le port du masque ?
On a longtemps entendu, en France comme en Suisse ou ailleurs dans le monde, la recommandation de ne porter le masque en milieu intérieur que si l’on ne pouvait pas respecter la distance physique. C’était un non-sens à l’intérieur, il faut porter en permanence le masque, sauf, bien sûr, si l’on mange ou l’on boit. On voit encore de trop nombreux plateaux de télévision où présentateurs et invités ne portent pas de masque, or, on sait qu’ils jouent un rôle important en matière d’éducation sanitaire vis-à-vis du public. En revanche, on continue à imposer le port du masque à l’extérieur alors que les contaminations ne s’y font pas par voie aérosol. Il conviendrait de n’en réserver l’usage qu’aux personnes se rencontrant à l’extérieur à très faible distance et se faisant face. Les pouvoirs publics ont, hélas, réussi à inverser les priorités de leurs recommandations, par un discours peu cohérent et évoluant tardivement avec les connaissances accumulées sur le sujet.
Quels sont les conseils que l’on peut donner pour bien ventiler et éviter les contaminations ?
L’objectif de l’aération d’une pièce est de tendre le plus possible vers le milieu extérieur où le risque de contamination est très inférieur, peut-être 18 à 20 fois moins fréquent, que le milieu intérieur. Pour cela, il faut aérer au maximum la pièce. Il est très difficile de proposer des normes d’aération du genre « ouvrir les fenêtres trois fois par heure ». Il ne faut pas espérer l’absence de risque de contamination, quel que soit le milieu intérieur, en pratique, il vaut mieux viser la réduction du risque de transmission. Cela passe par une ventilation efficace des lieux clos, le port de masques faciaux en tissu, chirurgicaux ou FFP2 en permanence - sauf en mangeant ou buvant - des jauges de fréquentations appropriées, une durée de présence dans ces lieux la plus courte possible, et la distance physique maximale entre les personnes.
En quoi les capteurs de CO2 permettent-ils de savoir si une pièce est bien ventilée ?
Le problème que l’on rencontre avec l’aération d’une pièce est que l’on ne peut pas savoir aisément en entrant dans un local fermé s’il est suffisamment aéré ou non. Le capteur de CO2 est l’instrument qui permet de mesurer l’état de la ventilation d’une pièce à un moment donné. Une pièce peut tout à fait être correctement aérée au début d’un spectacle ou d’un cours, puis à mesure que le temps passe, la concentration en CO2 augmente jusqu’à un niveau qui indique que le confinement ou le manque d’aération de la pièce peut représenter un risque vis-à-vis de la transmission par aérosols du coronavirus. Lorsque la concentration de CO2 est inférieure à 800 ppm, le cours ou la représentation peut avoir lieu. Si le capteur indique une concentration entre 800 et 1 000 ppm, il est temps d’ouvrir les fenêtres ou de pousser le système de ventilation au maximum. Si le capteur passe à plus de 1 000 ppm, on peut sonner une récréation anticipée ou un entracte et sortir calmement de la salle, le temps qu’on l’aère efficacement et que les indicateurs reviennent au vert.
Quels sont les autres dispositifs qui fonctionnent, comme les purificateurs d’air ?
Il peut arriver que l’on n’arrive pas à ventiler efficacement une pièce, pour plusieurs raisons : absence d’ouverture possible des fenêtres, ventilation mécanique contrôlée pas assez puissante, etc. Dans ces cas, un spécialiste de la ventilation des espaces intérieurs peut apporter son expertise pour déterminer le type et la puissance du purificateur d’air qu’il conviendrait d’installer pour débarrasser l’air de ses particules fines, incluant les microgouttelettes de respiration humaines. Ces purificateurs, généralement équipés de filtres HEPA, sont très efficaces, lorsqu’ils sont correctement dimensionnés et bien maintenus, pour réduire le risque de transmission du coronavirus. Bien entendu, les purificateurs d’air ne modifient pas la concentration en CO2 de la pièce mais débarrasseront l’air du coronavirus, à défaut de rejeter à l’extérieur l’air vicié de la pièce. Lorsqu’un purificateur d’air est installé, le capteur de CO2 n’est donc plus informatif.
Et les « gadgets » qui ne fonctionnent pas ?
Beaucoup de fabricants de gadgets, par exemple les filtres à UV, proposent leurs services mais ne bénéficient pas d’homologation de la part des agences de sécurité sanitaire. Il faut donc en rester aux appareils et dispositifs homologués et recommandés par les autorités de santé et fondés sur un haut niveau de preuve scientifique de leur efficacité et innocuité.