La Sellette

Chroniques de la violence judiciaire

  • Interprètes : un droit fondamental malmené par la comparution immédiate

    Tout au long de la procédure pénale, la personne mise en cause peut être assistée par un⋅e interprète. Un tel droit relève à priori du bon sens : la personne confrontée à la justice doit comprendre ce qu’il se passe pour pouvoir se défendre, de la même manière que la justice doit comprendre les réponses qui lui sont données. Pourtant ce droit – considéré par la loi comme indispensable à un procès équitable – est dans la pratique bien mal respecté.

    C’est souvent l’officier de police judiciaire en charge de la garde à vue qui apprécie le niveau de compréhension de la langue de la personne mise en cause. Or, si l’article préliminaire du code de procédure pénale prévoit que la personne suspectée qui ne comprend pas la langue française a droit à un⋅e interprète, dans les faits, une autre question préside au choix de requérir ou non cette assistance : la personne comprend-t-elle suffisamment le français pour qu’on puisse s’en passer ? […]
    C’est aussi le policier qui choisira l’interprète. Il existe une liste agréée par la Cour d’appel, mais la loi permet en fait au policier de désigner toute personne qu’il estime compétente. Alors pourquoi pas un ami ? un proche ? Plusieurs interprètes témoignent d’ailleurs du fait que certains de leurs collègues en garde à vue se comportent plus en auxiliaire de police qu’autre chose, dissuadant la personne de prendre un avocat, lui conseillant d’avouer… A noter que cet interprète choisi par la police sera souvent, à Toulouse en tout cas, le même qu’à l’audience.
    Le rythme imposé par la procédure de comparution immédiate peut mettre à mal les droits de la défense. En effet, l’interprète est convoqué au début de l’audience. Or les dossiers avec interprète sont prévus pour passer en premier, tout simplement parce qu’ils sont payés à l’heure. Seulement voilà, si l’interprète n’arrive qu’au moment où son affaire passe, on ne voit pas à quel moment il pourra accompagner l’avocat de la défense aux geôles du palais pour traduire l’entretien du prévenu avec son avocat.
    Alors, il y a parfois moyen de s’arranger avec l’huissier pour que le dossier ne soit pas évoqué en premier, mais ça bouleverse l’ordre du tribunal et crée des tensions. Dès fois aussi, malheureusement, l’avocat de le défense ne verra que des avantages à passer en premier et renoncera lui même à cet entretien.
    Et si l’interprète ne vient pas ? Un⋅e autre devrait être appelé⋅e ou l’affaire renvoyée. Pourtant un travail d’observation mené à la Cour d’appel de Paris en 2008 relevait que certaines audiences ont été maintenues, les magistrats estimant finalement que le prévenu comprenait « suffisamment » le français.
    Était-ce le cas ? Ou s’agissait-il surtout de ne pas plus retarder une organisation déjà engorgée ? Il aurait fallu en appeler un⋅e en urgence et l’attendre, parfois longtemps.

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