• La Chine continue de resserrer son étau sur les géants de la tech
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    Gestion des données privées, concurrence, conditions de travail… Pékin met au pas l’ensemble des plates-formes numériques.

    Les applications sur smartphone des géants du #commerce_en_ligne chinois sont bien pratiques. En quelques clics, vous pouvez commander le bien dont vous rêvez et obtenir un crédit pour l’acquérir. Cela ne devrait pas durer. Selon le Financial Times du lundi 13 septembre, Pékin va obliger les e-commerçants à scinder leurs applications : une pour les achats, une pour les activités de crédit.

    Une décision dans la droite ligne de la stratégie mise en œuvre depuis décembre 2020 visant à les contraindre de cesser d’être à la fois commerçants, banquiers, intermédiaires financiers et évaluateurs de risques de crédit, le tout sans avoir à respecter les ratios prudentiels imposés aux banques traditionnelles. A l’avenir, les demandes de prêts déposées auprès d’Ant, la filiale financière d’Alibaba, devront être traitées par une société spécifique dont l’Etat sera actionnaire. Une nationalisation partielle qui devrait faire jurisprudence. Plus question de laisser à quelques conglomérats high-tech le monopole du crédit à la consommation.

    Jusqu’à la crise financière de 2008, la Chine était convaincue que les Etats-Unis et l’Union européenne disposaient d’une régulation financière efficace. Le scandale des subprimes et la faillite de la banque Lehman Brothers l’ont fait changer d’avis. Dès 2010, Pékin met en place un embryon de régulation. En 2015, un krach boursier ramène le sujet sur le devant de la scène, d’autant plus que, la même année, les éternels rivaux Tencent et Alibaba créent leur propre banque en ligne et que la fintech part à l’assaut du système bancaire public.

    Une nécessité à la fois économique et sociale

    Comme le rappelle Viviana Zhu, dans une note de l’Institut Montaigne, c’est en 2017 que Xi Jinping presse les régulateurs d’« oser » accomplir leur mission. « L’incapacité à rapidement faire face à des risques est un manquement à ses devoirs », les met-il en garde. Les attaques de l’administration américaine contre Huawei et ZTE ont sans doute donné un répit aux géants de la tech chinoise. Mais, à un an du 20e congrès du Parti communiste, à l’automne 2022, Xi Jinping semble convaincu que la mise au pas d’Alibaba, Tencent, JD. com, Meituan, Pinduoduo et autres est une nécessité à la fois économique et sociale.

    Outre la régulation financière, le pouvoir politique s’attaque en effet à d’autres caractéristiques du secteur auxquelles l’opinion publique est sensible : la concurrence entre les plates-formes, la collecte des données et les conditions de #travail des employés. Le 10 septembre, les pouvoirs publics ont convoqué les dix grandes entreprises de livraison à domicile et les sociétés de taxi, leur enjoignant de signer des contrats écrits avec leur personnel, d’améliorer les revenus offerts et de prévoir des temps de pause. L’enjeu est majeur. Selon un rapport de l’Organisation internationale du travail paru à l’automne 2020, 78 millions de personnes, soit environ 10 % de la population active, sont employées dans le commerce en ligne et les plates-formes de livraison. Mais une infime minorité de ces 78 millions – 8 % seulement – bénéficient d’un réel contrat de travail.

    Par ailleurs, les géants du commerce en ligne ont été de nouveau priés, lundi 13 septembre, par le ministère de l’industrie et des technologies de l’information, de ne plus bloquer les moyens de paiement de leurs concurrents. Une pratique régulièrement dénoncée par les consommateurs. En avril, Alibaba avait été contraint de verser une amende de 2,3 milliards d’euros pour ses pratiques anticoncurrentielles, empêchant certains commerçants de mettre leurs produits en vente sur plusieurs plates-formes. Quelques jours plus tard, 34 e-commerçants avaient été rappelés à l’ordre par les autorités de la concurrence.

    Les données, atouts « stratégiques de la nation »

    Dans le même ordre d’idée, le gouvernement a publié, en août, une loi qualifiant les données d’atouts « stratégiques de la nation ». Jugeant que les informations concernant les Chinois doivent rester dans l’empire du Milieu, le gouvernement entend limiter les introductions en Bourse des entreprises nationales à l’étranger, lorsque les autorités du pays veulent également avoir un droit de regard sur ces données, ce qui est le cas des Etats-Unis. Pour s’être introduit au Nasdaq fin juin, en croyant pouvoir se dispenser d’obtenir le feu vert des autorités chinoises, Didi, le « Uber chinois », a, quarante-huit heures plus tard, été interdit de recruter de nouveaux clients en Chine. Message reçu cinq sur cinq : deux autres sociétés, l’application de fret Full Truck Alliance et la société de recrutement en ligne Kanzhun ont renoncé à se faire coter aux Etats-Unis.

    Allant encore plus loin, la ville de Tianjin (environ 10 millions d’habitants) a ordonné à ses entreprises publiques de stocker leurs données dans un cloud public et de ne plus travailler avec les géants privés comme Alibaba ou Tencent. Ceux-ci ne sont pas les seuls dans le collimateur du Parti communiste. Cet été, le secteur de l’éducation privée en ligne a été prié de rejoindre le secteur associatif. Et dans le domaine des jeux vidéo, les mineurs ne peuvent plus se connecter que trois heures par semaine, les sociétés devant auparavant vérifier l’identité et l’âge des utilisateurs. Enfin, une réécriture « positive » de certains algorithmes doit mettre moins en valeur les « contenus pernicieux ».

    Autant de mesures jugées « liberticides » par certains, mais que d’autres, comme le sinologue François Godement de l’Institut Montaigne, pourtant peu suspect de complaisance envers Pékin, estime « correspondre à ce que l’on pourrait attendre de gouvernements sociaux-démocrates ».

    #capitalisme_de_plateforme