• #Quebec : Des matelas d’occasion vendus comme neufs François Dallaire
    https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1826153/matelas-occasion-vendus-comme-neufs

    Des matelas usagés sont vendus comme neufs dans les succursales de la chaîne Dormez-vous ? La compagnie emploie l’expression « matelas démo » pour décrire ces matelas. Mais la pratique est trompeuse et illégale.


    Un magasin Dormez-vous ? _Photo : Radio-Canada / Ivanoh Demers

    Le couple formé par André Drapeau et Lysane Boiteau était tout heureux de son achat d’un matelas neuf, livré la veille par Dormez-vous ? Au réveil, pas d’arôme de café frais, mais une odeur suspecte flotte dans la pièce.

    “Le lendemain matin, je sens une odeur dans le lit. Ça sent l’Antiphlogistine”, dit Lysiane Boiteau. Elle est inquiète pour son conjoint. “Je lui demande : "Chéri, où as-tu mal ?"” De son côté, M. Drapeau croit que c’est sa conjointe qui souffre d’un mal de dos, car il n’a jamais mis de crème analgésique. “On venait de réaliser qu’on s’était fait flouer”, dit André Drapeau

    Le matelas provient de la chaîne canadienne Sleep Country, qui fait affaire au Québec sous le nom de Dormez-vous ? Au moment de notre passage, près de trois semaines après l’achat du matelas, une odeur d’Antiphlogistine persistait dans la chambre à coucher. “On dort là-dedans !”, lance avec dépit Mme Boiteau.

    Après avoir porté plainte, le couple a reçu un nouveau matelas ainsi qu’un bon d’achat d’une somme de 150 $. “J’ai reçu mon nouveau matelas. Par contre, je ne saurai même pas si c’est un neuf, car les livreurs l’ont déballé dans le camion !”, indique Lysane Boiteau.

    Une garantie de 100 nuits au cœur du problème
    Dormez-vous ? offre la garantie Échange confort sur chaque achat. Le client peut essayer son matelas pendant 100 nuits et le rendre s’il n’en est pas satisfait. C’est l’un des arguments de vente de la compagnie partout au Canada. Le couple se rend à l’évidence : Dormez-vous ? lui a refilé le matelas d’un autre client. “C’est un très bon matelas. Sauf que c’est un matelas usagé”, dit André Drapeau. “On nous l’a présenté comme un matelas neuf, mais c’est un matelas usagé.”

    Le prix du matelas, en liquidation, avait été réduit à 2900 $ avant taxes. Sur la facture, on peut lire qu’il s’agissait d’une “fin de ligne”, raison de la réduction. Le couple est dégoûté, car on lui a caché la véritable raison de la réduction. “On n’a pas eu toutes les informations libres et éclairées pour prendre notre décision”, explique posément le conjoint. Mme Boiteau est plus indignée. “Peu importe le prix ! Excusez-moi, mais c’est dégueulasse un matelas usagé.”

    Pas un incident isolé
    L’un des employés de Dormez-vous ? nous a confié que c’est une pratique généralisée. “Chez Dormez-vous ? Sleep Country Canada, il n’y a pas le code usagé. Ça n’existe pas. Le modèle qu’ils vont reprendre de vous, ils vont le mettre comme démonstrateur. Ils ne mettront pas comme usagé”, nous a expliqué ce vendeur qui a travaillé dans différentes succursales de la compagnie.

    Selon son estimation, jusqu’à 20 % des vendeurs omettent de signaler aux acheteurs qu’il s’agit d’un retour de marchandise. “[Le vendeur] peut marquer ’’démonstrateur’’. Mais le client ne saura jamais que ça arrive de chez quelqu’un.”

    Combien de matelas sont renvoyés au magasin parce que des clients sont insatisfaits ? Pour le savoir, notre source confidentielle a dressé l’inventaire des matelas renvoyés et en attente d’être revendus le 26 février dernier. Ce jour-là, on en comptait des milliers dans tout le Canada. “Un vendeur vendait 400 modèles usagés par année. Il faut penser qu’il y en a plein. On parle de milliers.”

    Dans un courriel auquel nous avons eu accès et destiné à tous les employés, la direction de Dormez-vous ? est allée jusqu’à doubler la commission des vendeurs afin stimuler les ventes de ces matelas qu’elle appelle « matelas démo ».

    Une pratique contraire à la loi
    Qualifiée de représentation fausse ou trompeuse, c’est une pratique interdite au Québec, comme dans le reste du Canada. Au Québec, c’est l’article 219 de la Loi sur la protection du consommateur qui s’applique : “Aucun commerçant, fabricant ou publicitaire ne peut, par quelque moyen que ce soit, faire une représentation fausse ou trompeuse à un consommateur.”

    L’article 228 de la loi prévoit aussi qu’“aucun commerçant ne peut, dans une représentation qu’il fait à un consommateur, passer sous silence un fait important.” L’employé de Dormez-vous ? peut témoigner que son employeur s’éloigne de son obligation. “C’est très malhonnête. Parce que la personne ne sait pas que c’est un usagé.”

