Vaccination : notes sur un mouvement [anti]social | Lignes de force
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De la même manière, l’analyse des slogans – ceux repris collectivement et ceux affichés individuellement (pancartes, chasubles ou badges) – est éclairante. Le slogan le plus communément scandé tient en un mot « Liberté ! » Je crois que certains libertaires s’y sont laissés prendre. Il n’y a pourtant là aucune commune mesure avec l’ancien « Anarchie Liberté ! », qui contrariait tant les bureaucrates gauchistes. Scandé seul, le mot « Liberté » est une coquille vide, dans laquelle viennent se lover à l’aise aussi bien des gens de droite, des militants néo-nazis et des électeurs de gauche. Souvenez-vous des manifestations de soutien à l’ école libre » (Tiens !) : ses protagonistes prétendaient incarner la liberté face à un gouvernement « socialo-communiste » porteur de valeurs moscoutaires… Aujourd’hui, croyez-vous que les milliers de personnes dont ce sont les premières manifestations de rue s’intéressent vraiment à la liberté de circuler » ? Ils ne pensent qu’à la leur, et se moquent que l’on externalise les frontières – et les camps d’internement – le plus loin possible de l’Europe. Ces gens ne sont pas méchants ! Simplement, leur rapport à la collectivité se limite à la déclaration d’impôt et aux élections. Le reste du temps, ils consomment de l’intoxication télévisée, et – pour celles et ceux qui préfèrent les versions customisées – des « réseaux sociaux ».
La « liberté » qui sort de leurs bouches n’a rien à voir avec celle qui guide le peuple : c’est la liberté de l’interphone, de la voiture individuelle, et du smartphone.
Ce que demande ce mouvement – à supposer qu’il s’agisse d’un « mouvement » et qu’il « demande » quoi que ce soit – c’est le moins d’État possible dans le maximum de providence possible. Par là il est inspiré, sans le savoir, par les libertariens américains ; néanmoins son libertarianisme est sévèrement reconfiguré par les habitudes prises durant 85 ans de sécurité sociale !
Ce qui demeure du vieux fond anarcho-syndicaliste (dénaturé) dans ces mouvements d’opinion, c’est l’insatisfaction érigé en principe. Ce sont, autrement dit, des mouvements consuméristes. Si les vaccins tardent à être conçus, le gouvernement est un ramas d’incapables et les laboratoires pharmaceutiques des sangsues du peuple. Si les vaccins sont produits dans un temps record, le gouvernement est un ramas d’incapables, et les labos des apprentis sorciers. La même personne qui ignore que les premiers travaux sur l’ARN messager datent du début des années 1960, et refuse d’être le « cobaye » du vaccin contre le Covid, menacera de mort le cancérologue qui prétend lui interdire d’entrer dans le protocole d’un nouveau médicament…
À la décharge (signez ici) du consommateur de santé publique (vieux style), il faut reconnaître que la vaccination pose de manière paradoxale et quasi inextricable le problème de l’intersection/contradiction entre le bénéfice individuel et le bénéfice collectif. En réalité, le vaccin n’est pas fait pour vous (individu), mais pour nous (collectivité). Tel « accident » vaccinal (et la crainte qu’il suscite) n’affecte aucunement l’intérêt, voire la nécessité, d’une vaccination générale.
La question qui se pose aujourd’hui n’est en aucune façon de savoir si je souhaite ou si vous (individus) souhaitez vous faire vacciner ; si vous éprouvez des réticences ; si votre système de croyance (religieux ou antiscientifique) vous « interdit » de le faire. La seule question est de savoir si la collectivité peut s’en passer. Ou, pour ne pas reculer devant les nuances : si des motifs sérieux et rationnels permettent d’envisager une autre stratégie de protection de la population mondiale (on ne peut pas à la fois aller passer ses vacances aux Maldives et nier que la situation sanitaire aux Maldives nous concerne).
La réponse à cette question – aujourd’hui – qu’on la formule brutalement ou avec toutes les circonlocutions imaginables est : Non.
À partir de là, on peut râler, signer des pétitions, attendre le dernier moment – comme pour remplir sa déclaration d’impôt – mais il faudra bien se faire vacciner. Et non, votre opinion individuelle ne « compte pas ». Non pas parce le gouvernement est autoritaire (il l’est !) et oublie (il s’en moque !) qu’il est censé être à votre service (collectivité), mais parce que la santé publique s’évalue sur les grands nombres, lesquels sont extrêmement peu accueillants pour les particularités individuelles (ils les absorbent).
Que le gouvernement attelé à cette tâche soit du genre de ceux qui, depuis des décennies, ont entrepris d’éradiquer la notion même de « santé publique », ont mis des comptables à la direction des hôpitaux et fermé des centaines de lits jugés peu rentables ne modifie absolument rien, ni à la question ni à la réponse.
J’entends bien celles et ceux qui s’affirment à la fois vaccinné·e·s (ou sur le point de l’être) et hostiles à l’obligation vaccinale. Prenons un autre exemple. Diriez-vous : « Je suis entièrement d’accord pour dire que conduire fin saoul au-dessus de la vitesse maximale autorisée est un comportement criminel, mais je ne suis pas d’accord pour que ce comportement soit interdit ? » Non, bien sûr.