Articles repérés par Hervé Le Crosnier

Je prend ici des notes sur mes lectures. Les citations proviennent des articles cités.

  • L’urbaniste Sylvain Grisot : “Nous bitumons l’équivalent de cinq stades de foot toutes les heures !”
    https://www.telerama.fr/debats-reportages/lurbaniste-sylvain-grisot-nous-bitumons-lequivalent-de-cinq-stades-de-foot-

    Face à un étalement urbain fou et à ses nombreux dégâts, l’urbaniste Sylvain Grisot plaide pour une ville “circulaire” : frugale, moins consommatrice d’espace, de matière et d’énergie. L’urbanisme de demain ?

    Lotissements sans fin, zones commerciales et logistiques toujours plus vastes et disloquées… Va-t-on un jour arrêter de consommer du sol agricole et d’étendre l’urbain dans les campagnes ? Enfin conscient des dégâts sociaux et environnementaux engendrés par le choix économique de l’étalement, le pouvoir politique prétend vouloir y mettre un coup d’arrêt. Cependant les rares expériences de remaillage urbain, de reconstruction de la ville restent le fait de pionniers. L’urbaniste nantais Sylvain Grisot est à l’affût de chacune d’entre elles. Et il en est convaincu, ces pionniers inventent un « urbanisme circulaire », une ville frugale moins consommatrice d’espace, de matière et d’énergie. Le XXIe siècle sera-t-il propice au renforcement de cette nouvelle urbanité ?

    L’étalement urbain ne cesse de se poursuivre. À quel rythme ?
    Depuis un an, nous disposons de données cadastrales précises : tous les vingt ans est bitumée la surface équivalant à un département moyen. Ou, dit autrement, nous consommons l’équivalent de cinq stades de football toutes les heures. Certains objectent que la population citadine augmente, et qu’il est donc normal que la surface des villes suive la même pente. Sauf que la consommation de sol croît trois fois plus vite que la population. Et plus du quart de cette consommation se produit dans les communes qui perdent des habitants. L’explication est simple : dans les communes rurales, le droit ne permet des extensions urbaines que si la population décroît ; vous pouvez alors faire un lotissement à l’entrée du bourg. Cette dérive remonte à une cinquantaine d’années. Mais on ne bétonne pas tant que cela les sols consommés, on les bitume – près de 50 % sont réservés aux routes et aux stationnements. Étaler la ville, la distendre, a été rendu possible par un outil génial, qui permet de faire abstraction de la distance : la voiture individuelle…

    #Urbanisme #Automobile #Ecologie

    • Vous en faites la grande responsable de l’étalement urbain ?
      L’irruption de la voiture dans la ville est récente, à peine un siècle, et ne s’est pas faite simplement, même aux États-Unis. La première Ford T sort des usines en 1908. Jusqu’alors, le trottoir existait pour protéger le piéton du crottin de cheval, pas pour l’isoler. On avait le droit de traverser n’importe où et cela se passait relativement bien. L’arrivée de la voiture dans cet univers assez paisible a constitué un choc très violent, et a engendré des milliers de morts. Les législateurs ont imaginé l’interdire en ville. Le New York Times écrit en 1924 : « L’automobile est une mécanique beaucoup plus destructrice que la mitrailleuse. » Le lobby automobile a retourné la faute de l’accident contre le piéton dans une grande campagne de communication, en créant un personnage fictif, Mr Jay Walker, le péquenot qui ne sait pas se comporter en ville. Ce n’est plus la voiture qui tue, c’est le piéton insouciant qui cherche la mort. Et en 1925, Los Angeles édicte la première réglementation qui hiérarchise l’espace public et oblige Jay Walker à rester sur son bout de trottoir.

      Mais les villes restent denses ?
      La Seconde Guerre mondiale va tout bouleverser, avec la fabrication des baraquements pour l’armée américaine. À l’image de la Ford T, on va industrialiser le mode de production de l’habitat. C’est la naissance des lotissements Levitt, aux portes de New York. Faire du logement standard nécessite un foncier plat, rectangulaire, simple, qu’on ne trouve pas dans la ville existante. Donc, on sort de la ville, et le modèle du « suburb », de la banlieue à l’américaine, s’invente dans la campagne et se développe parce que l’État a créé un nouveau mode de financement, en garantissant les emprunts des anciens combattants. Cette innovation deviendra un modèle avec l’extension du réseau autoroutier dans les années 1950.

      La France s’inspirera du modèle avec vingt ans de retard ?
      Le modèle du pavillon individuel émerge chez nous dans les années 1960 avec les maisons Phénix. On passe d’un système où l’on finançait un opérateur social, pour produire du logement locatif – le modèle du grand ensemble –, au financement direct des ménages pour l’acquisition de logements individuels, produits par de grands opérateurs privés. La gauche et les lois de décentralisation de 1982-1983 donneront les clés du camion au maire : on se retrouve tout à coup avec trente-six mille urbanistes, autant que de communes ! L’État favorise l’acquisition avec le prêt à taux zéro ; quant aux maires, ils prennent leur revanche sur l’exode rural de l’après-guerre, et créent le sol nécessaire au retour d’une population travaillant à la ville, qui vient habiter dans les nouveaux lotissements. Le périurbain est un modèle de développement pensé, organisé, une façon de conserver l’école, la maternité, la poste, par l’apport de nouvelles populations. Le commerce lui aussi sort des villes, avec les zones commerciales. Il ne reste plus qu’à mettre Pôle emploi à côté du rond-point, et finalement un lycée dans les champs…

