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« vivere vuol dire essere partigiani » Antonio Gramsci

  • « Le passe sanitaire est un moyen extrajudiciaire de dĂ©sactiver socialement les gens »
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    Selon le professeur de droit Guillaume Zambrano, le passe sanitaire est une atteinte aux droits fondamentaux ainsi qu’une sanction extrajudiciaire. La pĂ©rennisation de ce dispositif signifierait d’aprĂšs lui la normalisation de l’atteinte Ă  l’intĂ©gritĂ© physique des individus et de la privation de sortie et de mouvement.

    Guillaume Zambrano est maĂźtre de confĂ©rences en droit privĂ© Ă  l’universitĂ© de NĂźmes. Face Ă  la loi imposant le passe sanitaire, il a lancĂ© une requĂȘte collective auprĂšs de la Cour europĂ©enne des droits de l’Homme.

    Être exclu des transports publics, hĂŽpitaux, cafĂ©s, restaurants, bibliothĂšques, associations sportives et culturelles et autres lieux de rĂ©union est une privation de libertĂ© extrĂȘmement lourde : c’est une privation du droit de rĂ©union, de la libertĂ© d’aller et de venir, une vĂ©ritable exclusion de la vie sociale. Le plus grave est qu’il s’agit d’une sanction extrajudiciaire. Depuis le XVIIᔉ siĂšcle et le Bill of Rights anglais destinĂ© Ă  limiter l’arbitraire des souverains, notre tradition juridique est fondĂ©e sur le principe de l’habeas corpus : toute personne privĂ©e de libertĂ© a le droit de passer devant un juge. De fait, quand une personne est assignĂ©e Ă  rĂ©sidence ou condamnĂ©e Ă  porter un bracelet Ă©lectronique, la mesure doit ĂȘtre approuvĂ©e par le juge des libertĂ©s et de la dĂ©tention. Quand on condamne des personnes pour des dommages sociaux comme le vol, la fraude fiscale, les coups et blessures, elles ont eu droit Ă  un procĂšs. Et gĂ©nĂ©ralement, le but visĂ© est la rĂ©insertion sociale : mĂȘme pour des dĂ©lits graves, il y a du sursis, des amĂ©nagements de peine. Mais avec le passe sanitaire, toute une catĂ©gorie de personnes reçoivent une sanction pĂ©nale maximale sans qu’il y ait eu de jugement, sans mĂȘme avoir pu se dĂ©fendre.

    Qu’est-ce qui justifie cette sanction ? Le fait de ne pas pouvoir (ou ne pas vouloir) prĂ©senter un QR code Ă  l’entrĂ©e des lieux publics, de ne pas ĂȘtre vaccinĂ© ou testĂ©. Ce qui est reprochĂ© aux gens, c’est d’ĂȘtre potentiellement contagieux. C’est d’autant plus grave qu’il est trĂšs rare en droit que l’on soit condamnĂ© pour une infraction par omission. La rĂšgle est d’ĂȘtre condamnĂ© pour avoir fait quelque chose, et non pour ne pas avoir fait quelque chose. Il existe le dĂ©lit de non-assistance Ă  personne en danger (article 223-6 du Code pĂ©nal), mais ses conditions sont trĂšs restrictives et les condamnations rares. Il existe aussi une jurisprudence pour des personnes ayant contaminĂ© d’autres personnes avec le Sida en connaissance de cause, mais les juges ont retenu l’aspect intentionnel : non seulement elles se savaient malades et n’ont pas pris de prĂ©cautions, mais elles ont dĂ©clarĂ© vouloir contaminer d’autres personnes, c’est ce qui a motivĂ© la condamnation.

    Le passe sanitaire sort du cadre ordinaire du droit pĂ©nal. Il donne lieu Ă  des sanctions sociales inĂ©dites qui sont un mĂ©lange de privation de libertĂ©, de stigmatisation et d’incitation Ă  l’humiliation publique. C’est un moyen extrajudiciaire de dĂ©sactiver socialement les gens, de les dĂ©brancher, en quelque sorte. Et ce ne sont plus les juges, mais la population elle-mĂȘme — les cafetiers, les bibliothĂ©caires, les gardiens de musĂ©e ou les employĂ©s des hĂŽpitaux — qui applique la sanction. Cela indique que le gouvernement est passĂ© dans une logique de rĂ©pression massive : comme il ne peut pas mettre un juge derriĂšre chaque citoyen, il se repose sur la population et sur des moyens automatisĂ©s pour le faire. C’est une rĂ©volution anti-libĂ©rale. La seule comparaison possible est celle du crĂ©dit social en Chine, une forme de rĂ©Ă©ducation Ă  la carotte et au bĂąton : je t’interdis de prendre le train, d’accĂ©der Ă  tel emploi, d’aller au cinĂ©ma


    La pandĂ©mie de Covid-19 ne justifie-t-elle pas de dĂ©roger au droit de maniĂšre exceptionnelle ?

