marielle 🐱

« vivere vuol dire essere partigiani » Antonio Gramsci

  • Dictature numĂ©rique
    ▻https://www.monde-diplomatique.fr/2021/08/HALIMI/63421

    Bienvenue en Chine occidentale ! L’Organisation mondiale de la santĂ© (OMS) recommande que les États s’emploient Ă  convaincre de l’utilitĂ© — incontestable — du vaccin contre le Covid-19 plutĂŽt que d’user de la contrainte. Mais M. Emmanuel Macron en a dĂ©cidĂ© autrement. Ce prĂ©sident qui ne cesse de pourfendre l’« illibĂ©ralisme » ne conçoit les libertĂ©s publiques que comme une variable d’ajustement. D’ailleurs nĂ©gligeable, et destinĂ©e Ă  s’effacer derriĂšre toutes les urgences du moment — mĂ©dicales, sĂ©curitaires, guerriĂšres. Interdire Ă  des millions de personnes de prendre le train, de commander un plat en terrasse, de voir un film en salles sans avoir prouvĂ© qu’elles n’étaient pas infectĂ©es en fournissant le cas Ă©chĂ©ant, dix fois par jour, une piĂšce d’identitĂ© que le commerçant devra parfois vĂ©rifier lui-mĂȘme nous fait entrer dans un autre monde. Il existe dĂ©jĂ . En Chine, prĂ©cisĂ©ment. Les agents de police y disposent de lunettes de rĂ©alitĂ© augmentĂ©e qui, reliĂ©es Ă  des camĂ©ras thermiques placĂ©es sur leurs casques, permettent de repĂ©rer une personne fiĂ©vreuse dans une foule (1). Est-ce cela que nous voulons Ă  notre tour ?

    En tout cas, nous entĂ©rinons plutĂŽt benoĂźtement l’invasion galopante du numĂ©rique et du traçage de nos vies intimes, professionnelles, de nos Ă©changes, de nos choix politiques. InterrogĂ© sur les moyens d’éviter que nos donnĂ©es, une fois nos tĂ©lĂ©phones portables piratĂ©s, ne deviennent des armes braquĂ©es contre nous, M. Edward Snowden a dĂ©clarĂ© : « Que peuvent faire les gens pour se protĂ©ger des armes nuclĂ©aires ? Des armes chimiques ou biologiques ? Il y a des industries, des secteurs, pour lesquels il n’y a pas de protection, et c’est pour ça qu’on essaye de limiter leur prolifĂ©ration. »

    C’est tout le contraire que M. Macron encourage en prĂ©cipitant le remplacement des interactions humaines par un maquis de sites administratifs, de robots, de boĂźtes vocales, de QR codes, d’applications Ă  tĂ©lĂ©charger. DorĂ©navant, rĂ©server un billet, acheter en ligne, exige Ă  la fois une carte bancaire et la communication de son numĂ©ro de tĂ©lĂ©phone portable, voire de son Ă©tat civil. Il fut un temps, qui n’était pas le Moyen Âge, oĂč l’on pouvait prendre le train en demeurant anonyme, traverser une ville sans ĂȘtre filmĂ©, se sentir d’autant plus libre qu’on ne laissait derriĂšre soi nulle trace de son passage. Et pourtant, il y avait dĂ©jĂ  des enlĂšvements d’enfants, des attentats terroristes, des Ă©pidĂ©mies — et mĂȘme des guerres.

    Le principe de prĂ©caution ne connaĂźtra aucune limite. Est-il trĂšs prudent, par exemple, de cĂŽtoyer dans un restaurant une personne qui aurait un jour voyagĂ© au Proche-Orient, Ă©prouvĂ© des bouffĂ©es dĂ©lirantes, participĂ© Ă  une manifestation interdite, frĂ©quentĂ© une librairie anarchiste ? Le risque de ne pas terminer son repas Ă  cause d’une bombe, d’une rafale de kalachnikov ou d’un coup de poing dans la figure n’est pas Ă©norme, mais il n’est pas nul non plus... Faudra-t-il donc bientĂŽt que tous les passants prĂ©sentent un « passe civique » garantissant leur casier judiciaire vierge et l’aval de la police ? Ils n’auraient plus ensuite qu’à errer tranquilles dans un musĂ©e des libertĂ©s publiques, devenues « territoires perdus de la RĂ©publique ».

    Serge Halimi