    Selon la Loi sur les matériaux de rembourrage et les articles rembourrés, ce matelas est clairement un article d’occasion qui aurait dû être signalé comme tel à l’aide d’une étiquette jaune. L’article 9 de cette loi prévoit que : “l’étiquette ARTICLE D’OCCASION doit être apposée sur les articles d’occasion rembourrés, qui ont fait l’objet d’une première vente au détail sauf s’ils ont été retournés au vendeur sans avoir été utilisés ou s’ils sont réparés en vertu de la garantie du fabricant”.

    Le cauchemar que tout le monde redoute
    Dormez-vous ? affirme que les matelas sont nettoyés et désinfectés avant d’être revendus à d’autres clients. Ce n’est pas ce que Jasmine Beaulac a constaté après qu’on lui a livré le matelas neuf qu’elle avait acheté dans la succursale Dormez-Vous ? de Delson. “Je me suis couchée dedans. Le lendemain matin, j’étais piquée partout sur le corps. Ma fille a compté 25 ou 50 piqûres.”

    Avec l’aide de sa fille, elle a passé l’aspirateur sur son matelas.

    Elle croyait qu’elle faisait une réaction au matelas. Jusqu’à ce qu’elle découvre une punaise de lit. “C’est horrible, c’est horrible. J’ai vécu l’enfer pendant six mois. J’ai pleuré, ça m’a gratté, ça m’a piqué pendant des semaines. C’est épouvantable.”
    Non seulement Dormez-vous ? lui a vendu un matelas infesté de punaises de lit, mais encore l’entreprise a refusé de reprendre le matelas ou même de la rembourser. “Ils disaient qu’ils ne pouvaient pas le reprendre parce qu’ils ne voulaient pas infester les autres matelas, qu’il fallait que je règle le problème moi-même, que c’était mon infestation à moi, c’étaient mes punaises à moi.”

    Jasmine Beaulac a dû s’adresser à un exterminateur pour mettre fin à son cauchemar. Une facture de 920 $ qu’elle a par la suite réclamée à Dormez-vous ? dans une poursuite intentée à la division des petites créances.

    En défense, Dormez-vous ? a suggéré que les punaises étaient “déjà présentes [dans le sommier] et se sont propagées sur le matelas”.

    La juge n’a pas cru le fournisseur de matelas. “Le Tribunal retient le témoignage entièrement crédible offert par la demanderesse Jasmine Beaulac à l’effet qu’elle n’avait jamais eu aucune punaise de lit chez elle avant la livraison du nouveau matelas le 6 novembre 2016 vers 16 h 15, qu’elle n’avait jamais non plus eu aucune piqûre attribuable à la présence de punaises de lit avant cette dernière date, et qu’elle est la seule à avoir couché sur le matelas le jour de la livraison du 6 novembre 2016.”

    Jasmine Beaulac se souvient très bien de cette comparution. “La juge a été en ma faveur tout le long. Elle disait : "Ce n’est pas un matelas neuf que vous avez amené à Mme Beaulac, c’est un matelas qui était déjà usagé. Ça n’a pas de sens. Avez-vous vu toutes les cochonneries ?" Elle criait quasiment la juge à Dormez-vous ?”

    La juge Micheline Labonté a condamné Dormez-vous ? à payer la somme de 1920 $ “pour tous les dommages et inconvénients subis par la demanderesse, notamment la présence de piqûres pendant une durée de trois semaines, l’achat de médicaments, ainsi que les inconvénients occasionnés par les odeurs entraînées par les produits de décontamination, ainsi que toutes les opérations de ménage et de rangement qui ont été rendues nécessaires en raison de la présence des punaises de lit”.

    Dormez-vous ? réagit
    La Facture a eu plusieurs échanges avec la porte-parole de l’entreprise. Dans un premier temps, par écrit, Dormez-vous ? a confirmé que l’expression “matelas démo” est utilisée lorsqu’il s’agit d’un matelas qui a fait l’objet d’un retour dans le cadre de la Garantie confort de 100 nuits. “Nous vendons une partie des matelas retournés aux clients sous forme de modèles à prix réduit. Il est clairement indiqué aux clients en magasin que ces matelas sont des produits retournés dans le cadre de la Garantie confort.”

    Nous avons vérifié dans trois succursales si c’est le cas. Dans l’un des trois magasins, Il a fallu que notre client mystère insiste, après avoir payé le matelas, pour que la vendeuse indique qu’il s’agissait d’un matelas retourné en vertu de la Garantie confort. Dans les deux autres, les vendeurs nous ont vendu d’authentiques matelas neufs.

    Nous avons fourni ces données à Dormez-vous ? L’entreprise, qui a refusé de nous accorder une entrevue, semble avoir retenu la leçon. “À compter du 1er juillet 2021, nous remplacerons le terme "matelas démo" par le nouveau terme "modèles d’échange certifiés" pour tous les matelas à prix réduit disponibles à l’achat qui sont échangés dans le cadre du programme de garantie confort de 100 nuits.”