    Depuis deux siĂšcles, la France a Ă©rigĂ© la libertĂ© en tant que principe fondamental, naturel, inaliĂ©nable : les restrictions sont des exceptions qui doivent ĂȘtre strictement justifiĂ©es et proportionnelles. Dans le cadre d’un raisonnement sur la proportionnalitĂ©, les mesures portant atteinte aux libertĂ©s fondamentales doivent remplir trois conditions. D’abord, le test d’« aptitude » : la mesure est-elle apte Ă  atteindre l’objectif affichĂ© ? Le passe sanitaire et l’obligation vaccinale peuvent-ils lutter efficacement contre l’épidĂ©mie ? On peut en discuter, puisque les vaccins n’empĂȘchent pas forcĂ©ment la contagion. Ensuite, le test de « nĂ©cessitĂ© » : y aura-t-il un trĂšs grand nombre de morts si le gouvernement ne met pas en place cette mesure ? Vraisemblablement non, ce n’est pas le cas dans les pays qui n’ont pas recours au passe sanitaire comme la SuĂšde ou l’Angleterre. Enfin, le test de « substitution » : existe-t-il des mesures alternatives et moins restrictives qui permettraient de lutter contre les effets de l’épidĂ©mie ? Oui : le gouvernement pourrait ouvrir des lits de rĂ©animation, crĂ©er des hĂŽpitaux de campagne, vacciner les personnes les plus Ă  risque et les personnes volontaires, et tester frĂ©quemment les soignants, ce qui serait dans ce cas plus efficace que l’obligation vaccinale. Le passe sanitaire et l’obligation vaccinale sont donc des mesures disproportionnĂ©es et excessives par rapport Ă  la nature du danger et Ă  leur capacitĂ© Ă  y rĂ©pondre.

    L’obligation vaccinale des soignants, ou la quasi-obligation vaccinale imposĂ©e par le passe sanitaire, sont-elles contraires au droit ?

    Le plus fondamental des droits fondamentaux est le respect de la dignitĂ© humaine dont le consentement libre et Ă©clairĂ© Ă  l’acte mĂ©dical est une manifestation. En principe, les atteintes Ă  l’intĂ©gritĂ© du corps humain ne sont jamais permises, sauf dans des circonstances particuliĂšres et si et seulement si elles sont justifiĂ©es par un intĂ©rĂȘt mĂ©dical pour vous. En avril dernier, les juges europĂ©ens ont rendu un arrĂȘt justifiant la vaccination obligatoire des enfants contre le tĂ©tanos (arrĂȘt Vavƙička, 8/04/21) : on note que d’une part, la balance bĂ©nĂ©fice/risque est positive pour les enfants, car le tĂ©tanos est dangereux pour eux, et que d’autre part, l’anciennetĂ© des vaccins permet de connaĂźtre leur efficacitĂ© et la nature des risques Ă  long terme. Dans le cas des vaccins contre le Sars-Cov2, c’est diffĂ©rent : non seulement leur intĂ©rĂȘt mĂ©dical pour les enfants et les adolescents fait dĂ©bat [3], mais le fait qu’ils soient basĂ©s sur une technologie nouvelle ne permet raisonnablement pas d’en connaĂźtre les risques Ă  long terme.

    Ne risque-t-on pas de voir ces mesures d’exception se normaliser ?

    Le risque est d’autant plus grand que la menace Ă©pidĂ©mique n’est pas de nature provisoire. Nous allons devoir vivre avec ce virus, ou avec d’autres virus. Si on est face Ă  un risque permanent, alors il faut mettre en place des mesures permanentes, et celles-ci doivent bien sĂ»r ĂȘtre compatibles avec les libertĂ©s. On peut constater que les mesures antiterroristes temporaires ont Ă©tĂ© dĂ©voyĂ©es pour s’installer de maniĂšre permanente dans notre droit. Avec l’opĂ©ration Sentinelle, le fait d’utiliser l’armĂ©e pour exercer des pouvoirs de police sur le peuple s’est normalisĂ©. La surveillance de la population aussi : dans les annĂ©es 1980, les Ă©coutes de l’ÉlysĂ©e ont fait scandale ; en 2020, l’État peut Ă©couter n’importe qui. Les mesures antiterroristes ont donc progressivement fait disparaĂźtre du droit la protection de la vie privĂ©e. Si on transpose cette situation aux mesures d’exception sanitaires, les consĂ©quences sont vertigineuses : ce qui risque de se normaliser, ce n’est plus seulement l’atteinte Ă  la vie privĂ©e, mais l’atteinte Ă  l’intĂ©gritĂ© physique des individus, la privation de sortie et de mouvement.

    Quels espoirs placez-vous dans la requĂȘte que vous portez auprĂšs de la Cour europĂ©enne des droits de l’Homme ?

    Il faut rappeler une chose Ă©lĂ©mentaire : les droits de l’Homme sont au-dessus des lois. C’est la raison d’ĂȘtre de ces textes. Si les droits fondamentaux ont Ă©tĂ© inscrits dans les juridictions internationales et les constitutions, c’est prĂ©cisĂ©ment pour Ă©viter que les gouvernements n’adoptent des lois contraires aux libertĂ©s et ne fassent basculer un pays dans la dictature. Il est donc nĂ©cessaire (quoique pas forcĂ©ment suffisant) d’en appeler Ă  la Cour europĂ©enne des droits de l’Homme dans la situation actuelle. En pratique, le but est d’éviter que l’obligation du passe sanitaire ne soit prolongĂ©e au-delĂ  du 15 novembre 2021 par l’adoption d’une nouvelle loi. La Cour est lĂ©galement obligĂ©e de traiter toutes les requĂȘtes, or ses moyens sont limitĂ©s. Si elle est saisie par des dizaines de milliers de personnes, elle sera contrainte d’écouter nos arguments, pour Ă©viter d’ĂȘtre complĂštement paralysĂ©e administrativement. En 2020, la CEDH a reçu un total de 40 000 requĂȘtes de toutes natures. C’est ce chiffre qu’il faut dĂ©passer. Nous sommes dĂ©jĂ  Ă  plus de 20 000. Toute personne de plus de 12 ans peut attaquer gratuitement et sans risques la loi sur le passe sanitaire.