• Nous y voilà, c’est la rentrée.
    Comme chaque année, les mêmes gestes, les mêmes pensées, les mêmes discussions. C’est sans doute l’un des moments de l’année les plus ritualisés. Par exemple, on rachète encore une fois une équerre dont les enfants ne se servent qu’une fois tous les trois ans mais qu’ils cassent tous les ans. Tous les mois de septembre, j’ai envie d’écrire le même article, une sorte d’ôde aux fournitures scolaires les plus désuètes (souvenez-vous des normographes), jusqu’au moment où je me rappelle que je l’ai déjà fait en 2012. Septembre, c’est également le mois des listes. Et parmi ces listes –ce qu’il faut ranger, ce qu’il faut jeter, ce qu’il faut acheter–, on ajoute la sempiternelle liste des catastrophes climatiques de l’été.

    Eh bien oui. C’est désormais traditionnel.

    Mais le plus incroyable, c’est que, chaque année, on a l’impression que c’est la première fois. Chaque été, on regarde les méga-incendies en se disant « mais c’est dingue ! ». Chaque année, on voit la carte des températures caniculaires un peu partout dans le monde en soufflant « c’est fou quand même ». Et, pour la rentrée, on apprend les noms de deux ou trois ouragans devant lesquels on secoue gravement la tête. Chaque année, on se dit « non mais cette fois, c’est plus possible, il va falloir agir, c’est la priorité absolue ». Et, chaque année, alors qu’on attend des prises de décision radicales, à la place on a un politique qui nous dit :

    Attention aux parents qui achètent des écrans plats à la place d’une équerre.
    Attention aux tenues des lycéennes (port du voile ou crop-top, selon les années).
    Attention aux flux migratoires.

    De quand datent ces étés catastrophes ? Écoutez, personnellement, je situerais un tournant vers l’époque de la démission de Nicolas Hulot en direct sur France Inter. Rappelez-vous, avant ce moment mémorable d’honnêteté politique, Nicolas Demorand avait débuté l’interview en énumérant les catastrophes qui avaient rythmé l’été.

    Voici exactement comment il avait commencé : « Incendies un peu partout dans le monde, Grèce, Suède, États-Unis, inondations au Japon, record de températures en France, j’arrête là la liste des évènements majeurs de l’été, c’est la bande-annonce de ce qui nous attend disent les scientifiques. Sur le sujet, tout a été dit, tous les grands mots ont été employés et le film catastrophe est là, sous nos yeux, on est en train d’y assister. Est-ce que vous pouvez m’expliquer pourquoi, rationnellement, ce n’est pas la mobilisation générale ? »

    À quoi Nicolas Hulot avait répondu « je vais faire une réponse très brève : non ». Il ne pouvait pas expliquer cette absence de réaction. Ajoutant qu’il ne comprenait pas pourquoi on s’évertuait à réanimer un modèle économique qui était la cause de tous ces désordres.

    C’était il y a trois ans. (Ressenti : dix années.)

    Et depuis ?
    Bah j’ai racheté une équerre. Parce que c’est la rentrée.
    (En plus, elle est en plastique.)

    Face aux catastrophes, on a traversé plusieurs états. Il y a eu le moment, précisément il y a trois ans, où la prise de conscience s’est faite. On avait le sentiment que la catastrophe, Armageddon, l’Apocalypse, était pour bientôt. On se croisait dans la rue et on faisait des blagues sur nos différentes stratégies d’évacuation pour le jour où il faudrait partir en vitesse se mettre à l’abri. Je crois qu’en réalité, on attendait Godzilla. On pensait qu’un abominable monstre à écailles de 5 mètres de haut allait sortir de l’océan et traverser le pays, et que là, ce serait le signal pour l’exode.

    Trois ans plus tard, on a compris que Godzilla n’était pas là. (Pour rappel : le cinéma japonais met en scène Godzilla pour évoquer la peur du nucléaire et le traumatisme lié aux bombes lâchées sur Hiroshima et Nagasaki.) Godzilla est la plupart du temps presque invisible. Godzilla, c’est la pluie qui tombe dans des proportions invraisemblables. Godzilla, c’est simplement le fait de mettre aux enfants un manteau parce qu’il fait 15 degrés le matin mais avec un short, parce qu’il fera 26 l’après-midi.

    Finalement, on cohabite avec Godzilla.

    Ce devrait être à peu près l’unique sujet politique. Ou tout du moins, le sujet absolument prioritaire. Certains vont peut-être dire que c’est compliqué tout ça à mettre en place. Mais c’est précisément parce que c’est complexe que ce devrait être le sujet prioritaire. On devrait entendre des débats portant sur la manière concrète de changer de modèle énergétique, quelles sont les différentes options et leurs conséquences. Mais, à la place, on a le droit à toutes les Lepénades de la classe politique.

    Comme si les catastrophes climatiques étaient devenues un marronnier. Le marronnier des incendies de l’été, le marronnier des canicules, le marronnier de la hausse des océans.
    Bientôt : le marronnier du ralentissement du Gulf Stream.

    http://www.slate.fr/source/1029/titiou-lecoq