« Le passe sanitaire est un moyen extrajudiciaire de dĂ©sactiver socialement les gens »
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Selon le professeur de droit Guillaume Zambrano, le passe sanitaire est une atteinte aux droits fondamentaux ainsi quâune sanction extrajudiciaire. La pĂ©rennisation de ce dispositif signifierait dâaprĂšs lui la normalisation de lâatteinte Ă lâintĂ©gritĂ© physique des individus et de la privation de sortie et de mouvement.
Guillaume Zambrano est maĂźtre de confĂ©rences en droit privĂ© Ă lâuniversitĂ© de NĂźmes. Face Ă la loi imposant le passe sanitaire, il a lancĂ© une requĂȘte collective auprĂšs de la Cour europĂ©enne des droits de lâHomme.
Ătre exclu des transports publics, hĂŽpitaux, cafĂ©s, restaurants, bibliothĂšques, associations sportives et culturelles et autres lieux de rĂ©union est une privation de libertĂ© extrĂȘmement lourde : câest une privation du droit de rĂ©union, de la libertĂ© dâaller et de venir, une vĂ©ritable exclusion de la vie sociale. Le plus grave est quâil sâagit dâune sanction extrajudiciaire. Depuis le XVIIá” siĂšcle et le Bill of Rights anglais destinĂ© Ă limiter lâarbitraire des souverains, notre tradition juridique est fondĂ©e sur le principe de lâhabeas corpus : toute personne privĂ©e de libertĂ© a le droit de passer devant un juge. De fait, quand une personne est assignĂ©e Ă rĂ©sidence ou condamnĂ©e Ă porter un bracelet Ă©lectronique, la mesure doit ĂȘtre approuvĂ©e par le juge des libertĂ©s et de la dĂ©tention. Quand on condamne des personnes pour des dommages sociaux comme le vol, la fraude fiscale, les coups et blessures, elles ont eu droit Ă un procĂšs. Et gĂ©nĂ©ralement, le but visĂ© est la rĂ©insertion sociale : mĂȘme pour des dĂ©lits graves, il y a du sursis, des amĂ©nagements de peine. Mais avec le passe sanitaire, toute une catĂ©gorie de personnes reçoivent une sanction pĂ©nale maximale sans quâil y ait eu de jugement, sans mĂȘme avoir pu se dĂ©fendre.
Quâest-ce qui justifie cette sanction ? Le fait de ne pas pouvoir (ou ne pas vouloir) prĂ©senter un QR code Ă lâentrĂ©e des lieux publics, de ne pas ĂȘtre vaccinĂ© ou testĂ©. Ce qui est reprochĂ© aux gens, câest dâĂȘtre potentiellement contagieux. Câest dâautant plus grave quâil est trĂšs rare en droit que lâon soit condamnĂ© pour une infraction par omission. La rĂšgle est dâĂȘtre condamnĂ© pour avoir fait quelque chose, et non pour ne pas avoir fait quelque chose. Il existe le dĂ©lit de non-assistance Ă personne en danger (article 223-6 du Code pĂ©nal), mais ses conditions sont trĂšs restrictives et les condamnations rares. Il existe aussi une jurisprudence pour des personnes ayant contaminĂ© dâautres personnes avec le Sida en connaissance de cause, mais les juges ont retenu lâaspect intentionnel : non seulement elles se savaient malades et nâont pas pris de prĂ©cautions, mais elles ont dĂ©clarĂ© vouloir contaminer dâautres personnes, câest ce qui a motivĂ© la condamnation.
Le passe sanitaire sort du cadre ordinaire du droit pĂ©nal. Il donne lieu Ă des sanctions sociales inĂ©dites qui sont un mĂ©lange de privation de libertĂ©, de stigmatisation et dâincitation Ă lâhumiliation publique. Câest un moyen extrajudiciaire de dĂ©sactiver socialement les gens, de les dĂ©brancher, en quelque sorte. Et ce ne sont plus les juges, mais la population elle-mĂȘme — les cafetiers, les bibliothĂ©caires, les gardiens de musĂ©e ou les employĂ©s des hĂŽpitaux — qui applique la sanction. Cela indique que le gouvernement est passĂ© dans une logique de rĂ©pression massive : comme il ne peut pas mettre un juge derriĂšre chaque citoyen, il se repose sur la population et sur des moyens automatisĂ©s pour le faire. Câest une rĂ©volution anti-libĂ©rale. La seule comparaison possible est celle du crĂ©dit social en Chine, une forme de rĂ©Ă©ducation Ă la carotte et au bĂąton : je tâinterdis de prendre le train, dâaccĂ©der Ă tel emploi, dâaller au cinĂ©maâŠ
La pandémie de Covid-19 ne justifie-t-elle pas de déroger au droit de maniÚre exceptionnelle ?