      Cette ville étalée ne convient-elle pas à une bonne partie de la population ?
      La réalité française aujourd’hui, c’est une ville très peu dense. Le rêve pavillonnaire est un modèle culturel savamment entretenu à coups de sondages biaisés, de terrains pas chers mais lointains, de maisons personnalisables mais standardisées, et surtout… d’absence d’alternative. Prôner des immeubles, des étages, de la contrainte, ce n’est pas un discours mobilisateur. Qu’on arrête de demander aux gens s’ils veulent habiter une maison individuelle ou une cage à lapin ! Lors d’une enquête nationale, on a interrogé les Français sur ce qu’ils recherchaient. Trois axes sont ressortis : du calme, une présence de nature, de la proximité. Ils constituent une bonne définition non pas de ce qu’est la ville, mais de ce qu’elle devrait être. Tous ceux qui habitent dans les grandes villes agitées ont vécu lors du premier confinement un calme souverain avec la réduction de la circulation automobile. Mais on a fermé les parcs, or le parc urbain est l’extension du logement. Quant à la proximité, c’est la définition même de ce qu’est la ville.

      Le périurbain offre calme et nature…
      Mais peu de proximité. Ce sont des espaces qui rendent dépendant de la voiture, très énergivores, donc il faut arrêter ! Pour de multiples raisons, à commencer par la consommation des terres agricoles : en cinquante ans, la surface agricole par habitant a été divisée par deux. Les espaces périurbains doivent se réinventer. Les zones commerciales, par exemple, se caractérisent par des phénomènes d’obsolescence très marqués ; plutôt que de les rénover, il va falloir penser à des formes de « renaturation ». En revanche, beaucoup de lotissements anciens sont considérés comme sous-occupés par l’Insee. Des gens qui y ont fondé leur vie se retrouvent souvent isolés en vieillissant. Il y a un vrai travail d’urbanisme à faire pour mailler, créer des cheminements, ramener du commerce, du service, transformer ces logements souvent inadaptés à la vie de senior…

      Vous citez l’expérience de Périgueux…
      La start-up d’urbanisme Villes vivantes met en œuvre un projet passionnant : les baby-boomers vieillissent, se retrouvent souvent seuls dans leurs pavillons de lotissement anciens, parfois dotés de grands jardins… Or, ce dont on manque dans la ville, ce sont les logements familiaux. Plutôt que de créer de nouveaux lotissements, l’idée est d’ajouter de la construction dans les jardins, et de le faire intelligemment, pas de façon brutale par des industriels de la construction, mais par un travail d’échange, de dialogue avec les voisins. Ce n’est pas l’initiative d’un seul, mais une politique publique. C’est aussi l’occasion de rénovations thermiques. À Périgueux, une centaine de logements ont ainsi été créés, apportant de la mixité générationnelle. Travailler sur la ville existante, c’est ne pas regarder ces lotissements avec dédain, mais au contraire avec envie.
      “Éviter de construire, éviter de déconstruire, éviter de s’étaler.”

      C’est cela, l’urbanisme circulaire que vous prônez ?
      Je suis peut-être un pionnier sur les termes, mais je n’ai rien inventé. Je donne de la lisibilité à des pratiques émergentes. Souvent, on réduit l’économie circulaire au recyclage, alors qu’elle cherche surtout des alternatives à la mise à la poubelle – comme la réparation. Comment transposer cela à l’urbanisme ? Le grand souci des villes étalées, ce sont les bâtiments à usage unique, et à obsolescence programmée. On construit un supermarché, et vingt ans après, la zone de chalandise s’étant déplacée, on laisse la friche et on construit à côté. L’urbanisme circulaire consiste à chercher des « boucles » alternatives à la consommation de sols. Trois boucles sont possibles : éviter de construire en intensifiant les usages ; éviter de déconstruire en construisant des bâtiments évolutifs – car la reconstruction crée beaucoup de déchets, le secteur du BTP représente 40 % des émissions mondiales de CO2 – ; enfin, éviter de s’étaler, à la fois en densifiant et en recyclant des espaces.

      Vous citez l’exemple de Plaine Commune, au nord de Paris, territoire qui se réorganise et se reconstruit sur lui-même…
      La réflexion y est engagée pour éviter les déconstructions et les déchets. Si vous ne prenez que des matériaux sur catalogue en jetant l’existant, ce que vous mettez à la poubelle est perdu ; le territoire perd l’essentiel de la valeur ajoutée, et vous ne créez pas d’emploi. Ce que j’appelle « le métabolisme urbain » consiste à compter les tonnes qui entrent et qui sortent d’un territoire. Comment conserver ce qui est déjà là ? Par une déconstruction sélective, en mettant par exemple de côté des fenêtres, des portes, du mobilier, afin de les récupérer pour leur fonction propre ou une fonction détournée. Un promoteur va déconstruire des matières qui vont servir à un autre promoteur qui construit en réutilisant ces matériaux.

      Les grands acteurs du BTP sont-ils prêts à cette révolution ?
      Faire du circulaire implique de se parler, de collaborer. Dépenser plus en matière grise et moins en béton. Évidemment, cela entre en contradiction avec les intérêts de beaucoup d’acteurs, parce qu’on construit moins, ou de façon plus frugale. Les deux tiers de la ville de 2050 existent déjà. Pour gagner la guerre, il faudra bien construire le dernier tiers, mais surtout travailler sur ceux qui sont déjà là. Parler d’urbanisme circulaire est une manière de rendre lisible cet enjeu : ce qui doit s’arrêter, et ce qu’il faut entreprendre.

      Sylvain Grisot en quatre dates
      1976 Naissance à Poissy (78).
      1998 Diplôme de Sciences Po Aix.
      2004 Master d’urbanisme.
      2015 Création de l’agence dixit.net