• Les Brigades rouges, la « doctrine Mitterrand » et la répression. Entretien avec F. Piccioni – CONTRETEMPS
    https://www.contretemps.eu/italie-brigades-rouges-doctrine-mitterrand-repression-justice

    Le massacre de Piazza Fontana, et bien d’autres qui s’ensuivent, renforcent les partisans d’une organisation clandestine, dédiée à la lutte en soutien des mouvements ouvriers, lycéens et universitaires. Ils ambitionnent aussi de résister à un éventuel putsch d’extrême-droite : rappelons que la nuit du 7 au 8 décembre 1970, une tentative de coup d’Etat a lieu en Italie, avec l’occupation du ministère de l’Intérieur par Junio Valerio Borghese (le « coup Borghese »). Elle fait écho à une tentative précédente de coup d’État en 1964, le “plan Solo”, menée par des chefs des carabiniers et des services de renseignements, en lien étroit avec les États-Unis d’Amérique.

    Dans ce climat, s’armer est considéré comme “normal” dans une partie importante de la gauche italienne. Les Brigades Rouges adoptent cette perspective comme une nécessité stratégique. Il ne s’agit plus alors d’autodéfense, mais d’un objectif de renversement du système capitaliste. Les Brigades Rouges engagent leurs premières actions contre la hiérarchie des usines (contremaîtres, chefs des usines, directeurs), avec des actions symboliques et propagandistes, essentiellement d’atteinte aux biens et de blessure non-létale aux personnes, des actions à grand impact médiatique. En conséquence, un certain nombre de dirigeants d’entreprise prennent peur et atténuent le contrôle disciplinaire, ou cèdent plus facilement dans des conflits sociaux.

    Au fil des années, la stratégie des Brigades rouges évolue. Une stratégie plus large commence à être définie, avec pour objectif final la conquête armée du pouvoir, comme cela se produisait à l’époque dans de nombreux pays – à Cuba une décennie auparavant, mais aussi en Algérie, en Indochine, au Mozambique, en Angola, au Nicaragua, etc. Différence majeure : les Brigades Rouges agissaient dans un pays industrialisé avancé. Et donc, notre pratique de la guérilla était de type “métropolitain”, proche des Tupamaros de Pepe Mujica et Raoul Sendic en Uruguay, de l’IRA en Irlande, mais aussi de la RAF en Allemagne de l’Ouest ou des Weathermen aux États-Unis.

    Le mouvement ouvrier italien était très fort au long des années 1970. Il a produit un haut niveau de conflictualité sociale et des revendications très avancées. La lutte armée des Brigades Rouges ambitionnait, avant tout, de « percer le plafond » politique que rencontraient ces luttes sur leur chemin. Ce n’est pas un hasard si les Brigades rouges entament leur déclin au lendemain de la défaite historique de la classe ouvrière italienne, à Turin, en 1980, lorsque 35 jours d’occupation des usines de Fiat se soldent par 23 000 licenciements. Les autres organisations armées la suivent dans le reflux.