Depuis deux siĂšcles, la France a Ă©rigĂ© la libertĂ© en tant que principe fondamental, naturel, inaliĂ©nable : les restrictions sont des exceptions qui doivent ĂȘtre strictement justifiĂ©es et proportionnelles. Dans le cadre dâun raisonnement sur la proportionnalitĂ©, les mesures portant atteinte aux libertĂ©s fondamentales doivent remplir trois conditions. Dâabord, le test dâ« aptitude » : la mesure est-elle apte Ă atteindre lâobjectif affichĂ© ? Le passe sanitaire et lâobligation vaccinale peuvent-ils lutter efficacement contre lâĂ©pidĂ©mie ? On peut en discuter, puisque les vaccins nâempĂȘchent pas forcĂ©ment la contagion. Ensuite, le test de « nĂ©cessitĂ© » : y aura-t-il un trĂšs grand nombre de morts si le gouvernement ne met pas en place cette mesure ? Vraisemblablement non, ce nâest pas le cas dans les pays qui nâont pas recours au passe sanitaire comme la SuĂšde ou lâAngleterre. Enfin, le test de « substitution » : existe-t-il des mesures alternatives et moins restrictives qui permettraient de lutter contre les effets de lâĂ©pidĂ©mie ? Oui : le gouvernement pourrait ouvrir des lits de rĂ©animation, crĂ©er des hĂŽpitaux de campagne, vacciner les personnes les plus Ă risque et les personnes volontaires, et tester frĂ©quemment les soignants, ce qui serait dans ce cas plus efficace que lâobligation vaccinale. Le passe sanitaire et lâobligation vaccinale sont donc des mesures disproportionnĂ©es et excessives par rapport Ă la nature du danger et Ă leur capacitĂ© Ă y rĂ©pondre.
Lâobligation vaccinale des soignants, ou la quasi-obligation vaccinale imposĂ©e par le passe sanitaire, sont-elles contraires au droit ?
Le plus fondamental des droits fondamentaux est le respect de la dignitĂ© humaine dont le consentement libre et Ă©clairĂ© Ă lâacte mĂ©dical est une manifestation. En principe, les atteintes Ă lâintĂ©gritĂ© du corps humain ne sont jamais permises, sauf dans des circonstances particuliĂšres et si et seulement si elles sont justifiĂ©es par un intĂ©rĂȘt mĂ©dical pour vous. En avril dernier, les juges europĂ©ens ont rendu un arrĂȘt justifiant la vaccination obligatoire des enfants contre le tĂ©tanos (arrĂȘt VavĆiÄka, 8/04/21) : on note que dâune part, la balance bĂ©nĂ©fice/risque est positive pour les enfants, car le tĂ©tanos est dangereux pour eux, et que dâautre part, lâanciennetĂ© des vaccins permet de connaĂźtre leur efficacitĂ© et la nature des risques Ă long terme. Dans le cas des vaccins contre le Sars-Cov2, câest diffĂ©rent : non seulement leur intĂ©rĂȘt mĂ©dical pour les enfants et les adolescents fait dĂ©bat [3], mais le fait quâils soient basĂ©s sur une technologie nouvelle ne permet raisonnablement pas dâen connaĂźtre les risques Ă long terme.
Ne risque-t-on pas de voir ces mesures dâexception se normaliser ?
Le risque est dâautant plus grand que la menace Ă©pidĂ©mique nâest pas de nature provisoire. Nous allons devoir vivre avec ce virus, ou avec dâautres virus. Si on est face Ă un risque permanent, alors il faut mettre en place des mesures permanentes, et celles-ci doivent bien sĂ»r ĂȘtre compatibles avec les libertĂ©s. On peut constater que les mesures antiterroristes temporaires ont Ă©tĂ© dĂ©voyĂ©es pour sâinstaller de maniĂšre permanente dans notre droit. Avec lâopĂ©ration Sentinelle, le fait dâutiliser lâarmĂ©e pour exercer des pouvoirs de police sur le peuple sâest normalisĂ©. La surveillance de la population aussi : dans les annĂ©es 1980, les Ă©coutes de lâĂlysĂ©e ont fait scandale ; en 2020, lâĂtat peut Ă©couter nâimporte qui. Les mesures antiterroristes ont donc progressivement fait disparaĂźtre du droit la protection de la vie privĂ©e. Si on transpose cette situation aux mesures dâexception sanitaires, les consĂ©quences sont vertigineuses : ce qui risque de se normaliser, ce nâest plus seulement lâatteinte Ă la vie privĂ©e, mais lâatteinte Ă lâintĂ©gritĂ© physique des individus, la privation de sortie et de mouvement.
Quels espoirs placez-vous dans la requĂȘte que vous portez auprĂšs de la Cour europĂ©enne des droits de lâHomme ?
Il faut rappeler une chose Ă©lĂ©mentaire : les droits de lâHomme sont au-dessus des lois. Câest la raison dâĂȘtre de ces textes. Si les droits fondamentaux ont Ă©tĂ© inscrits dans les juridictions internationales et les constitutions, câest prĂ©cisĂ©ment pour Ă©viter que les gouvernements nâadoptent des lois contraires aux libertĂ©s et ne fassent basculer un pays dans la dictature. Il est donc nĂ©cessaire (quoique pas forcĂ©ment suffisant) dâen appeler Ă la Cour europĂ©enne des droits de lâHomme dans la situation actuelle. En pratique, le but est dâĂ©viter que lâobligation du passe sanitaire ne soit prolongĂ©e au-delĂ du 15 novembre 2021 par lâadoption dâune nouvelle loi. La Cour est lĂ©galement obligĂ©e de traiter toutes les requĂȘtes, or ses moyens sont limitĂ©s. Si elle est saisie par des dizaines de milliers de personnes, elle sera contrainte dâĂ©couter nos arguments, pour Ă©viter dâĂȘtre complĂštement paralysĂ©e administrativement. En 2020, la CEDH a reçu un total de 40 000 requĂȘtes de toutes natures. Câest ce chiffre quâil faut dĂ©passer. Nous sommes dĂ©jĂ Ă plus de 20 000. Toute personne de plus de 12 ans peut attaquer gratuitement et sans risques la loi sur le passe sanitaire.